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« Grandir dans un pays en guerre, ça te forge un caractère »
Certains retiennent cette demi-finale de Coupe de la Ligue où il jette son maillot sur la pelouse, d'autres se souviennent de ses nombreux buts avec les plus grands clubs européens. Aujourd'hui, Mateja Kežman est un « homme libre », mais il a fallu se battre pour en arriver là.
Ça fait un moment que tu n’as pas fait parler de toi. Qu’est-ce que tu deviens ?Je suis devenu agent de joueur depuis trois ans. Aujourd’hui, je profite de ma vie avec un nouveau métier qui me correspond. Je voyage dans toute l’Europe et je découvre de nouvelles choses, un nouveau business. Je travaille beaucoup en Belgique, en Espagne et en Italie. Avec un ami, on essaie de trouver des jeunes talents entre 15 et 17 ans qui pourront peut-être jouer pour l’équipe nationale. J’ai travaillé un peu au club de Vojvodina en Serbie, mais le projet qu’ils avaient était difficilement réalisable économiquement et politiquement. À terme, j’aimerais bien devenir directeur sportif. Mais j’ai 37 ans, je suis encore jeune !
Tu peux nous parler de ton enfance en ex-Yougoslavie (Mateja est né à Belgrade en 1979, ndlr) ? Tu grandis dans un pays en guerre… C’était une période difficile pour tous les habitants, bien sûr. Du début au cessez-le-feu en 1995, beaucoup de personnes ont perdu leur maison, même si la guerre ne se déroulait pas exactement en Serbie, mais sur le territoire de la Bosnie. Beaucoup de parents de mes amis sont partis se battre. Mentalement et économiquement, c’était une période très dure, mais d’un autre côté, ce sont des choses qui te rendent plus fort. Ça te forge un caractère et quand tu le vis, tu ne vois plus les choses de la même manière ensuite. Quand tu dois te cacher dans des souterrains… Tu deviens plus dur. Quand tu connais de tels moments, et que les choses ne vont pas bien dans ta vie après ça, tu positives plus facilement. Et je pense que ça m’a aidé dans ma carrière de footballeur. Ça a été une période difficile pour mon pays, mais tout a cessé, on a survécu, et la Serbie a progressé et continue de le faire aujourd’hui.
À quel moment tu commences à jouer au foot ? Mon père était un joueur professionnel. Il jouait comme gardien de but dans le club de Zemun, en ex-Yougoslavie. Il a commencé à m’emmener avec lui à ses entraînements quand j’étais petit, je le regardais jouer le week-end aussi. Mais j’ai jamais voulu être gardien parce que je trouvais que c’était un poste trop difficile, et quoi que tu fasses, c’est toi le coupable. Moi, je regardais les attaquants marquer des buts, mon père avait bien compris, et lui non plus ne voulait pas que je sois gardien parce que c’était dur. Jusqu’à 9 ans, je jouais dans la rue, et à 10, mon père m’a emmené m’entraîner avec les petits de Zemun.
Comment s’est fait ton passage dans le monde professionnel ? Je suis resté à Zemun de 9-10 ans à 17 ans, et à ce moment-là, j’ai dû choisir entre continuer l’école ou continuer le football. J’en ai discuté avec mes parents, et mon père trouvait que j’avais le talent pour faire quelque chose. Donc je me suis retrouvé en deuxième division serbe au Radnički Pirot, à 17 ans. J’ai signé mon premier contrat pro. En fait, j’ai changé trois fois de club en peu de temps. Après Radnički, je suis parti à Loznica, puis Smederevo et, un an et demi après mon premier contrat pro, j’ai reçu une offre du Partizan Belgrade. Mon rêve, mon club. J’ai signé pour quatre ans, et mon rêve a commencé à se réaliser.
Ta carrière explose lors de la saison 99/2000 au Partizan Belgrade. Tu plantes 28 buts en championnat…En 1999-2000, j’ai beaucoup marqué, j’ai également été sélectionné en équipe nationale de Serbie. J’ai marqué contre le Spartak Moscou en UEFA et dans d’autres matchs importants. En fin de saison, j’ai reçu une offre de 14 millions d’euros du PSV soit 32 millions serbes à l’époque. C’était une somme énorme, et j’ai quitté mon club du Partizan pour Eindhoven.
