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Hunter, le président Norman
Légende d’Elland Road (726 matchs disputés avec Leeds United), Norman Hunter a été rattrapé par ce maudit Covid-19 ce vendredi, à 76 ans. Croqueur de jambes, défenseur central hors pair, champion du monde avec les Three Lions en 1966, le gaillard d’1,83m était aussi un enfant de Don Revie, l’emblématique manager de Leeds, lequel aurait façonné Hunter à coup d’œufs durs et vinaigre de Xérès. Tel était le destin d’une cheville ouvrière du Yorkshire.
Lorsqu’à l’aube des sixties, en 1961, Don Revie prend les rênes de Leeds, englué en deuxième division anglaise, Norman Hunter n’est qu’un aspirant parmi d’autres. « Son survêtement pendait tellement, il était maigre », livrera dans les années 1970 le charismatique manager. On est encore loin du roc, du « Bites Yer Legs » (« il mord vos jambes »), titre dont il héritera quelques printemps plus tard. Le gavroche d’Eighton Banks, à un quart d’heure au sud de Newcastle, est alors cantonné aux tâches d’un gamin souhaitant devenir pro après avoir intégré le club à 15 piges lors d’un match d’essai. « Je nettoyais le terrain, les crampons, préparais le vestiaire et je m’entraînais toujours plus, retraçait il y a peu Norman Hunter devant les caméras du club. Je n’étais pas exceptionnel, mais j’en voulais toujours plus. »
? Norman Hunter: In His Own Words pic.twitter.com/2gDgkU17He
— Leeds United (@LUFC) April 17, 2020
Jack Taylor, manager en 1960, lui file six mois de plus avant que Don Revie ne l’intègre à la cour des grands en 1962. « Le moment le plus important de ma vie », pour celui dont le père, Norman senior, au bref passage à Sheffield United, est décédé avant sa naissance. « Sans Don Revie, je n’aurais jamais connu cette vie, les titres, les nuits européennes dans l’ambiance électrique d’Elland Road. » Exit l’électricité dans laquelle il avait un job, Norman Hunter passe au régime œufs durs et vinaigre de Xérès, produit en Andalousie.
« Je vais tuer ce bâtard de Hunter »
La méthode Revie lui épaissit la carcasse, Hunter, « l’homme au sixième sens » dixit son entraîneur, endosse un numéro 6 qui lui collera à la peau. Interceptions, relances du droit (son meilleur pied), frappe de mule si besoin, le défenseur central est dans le noyau dur. « On avait un groupe avec des mecs très différents, certains avec plus de talent que de caractère ou l’inverse, mais chacun allait dans le même sens. Quand on remonte en première division (en 1964, N.D.L.R.), personne n’imaginait ce qui allait se passer. » Durant dix saisons de rang, les Peacocks ne termineront pas au-delà de la quatrième place, raflant le titre en 1969 et 1974. « Quand je récupérais le ballon, décortique Norman Hunter, j’avais soit l’Irlandais Johnny Giles ou l’Écossais Billy Bremner. Si je filais le ballon à l’Écossais, l’Irlandais râlait et vice versa. Et avec Jack Charlton (avec qui il faisait la paire derrière), c’était du costaud. Je n’étais pas le plus rapide, mais je savais lire le jeu. Don Revie nous disait toujours d’y aller franco sur le premier tacle du match, que l’arbitre allait laisser passer. Ça permettait de donner le ton. »
Parfois, ça dérapait, comme en cette froide nuit à Derby County en 1975 où la tension avec Francis Lee s’achève sur un ring de boxe, quelques minutes après un penalty accordé à Lee sur une faute de Hunter. « Avant qu’il ne m’en colle une, j’ai pris les devants. Je n’avais jamais fait ça de ma vie. » L’alliance qu’il porte ouvre les lèvres de Lee. Les deux boxeurs sont expulsés, et le deuxième round éclate. « Lee en a remis une couche. Il était comme possédé. Dans le vestiaire, je l’ai entendu dire au médecin,« Je vais tuer ce bâtard de Hunter! » »
« Il pouvait ouvrir une boîte de haricots avec le pied gauche »
Génétiquement programmé pour ne pas reculer, Hunter poursuit sa razzia de l’époque la plus dorée du club du Yorkshire. La Coupe de la Ligue 1968, la Cup 1972, la Coupe des villes de foire 1968 et 1971 viennent remplir l’armoire à trophées. D’après Don Revie, « chaque saison je pouvais compter sur 55 très grands matchs de Norman Hunter et seulement cinq où il était juste superbe. Il avait un esprit de compétition que je n’avais jamais vu auparavant. Il a joué avec des chevilles enflées, des rhumes, des jambes pleines de coups, mais il n’a jamais dit qu’il était inapte. Tout le monde parlait de son pied droit, mais le gauche était aussi précis, il pouvait ouvrir une boîte de haricots avec et avait l’art de récupérer le ballon dans les pieds. Cette étiquette de dureté qu’il avait est exagérée. » Seul le Bayern de Gerd Müller en 1975 au Parc des Princes, un an après le départ de Don Revie, mettra fin aux illusions de Leeds en Coupe d’Europe des clubs champions (2-0).
Mais le film de Norman Hunter ne se cantonne pas à Leeds (qu’il quittera après 726 matchs en 1976 pour Bristol puis Barnsley), il trouve aussi son écho sous la bannière des Three Lions. Les paillettes y seront plus particulières. Champion du monde 1966 sans jouer une minute (il ne recevra sa médaille qu’en 2009), il n’aura pas non plus sa chance en 1970, bloqué par Jack Charlton et Bobby Moore, avant d’être le maudit, en novembre 1973, à Wembley. Face à la Pologne, il se vautre en voulant tacler Grzegorz Lato, lequel déborde et sert Jan Domarski. L’Angleterre ne s’en relèvera pas (1-1) et le Royaume sera privé du Mondial en Allemagne de l’Ouest. Don Revie a la fine analyse de regretter que Hunter n’ait « jamais été pleinement reconnu pour son énorme talent. Il a toujours été préparé pour gagner le ballon, puis le donner à un partenaire… » Consultant pour la BBC Leeds depuis son retrait des bancs (il a été manager à Barnsley, Rotherham, Leeds en intérim en 1988), encore acclamé en mars dernier à Elland Road, Norman Hunter aura malheureusement perdu son ultime face-à-face contre ce satané Covid-19…
Rest in peace Norman pic.twitter.com/Fq38EJK6Pn
— Leeds United (@LUFC) April 17, 2020
Par Florent Caffery