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Francis Coquelin : « J’aime manier le ballon, pas faire des tacles »
À 30 ans, Francis Coquelin a bien roulé sa bosse. Entre Arsenal, Valence et aujourd’hui Villarreal, l’enfant de Laval n’a en effet jamais baissé de régime. Un sérieux que le principal intéressé raconte, entre ambition et modestie.
Francis, revoilà Villarreal sur le devant de la scène continentale. Qu’est-ce que ça t’inspire ?C’est une fierté immense. Villarreal enchaîne quand même sur deux saisons au plus haut niveau européen. Entre la victoire en Ligue Europa l’an dernier et notre parcours actuel en Ligue des champions, on peut difficilement faire mieux. Il s’agit d’un exploit énorme, surtout quand on sait que les supporters attendent cette aventure depuis 2006. On ne s’en rend pas forcément pas compte vu de l’étranger, mais c’est une petite ville qui s’est installée au premier plan, toute seule.
La défaite infligée à la Juventus (0-3 à Turin) a particulièrement marqué les esprits. Les gens ne s’attendaient sûrement pas à nous voir à ce niveau. Après le match nul à l’aller, on savait qu’on pouvait vraiment les embêter. Au retour chez eux, nous avons subi pendant une dizaine de minutes, mais en voyant qu’ils ne marquaient pas, on a compris que ça allait tourner en notre faveur.
L’un des artisans de ces performances, c’est Unai Emery. Tu comprends qu’en France, les gens aient gardé une image mitigée de son passage au Paris Saint-Germain ?Mais j’ai envie de dire : quel entraîneur est sorti indemne du PSG ? C’est pareil pour Ancelotti, Tuchel ou aujourd’hui Pochettino. Concernant le coach Emery, la désillusion à Barcelone lui a énormément porté préjudice. Et malheureusement, c’est cette image que les gens ont « choisi » de garder de lui. Mais très vite, il a prouvé que ses qualités d’entraîneur restaient intactes. Il a emmené Arsenal en finale de la Ligue Europa, avant de la gagner avec nous. En fait, c’est simple, Unai Emery, c’est un entraîneur à messages. Il a des plans précis en tête, transmet énormément à ses joueurs et communique beaucoup pour savoir si tel dispositif nous convient. On respecte énormément ce monsieur pour son expérience.
Tu le ressens sur le terrain ?C’est un coach qui aime construire des groupes et fédérer autour de lui. À Paris, peut-être qu’on ne lui a pas laissé le temps nécessaire. Ici, quand il donne ses consignes, nous essayons de les appliquer à la lettre parce qu’on sait qu’il est dans le vrai. Par exemple, lorsqu’il me fait entrer contre la Juve, nous étions à 0-0, à l’extérieur. Mais à aucun moment, il ne m’a demandé de verrouiller ou de tenir le match nul. J’avais pour consigne de me projeter et de prendre l’espace sur chaque appel de Gerard Moreno. Résultat : sur l’une de mes premières courses, j’obtiens un penalty et on ouvre le score. Derrière, on les assomme comme il faut.
Et donc, que va viser Villarreal pour cette fin de campagne européenne ?Je vais me la jouer footballeur sur ce coup : on prend les matchs les uns après les autres. (Rires.) Honnêtement, une fois que tu dépasses les huitièmes, tu sais que tout est ouvert. À nous de faire le travail maintenant, et dans les pires des cas, c’est déjà super d’avoir atteint les quarts de finale. Je vais donc me faire discret et éviter de m’avancer sur le résultat final.
La discrétion, c’est d’ailleurs un élément qui te caractérise plutôt bien, puisque tu te fais rare dans les médias. La volonté de rester à l’écart ?En France, c’est vrai que les gens ne me connaissent pas beaucoup. Disons que certains footballeurs attirent naturellement la lumière et sont friands de l’aspect médiatique. En ce qui me concerne, j’essaye avant tout de me focaliser sur l’essentiel : le football et la vie de famille. Je ne veux pas m’éparpiller. Après, je suis quelqu’un d’ouvert hein ! Je ne veux pas donner l’image d’un mec chiant. (Rires.)
Ton départ pour Arsenal en 2008, à seulement 17 ans, a également pu influencer cet éloignement de l’Hexagone.À mon sens, c’est en grande partie dû à cela. J’étais en formation au Stade lavallois, en sachant que le groupe pro était déjà en National à cette époque. Mais tout s’est enchaîné quand j’ai fait mes débuts en équipe de France U17. Gilles Grimandi me supervisait et m’a vite fait savoir qu’Arsenal s’intéressait à moi. C’était un choc positif. Surtout qu’à cette époque, Arsenal, c’était encore une belle machine. D’ailleurs, la « mode » des jeunes Français qui signent en Angleterre revenait pile à ce moment-là. (Lassana Diarra à Chelsea en 2005, Abou Diaby à Arsenal en 2006 ou Gabriel Obertan à Manchester United en 2009 notamment, NDLR.)
N’as-tu pas eu peur que ce « choc » , dont tu parles, ne soit trop dur à assumer dans une institution comme Arsenal ?Vous savez, souvent, dans ces cas-là, les gens pensent : « Oui, ils s’en vont pour l’argent, ils précipitent leur carrière. » Mais ce sont des occasions à saisir. Pour ne parler que de mon histoire personnelle, j’étais en réserve à Laval, une petite structure, et d’un coup, je vois l’un des plus grands clubs du monde arriver. Vous imaginez ?! Mon premier réflexe a été de me dire que cette chance ne se reproduirait certainement plus jamais. Donc j’ai décidé de foncer. Je m’en serais voulu toute ma vie si je n’avais pas, ne serait-ce qu’essayé.