Tu savais que les supporters ont écrit un chant pour toi ? Oui ! En Serbie, il y a un gros derby entre le Partizan Belgrade et l’Étoile rouge de Belgrade. Et à chaque derby que j’ai joué, j’ai marqué, donc ils m’ont écrit une chanson. Aujourd’hui encore, ils la chantent et ça me rend très fier. C’est fou parce que même aujourd’hui, quand je me rends à Belgrade, tous les gens viennent me voir pour une photo ou un autographe. Une fois, j’étais au restaurant, et des mecs se sont levés au milieu de tout le monde pour chanter ma chanson ! J’en suis très fier, mais c’est aussi une sorte de pression qui peut être parfois difficile à supporter.
Ensuite, on te retrouve à l’Euro 2000, où tu prends un carton rouge au bout de 44 secondes de jeu contre la Norvège. Une erreur de jeunesse ?Oui… En fait, c’est plus une erreur du coach ! Je sortais d’une grosse saison et il m’a donné ma chance, mais j’étais jeune et pas préparé pour ce genre de rencontres. Dans ce match, j’entre alors qu’il ne reste plus beaucoup de temps à jouer, je suis comme un fou, je voulais jouer tous les ballons et je tue ce mec au milieu de terrain (rires). Je mérite le rouge !
Ensuite, tu pars aux Pays-Bas pour le PSV. Tu remportes beaucoup de titres, ça reste un de tes meilleurs souvenirs ?Oui, j’ai passé de très bons moments là-bas et plus particulièrement les deux dernières saisons avec Guus Hiddink. J’ai beaucoup marqué à chaque saison et on avait une très belle équipe avec Arjen Robben, Mark van Bommel… J’ai passé des moments fantastiques dans un club fantastique qui a des supporters incroyables. Je me sentais vraiment à la maison. Aujourd’hui encore, j’y retourne souvent, les gens m’apprécient toujours. Je me suis régalé.
Au PSV, avec Arjen Robben, tu formais le duo « Batman & Robin » . Comment ça se passait avec lui qui a la réputation d’être difficile ?
C’est un mec super. Très sympathique. Après, sur le terrain, parfois il est un peu égoïste. Il aime dominer, il aime marquer des buts et il peut le faire tout seul s’il en a envie. Parfois, c’était difficile de jouer avec lui, mais dans l’ensemble, je ne peux pas me plaindre. Ça reste un mec fantastique et je suis très fier d’avoir joué avec lui, car pour moi, il est l’un des meilleurs joueurs du monde. À la fin de la saison, on est même partis ensemble à Chelsea.
Justement, après deux grosses saisons au Partizan et au PSV, tu es recruté par Chelsea et là-bas, tu fais la connaissance de José Mourinho… José est un coach exceptionnel, si ce n’est le meilleur au monde. Il m’a appris ce qu’est le football professionnel. Parfois, il a un caractère difficile… Mais j’étais trop jeune à l’époque. Peut-être que si j’avais eu un peu plus d’âge ou de maturité, les choses se seraient mieux passées. Et en face, j’avais Didier Drogba. Il marquait beaucoup de buts et c’était difficile d’être en concurrence avec lui. Avec Arjen, on a connu une première année difficile. J’étais peut-être un peu nerveux. Mais pour moi, jouer pour Chelsea et en Premier League, c’était un des plus grands moments de ma carrière. J’ai quitté le club après une saison sur un léger malentendu, mais aujourd’hui, je n’ai aucun regret par rapport à ce que j’ai accompli, c’était une expérience magnifique.
À Chelsea, tu joues beaucoup, mais tu marques moins. Qu’est-ce qu’il se passe là-bas ? Parce que je manquais de confiance. Je commençais sur le banc, comme un joker, c’était difficile. Je rentrais, je ne marquais pas et j’ai commencé à perdre confiance. À un moment, j’ai eu une bonne période où j’ai bien joué et où j’ai été important comme contre Barcelone (passe dé pour Guðjohnsen, ndlr), je marque contre Liverpool… J’ai discuté avec José Mourinho à la fin de la saison et il voulait que je reste, il m’aimait bien et, même si j’avais eu une saison difficile, il voulait que je reste parce que je me battais pour l’équipe. Mais j’ai reçu une belle offre de l’Atlético de Madrid et j’ai décidé d’y aller.
