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France-Croatie : le futur Modrić s’appelle Luka
Bien que l'on cherche à coller l'étiquette de futur Modrić sur tous les fronts des jeunes cracks croates, le milieu de terrain qui fêtera ses 37 ans en septembre peut toujours se targuer d'être le joueur indispensable de la sélection croate. Pas trop inquiet pour sa succession, les Vatreni préfèrent savourer les dernières années restantes de leur numéro 10, quitte à connaître un grand vide, que devront sans doute combler Mateo Kovačić et Lovro Majer.
« Avec Luka Modrić, c’est une tout autre équipe », se rend à l’évidence Zlatko Dalić après le match nul arraché contre la France lundi dernier (1-1). En ne l’évoquant qu’à demi-mot, le sélectionneur croate fait allusion à la gifle reçue par les Vatreni contre l’Autriche (0-3) quatre jours plus tôt lors d’une rencontre durant laquelle le demi-dieu local n’a joué que 32 minutes. À Split, le numéro 10 croate, titulaire aux côtés de Brozović et Kovačić, fête sa 150e cape sous le maillot à damier. L’occasion pour toute la Dalmatie, région dont il est originaire, de rendre un énième hommage à celui qui, du haut de ses 36 ans, est toujours le maître à jouer d’une équipe peinant à lui trouver un successeur. À l’approche du coup d’envoi, dans les rues menant au stade Poljud, il est difficile de mettre la main sur Slobodna Dalmacija, le journal local dont la Une rend hommage à Modrić. Le nom du Ballon d’or 2018 est pourtant partout, notamment au dos des nombreux maillots portés par des gamins et achetés sur le marché de Split. Certains supporters de Hajduk arrivent même à mettre de côte leur rancœur envers l’ancien milieu du Dinamo Zagreb et ses magouilles financières avec la fratrie Mamić, le temps de célébrer celui qui fait gagner la Croatie depuis tant d’années.
« Tu es notre capitaine, nous sommes à toi Luka »
Après avoir déplié un immense tifo sur lequel les locaux et polyglottes peuvent lire « Tu es notre capitaine, nous sommes à toi Luka », les 33 000 supporters présents au stade de Poljud se mettent à chanter « Modrić, Modrić, Modrić ». Suffisamment fort pour que La Marseillaise entonnée au même moment par le parcage tricolore ne doive cesser dès la deuxième phrase pour faire place à l’hommage. Avec leur milieu de gala, presque uniquement composé de trentenaires, les Croates règnent dans l’entrejeu, à tel point que l’on observe sans doute le premier raté d’Aurélien Tchouaméni chez les Bleus.
Les petits plats dans les grands pour la 150e du Roi Modrić 1er
La sortie de Luka Modrić à la 79e minute sous une standing ovation donne des airs de dernière danse, bien que son remplaçant, le jeune de 19 ans Luka Sučić, soit encore loin du niveau du joueur du Real Madrid. « Je suis heureux et fier d’avoir pu réussir cela avec la Croatie, commentera le capitaine à l’issue de la rencontre. Je ne m’y attendais pas, mais où que l’on aille, je suis fier et très heureux de l’avoir fait. » S’il souligne aussi l’apport essentiel des plus jeunes en seconde période qui égalisent sans lui sur le terrain, la Modrić-dépendance reprend de plus belle au match suivant, contre le Danemark. Submergée par le jeu de possession des hommes de Kasper Hjulmand, la Croatie doit de nouveau s’en remettre aux mains de son génie local pour débloquer la situation.
Alors que la charnière centrale qui jouait pour la première fois ensemble a fait des miracles face aux huit tirs danois durant les 45 premières minutes, le journal local Vecernji écrit : « Tous ces miracles de la première période ont été observés calmement et sans nervosité depuis le banc par ceux dont on pense ne pas pouvoir se passer : Luka Modrić et Mateo Kovačić. Et quand ils ont repris le jeu en seconde période, la Croatie semblait vraiment intouchable. » Les Vatreni, qui n’avaient alors que 42% de possession lors de la première période, passent à 60% en seconde. De même, la Croatie, qui n’avait réussi qu’un seul tir en 45 minutes, parvient à décocher huit frappes dans le deuxième acte, dont deux cadrés pour un but, celui de la victoire (1-0). Luka Modrić n’y est pas étranger : le métronome croate réussit plus de passes (47) qu’il ne joue de minutes, et ses cinq longs ballons trouvent des coéquipiers. À ses côtés, Mateo Kovačić déroule lui aussi, avec 34 passes réussies sur autant de tentées.
Kovačić et Majer, les élèves du roi
C’est d’ailleurs lui qui trouve grâce aux yeux du roi, qui devra un jour, c’est sûr, remettre sa couronne à un autre joyau croate au milieu de terrain. « Mon successeur en Croatie ou le joueur le plus talentueux, je pense que c’est Mateo Kovačić, affirmait Luka Modrić dans une interview pour Marca en ce début d’année. Même si ce n’est pas que le talent, il est déjà un joueur accompli. Il a joué dans de grands clubs comme l’Inter Milan, le Real Madrid, et maintenant il est à Chelsea où il se débrouille très bien. » Adoubé aussi par son sélectionneur, qui dit ne pas pouvoir se passer de son numéro 8 lorsqu’il est en pleine forme, Mateo Kovačić est loin de faire l’unanimité côté croate.
Trop timide lors de ses débuts avec les Vatreni, souvent blessé, et moins créatif que son idole, il peine à faire oublier celui qui est toujours maître en ses terres, et dépend encore beaucoup (trop ?) de ses exploits. Puisqu’il faut absolument coller des étiquettes de futur Modrić, la Croatie s’est récemment tournée vers un autre crack, issu de l’académie du Dinamo Zagreb, avec un style (pas seulement de jeu) similaire : Lovro Majer. Bandeau serré sur le crâne, entre le numéro 8 et le numéro 10, le milieu de terrain du Stade rennais pourrait être le successeur qu’attend désespérément la Croatie depuis plusieurs années. À un détail près : il n’a toujours pas réussi à faire gagner seul un match à l’équipe à damier, sans un coup de pouce de son idole, à qui il donnait la main lorsqu’il n’était qu’un gamin du centre de formation du Dinamo.
« Regarde, moi aussi je sais faire ! »
« Luka est le meilleur joueur de l’histoire des Balkans, il a déjà presque tout gagné, mais il continue d’être bluffant au quotidien, s’étonnait dans un entretien récemment accordé à So Foot celui qui a définitivement quitté le Dinamo à l’âge de 23 ans, comme son idole treize ans plus tôt. C’est surtout ça que je regarde : il a 36 ans, il arrive chaque matin motivé comme si c’était le premier entraînement de sa carrière, il est toujours à 100%. » Si, à 36 ans, le numéro 10 croate n’a aucune envie d’arrêter, quitte à forcer le jeune Lovro à s’exiler sur l’aile droite pour avoir le droit à du temps de jeu sous la tunique à damier, c’est sans doute la meilleure nouvelle pour une sélection qui peine déjà à combler certains postes laissés vacants après la Coupe du monde 2018, et les départs de Mandžukić et Subašić. Aussi parce qu’il représente cette génération qui a connu les premières heures de la Croatie, et qu’il est, en ce sens, un parfait héros national post-Yougoslavie.
Par Anna Carreau, à Split