Petite review du Allemagne-Turquie,un match très chouette, qui n’aura eu d’amical que son nom : vraiment ouvert, avec du jeu, du régal !
Les supporters turcs ne s’attendaient certainement pas à une si jolie performance de leurs ouailles, après les deux non-matchs catastrophiques contre la Hongrie (défaite 1-0) et la Serbie (math nul malgré des Serbes à 10 pendant toute la 2e mi-temps), imputables aux expérimentations peu inspirées de Şenol Güneş qui ont semé des doutes quant a ses capacités, du haut de ses 68 ans, à gérer un groupe jeune et des résultats sur la durée. Restait la justification de l’après-confinement, parfaitement légitime avec des joueurs qu’on aura vu grillé car n’ayant pas joué depuis des mois. Mais l’échec tactique de Şenol Hoca était tel et ses déclarations sur certains sujets (favorable à une limite des étrangers plus stricte en Süper Lig, l’incompréhension sur le cas Ferdi Kadıoğlu) ramenait les inquiétudes autour de sa personne.
Pour ce match, le sélectionneur turc repart sur un groupe désormais connu, avec aucun nouvel arrivant. Löw au contraire a à sa disposition un groupe largement prélevé d’ex U-21 allemands finalistes du tournoi européen de 2019 (Waldschmidt, Heinrichs, Koch, Tah, Amiri, Dahoud…), sans les usuels Kroos, Werner, Süle, Neuer, Sané… Il positionne ses joueurs dans un 3-4-2-1 qui couvre bien l’entièreté du terrain et favorise un jeu chatoyant et offensif au sol : une configuration originale mais que Löw semble affectionner depuis un moment désormais.
Güneş revient lui aussi à ses fondements, après ses bizarreries de Septembre, un 4-3-3 avec toutefois un retour de Kaan Ayhan, Okay Yokuşlu et Yusuf Yazıcı, Sangaré et Kaldırım en latéraux, le capitaine du sexy Alanyaspor Efecan Karaca titularisé à droite, et une chance redonnée à Emre Kılınç et Enes Ünal.
Des l’entame du match, c’est une rencontre très ouverte sans préliminaires : ça va et vient d’un but a l’autre. Les Turcs surprennent les Allemands par leur témérité et leur implication sans limite sur chaque construction et occasions, tandis que les Teutons affichent toute leur justesse tactique et techniques avec des contres chirurgicaux, qui pensent d’ailleurs ouvrir le score dès la 6e mais se font barrer par un toujours très bon Mert Günok forçant Draxler à être hors-jeu.
Mais les Turcs, toujours batailleurs, tiennent bons, et comptent sur un Efecan Karaca exalté sur son côté droit puis surtout sur une occasion en or de Yusuf Yazıcı, invraisemblablement oublié sur une percée d’Emre Kılınç, mais qui préfère viser les nuages plutôt que de crucifier Leno.
Ce premier avertissement rend tremblant les Allemands, malgré les dribbles chaloupés de Havertz qui se rapprochent de la surface turque, et très vite des largeurs se créent dans le système défensif de la Mannschaft, qu’exploitent à merveille les Ay-Yıldızlılar. En déployant un pressing agressif mais intelligent devant d’abord, Yazıcı solicite Leno à la 19e, pendant que Rüdiger (averti), Draxler et Neuhaus ne peuvent que faucher les joueurs turcs en particulier Efecan : toutes ces fautes laissent place à des coup-francs intelligemment exécutés mais qui ne trouvent pas le fond des filets.
Entre temps, Schulz répondra par une volée, mais les Allemands sont contraints à la frappe en dehors de la surface, ou à de rapide transitions et changements d’ailes pour enfin exposer les vulnérabilités de la défense rouge, avec une belle frappe de Draxler à la 40e. Draxler qui plein de sang-froid et superbement placé, parviendra à prendre à revers la défense adverse sur une mauvaise relance et marquer après une belle course là encore démarrée en contre, pile avant la pause.
Ce but est un véritable coup de poignard, pourtant Şenol Güneş semble avoir trouvé les mots à la pause car des le retour des vestiaires, une nouvelle interception dans le camp allemand propulse le ballon dans les pieds d’un génial Ozan Tufan, qui réalise un enchainement époustouflant éclipsant 3 joueurs adverses, pour crucifier Leno. Le jeu va alors s’accélérer de part et d’autre avec des percées de Cengiz Ünder, Draxler, Waldschmidt pour s’achever avec un joli travail entre ce dernier et l’ouverture de Neuhaus. Le temps fort allemand est là, autour de la 60e, avec des Turcs sonnés par des enchainements rapides et sévères : Mert Günok encore une fois se montre impérial et empêche une double punition juste après le second but.
