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Humiliations suprêmes (1er) : Quand Ntep se payait Reims

Par Alexandre Aflalo

Parfois, on pose le pied sur un carré vert sans avoir conscience que l'on va en sortir en ayant perdu un peu de nous-mêmes. En voici 100 exemples, avec à chaque fois un tortionnaire et une ou plusieurs victimes. Et au top de ce classement de scélérats figure la folie de Paul-Georges Ntep à quatre pattes à Auguste-Delaune, il y a six ans déjà.

#1 - Ntep contre Reims

Stade de Reims – Stade rennais (1-3)

17 mars 2014, Ligue 1 (J38)

C’était un geste qu’on n’avait pas vraiment l’habitude de voir en dehors des limites du terrain de football bétonné de la cour de récréation. Un geste qui sent bon ce football enfantin, sans conséquences, gratuitement chambreur. Un geste qui porte en lui la définition la plus pure de l’humiliation, en ce qu’il anéantit toute crédibilité de l’adversaire avec la plus brutale des simplicités. Le 17 mai 2014 lors de la dernière journée de la saison, Paul-Georges Ntep a fait ce que tous les footballeurs ont secrètement rêvé de faire, mais n’ont jamais osé au nom du « respect de l’adversaire » : il a dribblé le gardien adverse, arrêté le ballon sur la ligne de but, puis s’est mis à quatre pattes pour finir de la tête.

Un geste qui, dans un pays où l’on s’indigne pour un oui ou pour un non – surtout lorsqu’il s’agit de football – avait éminemment choqué. Premier agacé : Mickaël Tacalfred, qui n’avait pas pu retenir une petite bousculade au moment d’aller chercher le ballon au fond des filets. Même l’entraîneur rennais de l’époque, Philippe Montanier, n’avait pas vraiment goûté l’impertinence de son attaquant, au point de le punir en le sortant immédiatement du terrain, alors que l’on jouait depuis 62 minutes : « Ça n’est pas à faire, c’est manquer de respect à l’adversaire, c’est d’ailleurs pour ça que je le sors, avait-il déclaré après coup. C’est bien de vouloir jouer comme dans la cour d’école, mais bon… » Six ans après les faits, celui qui vient de s’asseoir sur le banc du Standard de Liège est d’ailleurs peu enclin à revenir sur cet épisode.

Dépassé par l’ampleur des réactions à son geste, qui fait beaucoup marrer les réseaux sociaux, mais qui est mal vu par ses pairs, PGN décide de publier un mea culpa le lendemain, sous la forme de neuf fois 140 caractères sur Twitter : « Je tiens à préciser qu’il ne s’agit en aucun d’une tentative de manquer de respect au Stade de Reims et à ses supporters. Ce geste, je ne l’ai pas fait en pensant à qui que ce soit. J’ai 21 ans, je joue au foot par passion. Ça fait 2 ans à peine que je suis dans le monde professionnel. Avant ça j’étais un gamin comme tout le monde qui s’endormait en rêvant de foot. Et ça, ça faisait partie des gestes que j’ai toujours rêvé de faire. […] Je me suis fait plaisir sans chercher à blesser qui que ce soit. […] Un but est un but. »

From Grigny to Auguste-Delaune

Quand il dit qu’il n’a « pas fait ce geste en pensant à qui que ce soit » , Paul-Georges mentait sûrement un peu. Car dans un coin de sa tête, il devait sans doute y avoir ses potes d’enfance : « Ce geste, je l’avais déjà fait quand je jouais à Viry-Châtillon, contre Créteil, et mes potes de Grigny m’avaient dit que je ne serais pas capable de le faire en pro, racontait-il après coup. J’avais répondu que si l’occasion se présentait, je le ferais. Et l’occasion s’est présentée à Reims. »

Cette absence d’hésitation face à une occasion qui se présente, cette façon d’évoquer ce geste comme si c’était une simple passe du plat du pied raconte à la perfection un gamin pour qui le football, c’est avant tout des dribbles et des taquineries. « Quand j’étais jeune, à chaque fois que je réussissais un dribble, je rigolais. Mes potes me disaient toujours : « Arrête de rigoler, un jour tu vas te faire tacler ! » J’ai toujours pris du plaisir à éliminer, depuis tout jeune. » Une façon de jouer au football en amusant la galerie, de se mettre en spectacle, de jouer pour soi, mais aussi, et peut-être surtout, pour provoquer une réaction chez les autres qu’il a prise avec lui dans le monde professionnel. « C’est un genre de gladiateur, admet son ancien entraîneur à Auxerre, Bernard Casoni. Il aime la relation avec le public. Il aime plaire, et il y arrive. »

« Je comprends, mais je m’en fiche »

Dans une arène qui n’était pas la sienne, Spartacus Ntep a donc fait ce que tout bon gladiateur aurait fait : chercher à provoquer un vent de réaction dans la foule. Sans se douter qu’il avait peut-être été un peu trop loin. « Le faire tourner en bourrique balle au pied, ça va, mais le chambrer, ça peut être dangereux, reprend Casoni, se remémorant plus particulièrement cette fâcheuse tendance qu’avait Ntep de « tchiper » sa victime après un dribble. Il le faisait même à ses partenaires. Il est tellement dans la provocation, il ne s’en rend pas compte. Ça peut faire disjoncter l’adversaire, mais ça peut aussi se retourner contre lui. » Les réactions agacées à son but à Reims ? « Je comprends, mais je m’en fiche, c’est fait, confesse-t-il. Pour moi, c’était juste un beau geste. »

Difficile de lui donner tort, après tout. Les footballeurs le rappellent assez souvent : ils sont des grands enfants qui ont fait d’un jeu de cour de récré, où ce genre de geste est roi, leur métier. Et puis, qui d’autre peut se targuer d’avoir fait sur un terrain quelque chose que même l’immense George Best n’a pas osé ? « Mon rêve, c’était de dribbler le gardien, d’arrêter le ballon sur la ligne de but, de me mettre à quatre pattes et de pousser le ballon au fond des filets, a un jour confié le Belfast Boy. J’ai failli le faire contre Benfica en finale de la Coupe d’Europe 1968. J’avais dribblé le gardien, mais au dernier moment je me suis dégonflé. » Et c’est précisément la raison pour laquelle tu n’es pas dans ce top 100, et que Paul-Georges Ntep est en première place.

Taux d’humiliation : ∞%. Ça n’a clairement pas eu la même gueule quand c’est Marco Verratti qui s’y était essayé.

Par Alexandre Aflalo

Propos de Ntep et Casoni recueillis par Mathias Edwards et issus du So Foot #123.

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