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Griezmann, Benzema, Giroud, Kane… : Dans la tête des buteurs muets

Par Thomas Morlec
7 minutes
Griezmann, Benzema, Giroud, Kane… : Dans la tête des buteurs muets

23 matchs toutes compétitions confondues sans marquer. C'est la statistique qui colle à la peau d'Antoine Griezmann. Une inefficacité pointée du doigt à chaque sortie de l'attaquant français. Une mauvaise phase qui ferait presque oublier aux supporters tricolores que le numéro 7 des Bleus est le troisième meilleur buteur de la sélection. Des périodes de disette, tous les attaquants ou presque en connaissent. Karim Benzema, Erling Haaland, Harry Kane ou encore Arkadiusz Milik, personne n'est épargné. Mais que se passe-t-il dans la tête de ces buteurs qui ne trouvent plus le chemin des filets ?

Le poste d’avant-centre est sûrement l’un des plus exposés. Sans cesse scruté, le buteur a une lourde responsabilité : finir les actions pour faire gagner son équipe. Un rôle particulier, souvent mis au premier plan lors des cérémonies de récompenses individuelles. Près de 41% des 66 Ballons d’or décernés ont par exemple été glanés par des attaquants de pointe. Mais cette position de 9, tant fantasmée par les débutants qui tapent pour la première fois dans le cuir comme les amateurs émerveillés devant leur télévision, n’est pas toujours rose. La vie d’un attaquant est cyclique : un jour, il est célébré en héros après un pion important ; le suivant, il est conspué à la suite d’un match raté. « Je souhaite à plein de gens de vivre ce côté non linéaire. C’est la meilleure sensation, assure Nolan Roux, 73 buts au compteur en Ligue 1. Entre deux matchs, tout peut changer, il n’y a pas de vérité, et c’est ce qui fait le sel du métier. Parfois, à l’entraînement, tu ne mets pas un pied devant l’autre et le week-end, tu marques un doublé. »

Mais quand les contre-performances s’enchaînent, le doute s’installe. Après avoir réalisé une saison faste avec le Real Madrid et avoir planté 15 buts avec les Bleus en 45 sélections, Karim Benzema a enchaîné plus de 1222 minutes sans marquer avec le maillot tricolore de 2012 à 2013. Le futur Ballon d’or n’est pas le seul à avoir connu pareille disette. Olivier Giroud est resté muet durant toute la Coupe du monde 2018. Un manque d’efficacité qui lui a été largement reproché. Une situation vécue 20 ans auparavant par Stéphane Guivarc’h : « J’ai souffert qu’on me rabâche que je n’ai pas marqué le moindre but pendant la Coupe du monde. Mais la personne qui connaît vraiment le foot sait comment ça se passe. Le schéma en 1998, pour le numéro 9, ce n’était pas le plus évident. Mais c’est sûr que dans ces moments-là ça cogite, on perd confiance. On ne fait pas le geste juste, on fait des mauvais choix et ça peut devenir compliqué », relate le natif de Concarneau, deux fois meilleur buteur de Ligue 1.

Un jour face à Bordeaux, j’ai tiré trois mètres au-dessus. C’est un geste tout simple ! Dans un meilleur moment, j’aurais probablement contrôlé, tiré doucement, et on n’en parle plus. Après ce loupé, j’ai mis deux trois jours à m’en remettre. Quand ça t’arrive, tu te sens un peu seul.

Quand l’impatience empoisonne l’esprit

Dans un monde où les statistiques prennent une importance toujours plus prépondérante, l’attaquant comme les clubs peinent à décrocher des lignes de chiffres. Acheté pour marquer, l’avant-centre doit rapidement rentabiliser les millions investis sur sa pomme. Quand il entre sur le terrain, une seule chose l’obsède : la cage adverse. Alors quand le ballon ne veut plus franchir la ligne, il peut forcer les choses, quitte à dénaturer son style de jeu en tentant des frappes qui n’accrocheront même pas le cadre. Le sentiment prédominant dans ces situations est l’impatience. Un ingrédient parfait pour les loupés mémorables. « Quand j’étais à Guingamp, j’ai raté l’immanquable face à Bordeaux, se souvient Roux, ancien chouchou de Francis-Le Blé rendu aujourd’hui à Châteauroux. Lucas Deaux fait un centre-tir, le gardien la touche, ça rebondit sur un défenseur, je me retrouve à trois mètres du but. Costil est à terre, et je suis tellement impatient de marquer que je me précipite… J’ai tiré trois mètres au-dessus. C’est un geste tout simple ! Dans un meilleur moment, j’aurais probablement contrôlé, tiré doucement et on n’en parle plus. Après ce loupé, j’ai mis deux trois jours à m’en remettre. Quand ça t’arrive, tu te sens un peu seul. »

Des aubaines pour les réseaux sociaux qui s’emparent instantanément du malheur de l’attaquant. « Tu fais un métier qui est médiatisé, les ratés sont souvent plus mis en avant que les bonnes choses, enchaîne-t-il. Je n’ai pas Twitter, mais je n’ai pas reçu de messages à la suite de mon action face à Bordeaux, puis tu veux dire quoi aux gens ? Oui j’ai raté, je n’ai pas eu de honte par rapport à ça. J’avais juste honte de moi à ce moment-là. »

 Quand je travaillais avec Bafé Gomis ou Lisandro López, je me servais de la visualisation mentale. Je faisais faire un montage de leurs buts, de leurs belles actions avec leurs musiques préférées.

