- Un jour, un transfert
- épisode 28
Hervin Ongenda à Botoșani : une romance roumaine
Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Pour ce 28e épisode, détour par la petite bourgade de Botoșani, au nord-est de la Roumanie. C'est dans un club stable, mais modeste que le titi parisien Hervin Ongenda a trouvé chaussure à son pied, grâce à un propriétaire dévoué pour son bien-être. Une histoire singulière et touchante, en deux actes, de laquelle restera ce postulat vu et revu : Ongenda est un esthète délicieux coincé entre les agents véreux, et qui n’a jamais su se donner les moyens de tutoyer les sommets.
Valeriu Iftime est un authentique self-made man, patron d’Elsaco, un géant roumain de l’énergétique. Rares sont ceux qui savent que derrière son premier million de lei (203 000 euros), se cache l’implantation d’un système informatique d’automatisation à distance entre Slobozia et Călărași, quelque part dans le sud du pays. Mais c’est surtout un personnage haut en couleur, passionné de chevaux et de football. « Pour moi c’est un spectacle, pour d’autres c’est un simple business », glisse-t-il à propos de l’opium du peuple. Et quand on aime le spectacle, on a forcément un penchant développé pour les artistes. En juillet 2018, le propriétaire du FC Botoșani n’avait pas encore dépassé la soixantaine. Mais il lui a suffi d’assister à un entraînement pour s’éprendre d’un des trop nombreux talents perdus du Camp des Loges : Hervin Ongenda.
À la conquête de l’Est
« Hervin ? Je peux en parler des jours entiers s’il le faut, c’est mon enfant. Les deux fois où il est parti, je me suis dit : « Qu’est-ce que je vais devenir, maintenant ? » Je venais au stade pour lui. Son histoire vaut le détour. » Si le meneur de jeu né en 1995 est tombé dans l’oubli en France, la faute à des passages non concluants à Bastia, Zwolle et même… Murcie, en D3 espagnole, l’histoire est radicalement différente au-delà des Carpates. « Un agent spécialisé dans les joueurs au train de vie excentrique nous a proposé Ongenda. Je ne savais pas du tout qui c’était. Quand on m’a dit qu’il a été formé au PSG, qu’il a joué avec Ibrahimović, Di María, Cavani… j’ai failli faire une crise cardiaque ! À ce moment-là, j’ai dit pourquoi pas. Mais quand je l’ai vu la première fois, lors de notre stage de présaison en Autriche, j’ai cru que c’était son frère qu’on avait fait venir. Il était souriant, mais il avait une belle petite brioche ! », lâche Iftime, en souvenir du bon vieux temps.
Reste qu’Iftime se rend vite compte du joueur hors norme qui vient de débarquer en Moldavie roumaine. « Costel Enache, l’entraîneur de l’époque, est venu me voir après les premiers entraînements. Il m’a dit mot pour mot « Valeriu, ce gamin n’est pas fait comme les nôtres. Il vient d’un autre monde, c’est un petit génie. » Il a quelque chose d’inné, il voit et sent le jeu, ses passes sont d’une précision rare, qu’elles soient dans les pieds ou non. » Ongenda, lui, arrive à la relance. Il se jette dans l’inconnu, pour de vrai. « Je ne connaissais rien de la ville, je ne savais même pas qu’elle existait avant de recevoir cette proposition. J’avais besoin de m’éloigner de la France, de la pression médiatique, pour me concentrer uniquement sur le football et travailler. Après quelques mois, j’ai vu que tout le monde était gentil avec moi. Dans la rue, au club, à l’hôtel… Ça m’a aidé », livrait-il à So Foot en mars 2019. De là à bousculer toutes ses habitudes ? Que nenni. « Au début, il était en retard aux entraînements, quand il montait dans le bus il ne savait plus où il habitait. J’en ai eu, des coachs qui ne voulaient pas compter sur lui, ou alors seulement 15 minutes sur l’aile. Mais pour moi, se priver d’Ongenda était un crime », surenchérit Iftime.
Une passe laser, un coup franc dans la lulu, et puis parfois plus rien. Inconstant, Ongenda l’est assurément sur un terrain. Ce dont il a besoin ? Un technicien qui soit patient avec lui, qui apprenne à le connaître et canalise son talent. « Celui qui a vraiment compris Hervin comme moi je l’ai compris, c’est Marius Croitoru, notre entraîneur ces trois dernières saisons. Ils sont carrément devenus amis. Hervin a quelque chose dans son ADN qui l’empêche d’atteindre son potentiel maximal, il s’entraîne trop peu. Personne n’a son talent, mais seul, il ne peut pas gérer ce talent. Marius en a fait notre maestro, il créait de l’assurance chez ses coéquipiers. Il n’avait peur de rien. Il suffisait de lui donner la balle, et c’est lui qui organisait tout. Maintenant… on a l’impression de pouvoir perdre la possession à n’importe quel moment », poursuit l’homme d’affaires, animé par le feu de la passion. Lors de sa première aventure à Botoșani, Ongenda cumule 6 buts et 5 passes en 54 matchs. D’aucuns diront qu’il n’y a pas de quoi sauter au plafond. Mais ce serait jurer uniquement par le prisme – trompeur – des seules statistiques. En réalité, le titi parisien bénéficie, pour la première fois de sa jeune carrière, de continuité et de stabilité. Il jouit d’un statut de star locale. « Venir à Botoșani a été le meilleur choix de sa vie. On ne peut pas se comparer à une ville française. Il n’y pas de boîtes, rien qui puisse te détourner de ton quotidien, soyons honnêtes. Et quand on voit à quel point il dépend d’une conjoncture… dès qu’il ne se sent plus en sécurité, il n’a plus envie de jouer, il devient nerveux. Il n’a pas uniquement apprécié le club ou les gens, il a aussi adoré la région et tout ce qu’il a pu visiter », abonde Valeriu Iftime. Mais comme souvent dans ces cas-là, la belle histoire finit par partir (un peu) en sucette.