Tu pars après une saison pour l’Atlético, là bas aussi, tu refais tes valises après une saison à peine. Tu n’avais pas accroché avec ces clubs ?Non, j’ai fait une saison où je mets quelques buts et encore une fois, j’ai eu une super offre de Fenerbahçe en Turquie… Quand on te propose de gagner plus d’argent en deux ans que ce que tu as pu gagner en dix ans, tu ne réfléchis pas longtemps.
À Fenerbahçe, de 2008 à 2010, tu remportes un titre de champion lors de la première saison, puis une coupe lors de la deuxième. Et tu pars encore ?J’ai fait deux grosses saisons. La première, on remporte le titre. Pour la deuxième, on termine second et on remporte la coupe. C’était une super expérience en Turquie, je me sentais vraiment comme une star là-bas. La ferveur est comparable à celle qu’il y a en Serbie, mais c’est encore plus. En Turquie, le football représente beaucoup plus pour les gens. Plus que la politique. Ça a été difficile de partir parce que ça se passait bien. En revanche, je ne pouvais rien faire sans me faire arrêter par les gens ! Au restaurant, dans les magasins, dans les parcs… C’était fou. J’ai beaucoup d’affection pour la Turquie.
En 2008, tu arrives au PSG qui est en difficulté depuis un moment en championnat. Ça se passe comment là-bas ? Quand je suis arrivé, c’était un rêve qui se réalisait. Le PSG faisait partie des clubs pour lesquels je voulais jouer dans ma carrière à côté de mecs comme Raí ou George Weah. Mais Paul Le Guen ne m’appréciait pas. Aujourd’hui encore j’y repense et je ne comprends toujours pas ce qu’il s’est passé.
À Paris, tu disputes une rencontre face à Manchester City en UEFA. À l’époque, les deux clubs ne sont pas encore repris par les Qataris, tu t’en souviens ?Oui, bien sûr. À l’époque, c’était un gros match. Même si les deux équipes n’avaient pas les moyens qu’elles ont aujourd’hui, il y avait de l’enjeu. C’était un match compliqué, on avait terminé à 0-0. Aujourd’hui, c’est complètement différent. Ce sont deux des plus grands clubs d’Europe en ce moment. Ça va être un très gros match en Ligue des champions, et je pense que le PSG part favori. Avec Laurent Blanc, ils jouent un football offensif et agressif. Derrière, ils sont solides aussi. Ça sera un gros match dans tous les cas.
Il y a ce fameux but du 3-0 que tu marques au Parc contre Twente en UEFA. Ça reste un de tes meilleurs souvenirs à Paris ? Oui, c’est assez significatif de mon caractère. Je n’abandonne jamais. Mentalement, j’étais très fort. Et c’est vrai qu’après avoir raté le penalty, j’arrive à rectifier le tir en marquant un but. Même si j’ai eu des moments difficiles à Paris, aujourd’hui je suis fier d’y être passé. Quand j’y retourne, j’ai toujours droit à des fans qui demandent une photo.
4 février 2009, demi-finale de Coupe de la Ligue face à Bordeaux. Tu es remplacé à 30 min de la fin, juste après avoir raté une grosse occasion. Tu sors et jettes ton maillot sur le terrain avant de courir au vestiaire…C’était un problème que j’avais avec Paul Le Guen, et non avec l’équipe ou le club. J’avais fait un gros match ce jour-là, j’avais peut-être été un des meilleurs sur le terrain et il avait décidé de me remplacer. Je ne savais plus quoi faire pour montrer aux gens que ce mec était en train de me tuer. Alors, j’ai pris la décision de jeter mon maillot sur le terrain avant de sortir. En aucun cas, ça n’était un manque de respect envers le club, je l’avais expliqué en conférence de presse. Et même après ce geste, les supporters ont continué à m’encourager parce qu’ils sentaient que j’étais plein d’énergie et que je faisais de mon mieux pour l’équipe. Ils m’ont pardonné et je suis très content.