Soufflante, cassettes de JPP et travail mental

La gestion des disettes dépend de chaque attaquant, mais tous s’accordent sur une méthode pour marquer à nouveau : répéter leurs gammes. Après ou avant les matchs, pendant les échauffements, frapper dans le cuir, encore et encore, semble être la solution miracle pour redevenir le buteur en série d’antan. Une technique pas toujours plébiscitée par les entraîneurs. « À Auxerre, quand on entrait sur le terrain, je ne m’échauffais pas avec le groupe, je préférais prendre les ballons pour tirer au but. Une fois, Guy Roux m’a grillé et me les a confisqués. Je me suis pris une soufflante, il avait peur que je me claque », se marre Guivarc’h, qui avait pour habitude de regarder les cassettes des golazos de Jean-Pierre Papin dans les périodes de doute.

De son côté, Gérald Baticle, ancien entraîneur des attaquants de l’OL, avait sa formule pour faire rugir à nouveau les buteurs lyonnais : « Quand je travaillais avec Bafé Gomis ou Lisandro López et que je sentais qu’un manque de confiance allait arriver, je me servais de la visualisation mentale. Je faisais faire un montage de leurs buts, de leurs belles actions avec leurs musiques préférées et puis on le visionnait ensemble, se remémore l’entraîneur d’Angers. On communiquait beaucoup aussi avant les matchs. Je leur demandais : « Tiens, ce soir tu vas marquer comment ? » En cherchant à me répondre, ils imaginaient comment ils allaient marquer un but, ils le visualisaient et ensuite ils devaient penser à un doublé ou un triplé, ce qui les amenait dans une imagerie mentale très positive. »

J’ai fait plusieurs séances avec des joueurs pour des disettes et dès que les filets tremblent à nouveau, tout est oublié. C’est assez fou à constater.

Silence radio

Une méthode douce, humaine, mais malheureusement pas toujours privilégiée. Dans ces situations difficiles, beaucoup de 9 se réfugient dans le travail et se renferment sur eux-mêmes. En parler avec son entraîneur ou ses coéquipiers ? Jamais, on pourrait prendre ces confessions comme un aveu de faiblesse et finir sur le banc au match suivant. « En tant qu’attaquant, j’ai toujours été habitué à être seul devant et à garder mes émotions pour moi », reconnaît Nolan Roux. L’autre alternative serait d’en parler à sa famille, mais même là, le buteur botte en touche : « On en parlait avec mes proches, mais ce n’est pas eux qui allaient marquer les buts à ma place. Il faut se poser les bonnes questions, visionner les matchs, voir ce qu’il a manqué, s’appuyer sur ce qui n’a pas été pour rebondir et retrouver cette efficacité », expédie Stéphane Guivarc’h.

Des clubs comme le Stade rennais et le LOSC travaillent ou ont travaillé avec des psychologues pour maximiser les performances de leurs athlètes. Une aide extérieure précieuse, soumise au secret professionnel, pour décharger les frustrations accumulées. « Mon travail va être de revenir à la base avec les buteurs et de savoir ce qu’ils aiment dans le fait de marquer. J’ai fait plusieurs séances avec des joueurs pour des disettes et dès que les filets tremblent à nouveau, tout est oublié. C’est assez fou à constater, décrit Sophie Huguet, psychologue du sport employée par un club de Ligue 1. Mon rôle, c’est justement de leur dire qu’il faut continuer de travailler sur leur confiance en eux, car si elle se dissipe si facilement, cela peut revenir dans la saison. J’essaye de consolider leur confiance avec ce but. Notre pratique auprès des footballeurs aujourd’hui n’est pas négligeable quand on voit la pression qu’il y a, le nombre de matchs. La santé mentale est prise en compte, mais il y a encore beaucoup de choses qui doivent évoluer. La plupart des joueurs sont venus me voir et n’ont pas de tabou à travailler là-dessus, donc on avance. »

De son côté, le SCO d’Angers n’a pas encore cette corde à son arc, mais commence à y réfléchir sérieusement : « Ça va faire partie de l’évolution de mon staff à l’avenir que de m’appuyer encore plus là-dessus, voire à un moment donné d’avoir une ressource quotidienne dans la préparation mentale », assure l’entraîneur angevin. Un axe de progression important pour permettre aux attaquants de retrouver rapidement le chemin des filets tout en se sentant mieux dans leurs crampons.

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Par Thomas Morlec

Tous propos recueillis par TM

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