Pas trop brutal de passer de la Mayenne à Londres ? Surtout que derrière, tu es prêté plusieurs fois (à Lorient, Fribourg, puis Charlton).Non. (Rires.) Londres, c’est trop bien, mais moi, c’était focus football. S’il y a une chose que je me suis mise en tête, comme un robot, c’est de ne pas déconner en dehors des terrains. Attends, t’as la chance de jouer Arsenal et toi, tu penses à faire la fête ? Jamais de la vie. Et puis j’avais une relation « mature » avec monsieur Wenger. Ce n’est pas quelqu’un de bavard, donc quand il venait me parler, je savais que ce serait pertinent. Et ça a été comme ça durant toute ma carrière chez les Gunners. Je me souviens qu’il m’expliquait l’intérêt de chaque prêt et la progression qui en découlait. Finalement, la seule expérience qui m’a refroidi, c’était Fribourg, où ça s’est mal passé avec l’entraîneur (Christian Streich sur la saison 2013-2014, NDLR). C’est d’ailleurs ce passage en Allemagne qui m’a déterminé à réussir à Arsenal.
Et à quel moment tu comprends que la chance tourne en ta faveur ?Quand Arsène Wenger me rappelle de Charlton. Pourtant, en début de saison, c’est moi qui suis allé dans son bureau pour lui demander d’être prêté, car j’étais sûr de ne pas jouer. J’arrive donc à Charlton en novembre, mais Arsenal me fait revenir en décembre. Arteta, Ramsey et Wilshere étant blessés, j’étais l’un des seuls milieux encore disponibles. Ce moment m’a servi de déclic. Je me suis dit : « S’ils en viennent à te rappeler d’eux-mêmes, c’est qu’ils ont besoin de toi. Ne fais pas n’importe quoi ! »
Alors, ça faisait quoi d’être enfin titulaire chez les Gunners ? C’était magnifique ! Je me retrouve avec Santi Cazorla et Mesut Özil devant moi. Je pouvais leur envoyer des ballon pourris, ils les contrôlaient tranquille. L’entente que j’avais avec Cazorla m’a particulièrement marqué, il est vraiment impressionnant. Je pouvais faire ce que je voulais sur le terrain, je savais qu’il serait toujours là pour assurer.
À ce titre, on t’a souvent désigné comme un joueur dur sur l’homme. C’est assez paradoxal justement. J’essaye de changer ça, mais lorsque les gens évoquent mon nom, c’est souvent comme milieu défensif. On m’a mis dans la catégorie des « joueurs de devoir » , alors que ce n’était pas vraiment ce que je cherchais à être. Pour être honnête, je trouvais ça parfois un peu réducteur. J’ai grandi avec le futsal, donc j’aime avant tout manier le ballon, pas faire des tacles. (Rires.) Mais comme je le dis, les postes et les affinités techniques, ce sont avant tout des notions subjectives. J’étais prêt à jouer n’importe où, tant que l’équipe fonctionnait bien. Sans compter qu’il était difficile de jouer au technicien alors qu’il y avait Mesut, Santi ou Aaron dans l’équipe.
C’est cette volonté de jouer au ballon qui t’a poussé à rallier l’Espagne ? En tout cas, tu as été gâté en matière de coéquipiers…En grande partie, oui. J’arrivais en fin de cycle à Arsenal et quand j’ai vu que Valence s’intéressait à moi, je n’ai pas hésité. Idem pour Villarreal. J’ai pensé Liga, jeu, ballon et j’ai directement signé. Et c’est vrai que quand j’y pense, à Valence, c’était Geoffrey Kondogbia et Dani Parejo, aujourd’hui, c’est Étienne Capoue. J’ai plutôt eu de la chance. (Rires.)
Quand on fait le bilan de ta carrière : tu as évolué à Arsenal, à Valence, avant de t’installer à Villarreal. Malgré ce joli CV, il n’y a pourtant aucune sélection en équipe de France. C’est une anomalie ?Non, l’équipe de France n’est pas un regret. Je n’ai jamais eu de contact direct avec Didier Deschamps, mais je suis honoré d’avoir reçu des préconvocations durant mon passage à Arsenal. Évidemment, ça aurait été un honneur encore plus grand de représenter mon pays, mais ça ne s’est pas fait, et c’est tout. Et puis quand on regarde le vivier de joueurs qui évoluent à mon poste chez les Bleus, je ne peux qu’être admiratif et rester modeste. Les mecs sont champions du monde ! À mon échelle, je suis malgré tout content de ce que j’ai pu accomplir en club. Remporter deux fois la FA Cup, la Coupe du Roi avec Valence, dix ans après le dernier sacre du club, et offrir un premier trophée continental à Villarreal, c’est une petite fierté.
En dépit des blessures, tu as su tenir le choc pour t’épanouir à partir de tes 25 ans. Finalement, tu symbolises le « mieux vaut tard que jamais » .Longtemps, j’ai vécu ça comme une source de frustration à vrai dire. Dès que je me sentais prêt à 100%, boom, j’avais une blessure qui survenait. Le genou, la cheville, le dos, les muscles, j’ai tout eu. Et ça a été le cas durant mes quatre ou cinq premières années à Londres. C’est ce qui m’a empêché de décoller plus tôt que les autres, je pense. Mais j’ai pris mon mal en patience, attendant que mon moment arrive. Aujourd’hui, j’ai 30 ans et je peux pleinement profiter de mon football. C’est un soulagement absolu, et tant que mon tendon d’Achille me laisse tranquille, je sais que je peux continuer encore longtemps.
Propos recueillis par Adel Bentaha