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Guy Régis Jr : « Je connais un Rijkaard, c’est un excellent informaticien »
Un footballeur haïtien prénommé Goebbels et converti au judaïsme. Une histoire aux relents absurdes, mais pourtant vraie dont Guy Régis Jr s’inspire dans sa pièce Goebbels, juif et footballeur (éditions Les Solitaires intempestifs). À l’occasion de sa participation au festival Étonnants Voyageurs, à Saint-Malo, l’auteur et metteur en scène partage son regard sur le goût des Haïtiens pour les prénoms étranges, la destinée tragique des footballeurs et la place du ballon rond dans le monde intellectuel.
Pourquoi vous être penché sur la vie de Goebbels Badet (Cadet, de son vrai nom, légèrement modifié dans l’ouvrage) ?Tout d’abord, je suis un grand fan de foot. Je suis né en 1974, l’année de notre unique participation à la Coupe du monde, une date qu’on n’a jamais oubliée. On a notamment joué l’Italie de Dino Zoff, qui était alors invincible depuis deux ans, et c’est un Haïtien, Manno Sanon, qui lui a enlevé sa virginité de quelques mois. (Rires.) Personnellement, j’ai même joué jusqu’en deuxième division. Et j’ai toujours eu un attachement particulier pour les latéraux, car il faut de la vitesse, de l’endurance et de la technique. Goebbels était un latéral, très connu dans les années 1980 et 1990, un joueur avec une grosse personnalité. Avec ses jambes arquées, il me faisait penser à Roberto Carlos. Il m’intéressait, car j’aimais beaucoup le joueur, et puis il y avait ce prénom, même si s’appeler Goebbels n’est pas étrange en Haïti, où il y a des Hitler, des Napoléon… Mais j’ai vraiment pensé à construire une pièce de théâtre autour de lui quand j’ai demandé de ses nouvelles à un commentateur haïtien, et qu’il m’a dit qu’il vivait à New York et qu’il s’était converti au judaïsme !
En lisant votre pièce, on pourrait penser qu’on a affaire à un personnage de fiction…Il existe bel et bien. Il vit à New York. J’ai même vu des images sur les réseaux où il fête son anniversaire avec sa kippa sur la tête. (Rires.) Mais là aussi, ça ne me paraît pas si étonnant, car on est extrêmement mystiques en Haïti. Avec un nom pareil, je comprends pourquoi il s’est converti, il a voulu exorciser en quelque sorte. Et j’ai tout de suite voulu écrire une pièce là-dessus, mais en posant un regard lointain, sans chercher à le rencontrer.
Le prénom, comme poids et comme choix, est un thème central de votre pièce. Pourquoi ?Je ne pouvais pas passer à côté du sujet de l’appellation en Haïti, pourquoi on choisit des prénoms historiques, littéraires… Cela vient de l’esclavage, où on était l’esclave de « Jean » ou de « Thomas » , ou alors on nous donnait le même nom qu’à une vache. Après l’indépendance prise contre Napoléon en 1804, j’ai l’impression qu’on a commencé à se donner des noms originaux comme une sorte de revanche par rapport à l’histoire. Ce n’est pas au maître, au colon, de nous nommer, alors on va se nommer de la plus belle des façons, génialement bien. Donner un prénom qui sonne bien et qui lance l’enfant dans la vie est devenu un exercice qui nous tient à cœur. J’ai connu un Maradona, c’était un ami. (Rires.) Aujourd’hui, il y a de plus en plus de Ronaldo, d’autant qu’il y a déjà eu le Brésilien, et aujourd’hui le Portugais. Je connais même un Rijkaard, c’est un excellent informaticien. En plus, c’est un prénom dur à prononcer pour un Haïtien, mais son père aimait beaucoup ce joueur.
Y a-t-il des noms de footballeurs actuels qui vous interpellent ?Un ami m’a envoyé une photo d’un joueur qui s’appelle Goebbels, mais écrit différemment (Willem Geubbels, attaquant de l’AS Monaco, NDLR). Au Brésil, un pays également marqué par l’esclavage, il y a aussi quantité de noms étranges. Certains diront qu’il faudrait réglementer. Mais si l’officier d’état-civil s’appelle Neymar, ce n’est pas lui qui va poser des limites. (Rires.)