Chauffeur de bus, prof de chinois et cours de français
Les habituels Golgoths du football roumain (FCSB, CFR Cluj) se pressent pour les beaux yeux d’Hervin Ongenda, mais le milieu offensif a une idée en tête à l’hiver 2020 : l’Italie. Enfin… la Serie B, et un Chievo Vérone tout proche du dépôt de bilan. Pour Iftime, son petit protégé était sous influence : « Hervin a été la victime de ses deux agents de l’époque, un Italien et un Français, qui voulaient faire de l’argent sur son dos et encaisser des commissions. Sans eux, sa vie aurait été déjà un peu mieux organisée. Il est parti à contre-courant alors qu’il avait une offre de prolongation sur la table. J’étais persuadé qu’il ne résisterait pas là-bas, chez un club pauvre, en fin de vie, et avec la pandémie de Covid sur le dos. » La presse roumaine, et plus particulièrement la chaîne de télévision Pro X, s’engouffre dans la brèche, avec une phrase choc : « Hervin Ongenda préfère devenir chauffeur de bus que de prolonger l’aventure avec Botoșani. » Une phrase supposément prononcée par le Franco-Congolais sous le coup de la colère… en réalité détournée avec soin. « Hervin ne serait jamais entré en conflit avec moi. C’est ma phrase, et ils l’ont modifiée. Avant qu’il parte, je lui ai juste rappelé que s’il ne travaillait pas, il n’avait qu’une alternative : devenir chauffeur de bus. Il n’a pas fait d’études, il n’est pas cuisinier, ni prof de chinois ou ingénieur. Donc il lui resterait quoi ? Chauffeur de bus », précise le très pittoresque patron de club.
Au Chievo, Ongenda ne fait effectivement pas long feu : trois petits matchs entre janvier et septembre. De quoi se rendre à l’évidence : Botoșani est la clé de l’histoire. « Quand on a appris que ça n’allait pas au Chievo, que c’était la dégringolade, la femme de Croitoru a parlé avec Loane, la femme d’Hervin. On l’a eu par les sentiments. Il savait déjà qu’il aurait le meilleur salaire ici, 8000 à 9000 euros par mois, qu’il pourrait jouer régulièrement. Mais en plus de ça, son dernier enfant est né ici, à Botoșani. Son attache est particulière. J’ai fait en sorte que Loane puisse donner des cours de français au lycée français de la ville, pour qu’elle aussi ait une occupation », narre Valeriu Iftime. Comme par enchantement, Hervin Ongenda retrouve sa magie, distille des bonbons, aère le jeu et s’éclate au sein d’un belle colonie francophone. Son désormais ex-coéquipier Bogdan Racovițan (aujourd’hui au Raków Częstochowa), né et formé à Dijon, ne tarit pas d’éloges à son égard : « Avec Croitoru et Ongenda, c’était tout pour l’attaque, du football champagne avec toujours deux solutions minimum pour le porteur. On a réussi à créer un vrai esprit de groupe, sans clans. Hervin, lui, était le meilleur ambassadeur du spectacle. Il l’incarnait. Je le charriais sur son passé au PSG, le fait qu’il soit arrivé ici après avoir côtoyé Zlatan… C’est là-bas qu’il aurait dû être, aujourd’hui encore. Mais pour Botoșani, pour le championnat et la Roumanie tout court, c’était important de pouvoir voir un tel artiste tous les week-ends. »
Mais là encore, Hervin Ongenda peut difficilement résister aux sirènes étrangères. Futur champion de Chypre, l’Apollon Limassol lui offre une garantie financière et l’opportunité de régler d’anciennes dettes, à l’aide d’une rémunération généreuse. Malgré la tendresse débordante de son propriétaire et la confiance de son entraîneur, après 21 nouvelles rencontres pleines, l’heure est encore à la séparation, au grand regret d’Iftime : « S’il restait encore une saison, il aurait pu trouver un meilleur contrat en Chine, aux États-Unis ou dans le Golfe et nous, on aurait pu rêver de Ligue Europa Conférence. À 27 ans, c’est compliqué pour lui de trouver quelque chose en Espagne, en Italie ou en France. Là encore, je vois qu’il n’arrive pas à enchaîner à l’Apollon. Ils ont un entraîneur allemand, alors forcément, sans volonté de fer… » Comme une étoile filante, celui qui a écumé toutes les sélections de jeunes en France paraît né pour frustrer les gens qui l’apprécient et rêvent de le voir un jour répondre aux attentes qu’il suscite. Valeriu Iftime, lui, l’attend toujours à bras ouverts au nord-est de la Roumanie : « Les grands poètes sont souvent critiqués par leurs contemporains, mais moi je l’aimerai toujours, quoi qu’il arrive. »
Par Alexandre Lazar
Propos de Valeriu Iftime et Bogdan Racovițan recueillis par Alexandre Lazar.