Malgré les 3-4 dangereuses occasions concédées dans ce cours laps de temps, l’arrogance des Turcs ne faiblit pas et, sur un énième ballon récupéré en pressing haut, l’homme du match de ce soir Efecan subtilise plus que virilement le ballon à Neuhaus et vient ouvrir son compteur en sélection à la 66e. On va etre honnête, il y a faute sur Neuhaus, mais l’arbitre français semble avoir été trompé par le minuscule gabarit du bonhomme, tandis qu’il avait laissé Emre Kılınç se faire pogotter par Schulz en 1ere mi-temps sans broncher.
Des lors on sent la Mannschaft plus énervée mais pas plus brouillonne pour autant : les fautes se multiplient côté allemand, les allers-retours entre surfaces aussi, puis encore une fois sur un mauvais dégagement de la tête d’Ozan Kabak cette fois-ci, Waldschmidt décoche une belle reprise qui vainc Günok.
Et pour autant, les Turcs ne s’avouent pas défaits bien loin de là ! Karaman est auteur d’une belle entrée et frappe la barre sur un bel enchaînement. Les tuniques rouges se rapprochent encore par 2 fois de la surface blanche puis, une superbe combinaison Tekdemir-Tufan-Ünder-Ömür-Karaman pleine d’altruisme et de bon sens arrache le nul une bonne fois pour toute.
Coté turc, on notera une physionomie qui n’a rien à voir avec ce qu’on avait vu en Septembre et cela rassure : de la combativité en défense et un pressing agressif, de l’inspiration et de jolies combinaisons en attaques, avec plus de verticalité grâce aux deux ailiers enfin alignés. Les faiblesses résident essentiellement dans la prise par surprise et à revers des défenses turques sur des contres rapides ou des erreurs. La défense n’est peut-être pas exemplaire, mais elle dispose de talents purs (les tacles de Merih !), de très bons gardiens (Mert Günok ou Uğurcan Çakır) et d’une vraie grinta : juste l’ajustement et le replacement tactique sont à travailler car sinon trop de buts peuvent être encaissés. Gros point noir également sur les terribles erreurs encaissées, chose assez nouvelle : les 3 buts de ce soir sont issus à chaque fois directement d’une relance dans les pieds adverses qui a été immédiatement punie. Toujours interrogation sur le côté gauche du milieu également : qui mettre ? Emre Kılınç est courageux, mais il semble en-dessous du très haut-niveau pour l’instant, mais si ce qu’il a montré aujourd’hui laisse présager une possible amélioration. D’où l’importance que pourrait avoir d’ajouter au groupe Ferdi Kadıoğlu, brillant à Fenerbahçe mas jouant en U-21 néerlandais. Autre souci, en attaque, Enes Ünal manque clairement de muscles seul devant : le jeune homme est trop tendre malgré une intelligence dans le jeu et le placement certaine, il se fait manger constamment au duel.
Coté allemand, on set une machine redoutable dans les combinaisons comme en ont témoigné les innombrables contres : une erreur ou une interception, et tout peut aller très vite et surtout, avec une grande précision. En revanche, l’équipe d’hier soir a fait beaucoup d’erreurs auxquelles une équipe de ce standing ne m’avait pas habitué : des pertes de balles multiples dans ses 40 mètres, quelques erreurs dans les transmissions courtes, des lignes qui s’espaçaient rapidement face au pressing turc menant à des interventions en retards.
Sur la performance des joueurs, Mert Günok a encore montrer aux partisans de l’excellent Uğurcan Çakır qu’il demeurait un super gardien : il sauve les Turcs de la noyade à des instants clés et est réellement démuni sur les buts allemands. A revoir cependant son jeu au pied, catastrophique en 1ere mi-temps.
En défense centrale, Merih Demiral, pour ses premieres 90 minutes depuis bien longtemps, nous a montré le tank qu’il est, avec des interceptions toujours démentielles (ce tacle dans la surface !). On attend qu’il ait plus de temps de jeu néanmoins parce que mine de rien, on sent qu’il est moins frais qu’il y a 1 an. Son partenaire Kaan Ayhan, le moins fringuant des 4 pépites, retrouve une place de titulaire en charnière centrale : sans être mauvais, il est l’auteur d’une mauvaise remise sur le 1er but.