Fin 2009, tu es élu « Ballon de plomb » . C’était mérité selon toi ?(Il coupe en riant) Oui, je sais… Je trouve que ce n’était pas du tout mérité ! Parce que je me donnais toujours à fond sur le terrain. Pour moi, c’était un peu une forme de honte parce que ça voulait dire que je gagnais de l’argent sans rien faire. Ce n’était pas de ma faute, parce que je ne jouais pas. Je suis arrivé de Fenerbahçe pour plusieurs millions d’euros et on ne me faisait pas jouer, donc je ne pouvais pas marquer. Mais je n’ai eu aucun problème avec ce titre, tout va bien ! (rires)
Après cet incident, tu joues beaucoup moins, tu as moins de soutien des supporters. Et en novembre 2010, ton contrat au PSG est rompu d’un commun accord. Tu es dans quel état d’esprit à ce moment-là ?D’abord, je suis parti au Zénith pour y jouer six mois sous forme de prêt. J’ai joué une dizaine de matchs là-bas et j’ai dû marquer trois ou quatre buts. Après ça, je devais revenir à Paris. Dans ma tête, j’avais décidé de me battre pour gagner ma place. Mais Antoine Kombouaré est arrivé en tant qu’entraîneur et il cherchait un autre style de joueur. Du coup, j’ai décidé de résilier mon contrat avec Paris, car je n’avais pas vraiment d’offres intéressantes, même si j’avais marqué quelques buts. Et pour moi, être payé à ne rien faire, ce n’est pas juste. Je ne suis pas quelqu’un qui est intéressé seulement par l’argent. Dans la vie, il y a tellement d’autres choses importantes. Aujourd’hui, j’ai quelques regrets parce qu’à Paris, je n’ai pas vraiment montré de quoi j’étais capable.
Tu penses que tu aurais ta place dans le PSG d’aujourd’hui ? Bien sûr ! J’ai des qualités qui entrent dans l’esprit de cette équipe ! Mais je n’aime pas regarder en arrière. Mais je suis sûr qu’en étant au top de ma forme comme j’ai pu l’être à l’Atlético ou au PSV, j’aurais pu jouer avec Zlatan ! Ça aurait été un plaisir.
Début 2011, tu bouges en Chine après plusieurs années européennes. T’es un des premiers joueurs à y aller. Comment ça se passe à l’époque ?J’ai passé six mois fantastiques. C’était un autre type de football là-bas, une autre mentalité. Moi, j’aime changer de pays, découvrir de nouvelles choses et vivre de nouvelles aventures. J’étais avec Nicky Butt qui jouait à Manchester United. Là-bas, on profitait de la vie en fait, le football n’occupe pas la place qu’il occupe en Europe, et les gens sont très gentils.
T’as arrêté ta carrière à 33 ans, alors que certains jouent jusqu’à 37, 38 ans, voire plus. Pourquoi ?J’ai arrêté à cause de mon genou. Lors des deux dernières années de ma carrière, j’ai été opéré du ménisque à deux reprises. Je ne me sentais pas à 100% pour retenter une nouvelle expérience, donc j’ai arrêté.
Entraîner, c’est quelque chose qui te tente ? Je ne crois pas. Ce n’est pas un métier qui me correspond. J’ai essayé de m’y mettre en passant des concours en Serbie parce que je voulais voir à quoi ça ressemble. Mais me retrouver dans un hôtel avec des joueurs, retrouver la pression… Ça ne m’intéresse pas. Aujourd’hui, je profite de ma vie, j’ai quatre enfants et je suis quelqu’un de libre. Je peux partir quelques mois quelque part, revenir et repartir pour quelques mois. Je suis très heureux de tout ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui.
Tu as beaucoup de tatouages. C’est un plaisir personnel, ou c’est qu’ils ont une signification ?Oui, chaque tatouage a sa signification. Ce sont des moments de ma vie. Le dernier que j’ai fait remonte à quatre ou cinq ans, mais j’en suis fier, ils me rappellent mon passé.
Tu as un caractère bien trempé, ce n’est pas nouveau. Tu réponds aux gens qui disent de toi que tu es un mauvais garçon ?C’est mon caractère… Je pense que si je n’avais pas été un peu comme ça, je n’aurais pas réussi tout ce que j’ai entrepris dans ma vie. Quand tu grandis dans un pays en guerre et économiquement pauvre, les choses sont dures. Si tu ne te bats pas, tu ne peux pas réussir. Après, aujourd’hui, je suis plus calme et je m’énerve beaucoup moins, donc ça va ! (rires)
Propos recueillis par Benjamin Asseraf