Dans Goebbels, juif et footballeur, on sent que le thème de l’après-carrière vous tient à cœur…
Les joueurs ne sont pas à plaindre, mais leur destinée est tout de même tragique, car on les oublie rapidement. Ils s’effacent. Dans le cas des Haïtiens, la majorité part jouer aux États-Unis et ils ne reviennent plus chez eux. Ils sont alors complètement oubliés. C’est pour ça que Zlatan, il tient. (Rires.) Finir aussi vite, c’est une grande douleur. Même un immense joueur comme Ronaldo, il gère son business, mais il n’est plus sous les feux des projecteurs, sauf quand on se souvient de lui à l’occasion d’une Coupe du monde, aux dates anniversaires… Mais si on parle de la fin tragique des footballeurs, l’exemple le plus marquant est peut-être celui de Van Basten. Ça a été rapide. Une grosse blessure, et il a dû se retirer du football alors qu’il était au sommet.
Dans votre pièce, qui sera bientôt jouée en Haïti, verra-t-on Goebbels jouer au foot ?Oui. Pour moi, c’est important, même si ce n’est pas moi qui mets en scène. J’ai l’impression, surtout en France, qu’on pense que le football manque de poésie, alors que ce sport-là recèle d’énormément de beauté. On peut le voir comme une danse, il n’y a qu’à regarder le film où on suit Zidane pendant tout un match (Zidane, un portrait du XXIe siècle) pour comprendre cela. Et puis, le théâtre est très lié au football, c’est la même chose, on ne sait pas ce qui va se passer avant d’entrer en scène.
Quand vous travaillez en France, vous sentez donc un décalage dans la manière dont est considéré le football…En France, les intellectuels ont honte de parler de football. À quelques exceptions près, on entend ce discours sur ce jeu de sauvage, d’argent. Mais nous, on reste focalisé sur la beauté du geste. En Haïti, le pays est divisé entre le Brésil et l’Argentine. Et c’est la même chose chez les intellectuels. Entre nous, on parle beaucoup de Messi, de Neymar… C’est dans l’ADN de l’intellectuel haïtien, chacun a son équipe, ses joueurs préférés. Moi, j’adorais Ronaldinho. Lyonel Trouillot (romancier et poète) est complètement fou de Messi. Louis-Philippe Dalembert (écrivain) a lui plutôt un faible pour le Brésil. Le foot est de toute façon une activité culturelle. Lors des Coupes du monde, j’adore d’ailleurs observer les manières de jouer de chaque pays.
Et quelle serait l’identité du football haïtien ?On est en Amérique et dans la Caraïbe. Il y a vraiment une volonté de bien jouer. C’est un jeu technique, lent. Les joueurs les plus importants de l’équipe de 1974, c’était des milieux, des attaquants. C’est un pays où le Brésil reste la référence. Depuis petit, tout le monde joue au ballon dans la rue, dans les petits périmètres. Notre problème, c’est le manque d’institutions pour repérer les joueurs, puis les encadrer.
Outre vos activités d’auteur et de metteur en scène, vous êtes aussi le traducteur d’Albert Camus en créole. Sa phrase « le peu de morale que je sais, je l’ai apprise sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités » doit vous parler…
Bien sûr. D’ailleurs, dans ma tête, j’ai cette image ancrée de Camus jouant au foot. Ça m’amuse de l’imaginer gardien, mais je vois aussi le lien entre les deux activités. Le foot, où tu dois maîtriser un terrain de 100 mètres sur 60, c’est une question de temps et d’espace, et c’est également le cas d’un récit. Après, personnellement, je me suis éloigné du football tout jeune adolescent, j’ai été happé par la littérature, et grâce à la culture, j’ai découvert les filles. Le foot n’était plus mon monde, c’était trop masculin, avec une aversion pour les femmes qui n’étaient pas les bienvenues. J’ai vite trouvé cela insupportable.
Pour terminer, on sent dans votre pièce que vous portez un regard assez ironique sur les commentateurs de football…À la télé, à de rares exceptions, ils sont très mauvais. Je préfère ceux de la radio, qui parlent beaucoup, parfois trop. Ils racontent même tellement d’histoires que j’ai déjà suivi un match où le commentateur ne s’est pas rendu compte qu’un but était marqué. En Haïti, tu as deux matchs en parallèle, celui entre les deux équipes, qui peut être soporifique, et celui des commentateurs, qui ne l’est jamais. Ce sont des superstars, ils sont tellement importants qu’ils disent : « Vous baissez le volume de la télé, vous monter le volume de la radio, et ballon ! »
Propos recueillis par Thomas Goubin