- Euro 2020
- 8es
- France-Suisse (3-3, 4-5 t.a.b)
France-Suisse : ramenez vos croupes à la maison
Dans cette version de l'histoire, Vegedream ne trustera pas les charts pendant tout l'été. C'est bien dommage pour l'artiste, mais surtout pour cette équipe de France qui tombe de haut après son élimination en huitièmes de finale face à la Suisse. Il faut dire que les champions du monde en titre pensaient tellement connaître la chanson qu'ils en ont confondu refrain et rengaine.
Deux semaines. C’est le temps qu’aura passé l’équipe de France dans cet Euro. Pour un tennisman de la même nationalité, normalement, rester tant de jours en lice n’est même pas envisageable. Pour un cycliste du Tour de France, c’est le moment où il délaisse le général pour se focaliser sur le maillot à pois. Mais pour un footballeur évoluant sous les ordres de Didier Deschamps, faire ses bagages à ce moment est une première. Après un quart de finale au Brésil, mais surtout deux finales consécutives, le retour de bâton administré par les Suisses était aussi inattendu que douloureux. Mais il vient surtout mettre un point final à une séquence à laquelle les Bleus nous avaient trop rarement habitués. De l’annonce de la liste des 26 au tir au but de Mbappé finissant dans les gants de Yann Sommer, ils n’avaient jamais passé autant de temps à courir derrière le temps, justement.
Nos étoiles contraires
Reprenons les choses dans l’ordre. Entamer une compétition avec un patch sur le maillot et une seconde étoile au-dessus du blason signifiant un succès récent — la Coupe du monde 2018, faut-il le rappeler — impose déjà un poids, qu’on le veuille ou non. Ce statut de favori, les Bleus l’ont assumé sans broncher et en ont même pris la mesure dès leur entrée en Allemagne. Cela n’a pourtant pas empêché de voir les soupçons de suffisance fleurir autour d’eux au moment d’aborder la Hongrie. Après avoir terminé premiers de leur groupe, c’est en n°1 qu’ils ont repris ce lundi la main sur un match bien mal embarqué. Et dès l’instant où Paul Pogba — un homme qui n’avait plus marqué en sélection depuis la finale de Moscou — trouvait la lucarne, flottait autour de cette équipe la sensation qu’avec deux buts d’avance, plus rien ne pouvait lui arriver. Parce qu’elle pensait avoir toujours un peu de ce karma, parce que la solidité fait partie de leur ADN, parce qu’ils avaient déjà insisté sur l’importance de ce vécu pour aller loin, parce qu’ils ne connaissaient peut-être rien d’autre. C’était moins sous-estimer les Suisses que se surestimer soi-même. Mais ce fut suffisant pour que le scénario du renversement ne pèse trop lourd dans les têtes au moment d’entamer la séance de tirs au but. Le passé était trop présent, et que ce dernier peut parfois se montrer violent.
Cette erreur, Didier Deschamps n’a pas su l’éviter non plus. Bien au contraire. Du haut de sa réputation de gagneur infaillible, le sélectionneur s’est enfermé dans sa propre communication tout en adoptant un fonctionnement contre-nature. Jamais on ne l’avait vu avoir aussi peu de contrôle sur les événements. Mais le Basque semblait presque rechercher cet effet grisant de la prise de risques. Il était censé être écrit que Karim Benzema ne reviendrait plus à Clairefontaine tant que DD y était, mais il a voulu prouver qu’il savait régner sans diviser. Là encore, incorporer cet élément à la veille d’une compétition, sans lui avoir donné de repères en amont, a forcé le cours des choses. Sinon pourquoi l’aligner à chaque match en espérant que celui-ci débloque rapidement son compteur et s’éviter d’autres débats ? Pourquoi le sélectionneur s’est-il aussi infligé tant de paris tactiques du 4-4-2 losange, au 3-4-1-2 en passant par un côté droit Tolisso-Koundé ? Personne n’a demandé, si ce n’est pour la forme, à Didier Deschamps le pragmatique de devenir illisible. Cet homme a conduit la France au sommet grâce à ses principes et aujourd’hui, ses gars n’ont jamais paru si déboussolés.
Une histoire du temps
D’autres facteurs, subis ceux-là, ont aussi donné cette impression de perpétuelle course contre la montre. Il y avait une saison éprouvante à digérer, un timing réduit pour la préparation, deux premiers matchs joués face à un public tout acquis à la cause de l’adversaire, des chaleurs exténuantes compliquant la récupération, des blessures en pagaille à gérer, une bulle sanitaire pesante… Tant de cailloux qui s’accumulent dans les godasses et qui effritent petit à petit un groupe qui, s’il est resté solidaire d’après Didier Deschamps, a terminé son parcours usé. On pourra aussi évoquer Kylian Mbappé, obnubilé par l’idée de marquer de son empreinte cette compétition, au point d’accaparer la lumière, alors que la beauté de cette équipe était justement de former une constellation de talents. Il n’est pas question d’enlever notre « Merci beaucoup » donné il y a trois ans à Didier Deschamps et à cette équipe. Le temps, puisque c’est ça dont on parle, n’efface pas aussi facilement les choses. Mais il permettra aussi de mieux comprendre ce qui vient de nous tomber sur la tête.
Par Mathieu Rollinger, une dernière fois à Bucarest