En latéral gauche, Hasan Ali Kaldırım a comme toujours été correct dans l’effort défensif mais n’aporte pas le danger qu’il faut dans ses montées, la faute a sa qualité de centre assez misérable. Bonne surprise sur le coté droit par contre, avec un Nazım Sangaré survitaminé, un vrai athlète tant par sa vitesse que sa contribution physique : un pur piston auquel il manquerait une touche de technique pour les centres.
A la récupération, Okay Yokuşlu était titularisé après une longue absence : il apporte toujours cette puissance bienvenue au milieu, et a parfaitement comblé l’espace entre le milieu et la défense centrale, mais ratisse moins qu’avant. Son partenaire et capitane Ozan Tufan est lui auteur d’un match XXL. Le mal-aimé du football turc a encore démontré ses aptitudes magistrales et si variées : il court, récupère le ballon, distribue correctement, monte, dribble balle au pied (cette percée à un moment !), et frappe ! L’enchaînement qu’il réalise sur son but est tout simplement grandiose. Plus haut, Yusuf Yazıcı prouve encore une fois que c’est un vrai talent technique (ses cpa en 1ere MT sont savamment tirés) mais bon sang qu’il est frustrant ! Je comprends les supporters lillois, le gars a une facilité telle balle au pied, il n’aurait juste qu’à s’appliquer un peu plus, et les frappes qu’il rate en 1ere mi-temps termineraient au fond.
Sur l’aile droite, Efecan nous a proposé une prestation merveilleuse : infatigable dans ses efforts sans limite, labourant son côté droit, harassant les Allemands tel un chien enragé, puis se faufilant adroitement entre eux, n’étant arrêtable que par la faute. Il est récompensé par 1 but (certes litigieux) qui lui donne les larmes aux yeux, puis sort cuit tellement il se sera donné : la définition même d’honorer la sélection et de mouiller le maillot. Son pendant à gauche, Emre Kılınç se sera montré moins timide que lorsqu’il avait été testé en Septembre. Quelques belles montées, quelques belles combinaisons et quelques belles passes ainsi que des efforts nets dans le repli, mais il manque encore de tranchants pour être au même niveau que ses pairs.
Devant Enes Ünal nous l’avons vu plus haut, a été relativement isolé comme souvent. Toutefois, il a toujours le don de très bien se placer, et n’a pas été servi 1-2 fois alors qu’il était seul devant le but. Toujours altruiste, on l’a vu descendre et remiser intelligemment avec ses coéquipiers. Mais la encore le jeunot se fait dévorer tout cru sur les duels, il manque terriblement de muscles pour s’imposer à ce niveau.
Côté entrants, Dorukhan Toköz (46e) a joué son rôle au milieu en couvrant beaucoup de terrain, mais sur le 2nd but il oublie de suivre Neuhaus qui part marquer. Cengiz Ünder (46e) lui, a semblé retrouvé des couleurs : dans tous les bons coups en 2nde mi-temps, étonnamment plus dans l’axe, il est décisif sur le 3e but final. Kenan Karaman (63e) a quant à lui enfin proposé une prestation marquante : enfin a-t-il su fructifier ses qualités, avec des actions cette fois imprégnées d’intentions. Ses interceptions, dribbles et positionnement ont toute amenées du danger (la barre rappelons-le + but). Ozan Kabak (75e) en revanche a montré qu’il éprouvait véritablement un malaise, après son transfert avorté au Milan AC : je note une belle montée balle au pied, qu’il avait déjà démontré en Septembre d’ailleurs, mais aussi une remise de la tête pile dans les pieds allemands sur le 3e but. Dernier entrant, on a enfin revu un peu d’Abdülkadir Ömür (85e) et, du peu qu’il a été présent, il a rappelé le talent qu’il était notamment avec cette remise généreuse et inspirée pour Karaman sur le 3e but.
Pour finir un petit mot sur Emre Can, le gars aura été un combattant tout le match, plus que ça même : j’ai rarement vu un joueur mettre autant de cœur à s’agiter contre l’équipe de son pays d’origine. Hors de lui sur le but litigieux d’Efecan, il récolte un jaune après une contestation disproportionnée, se distinguant surtout en étant le seul Allemand à venir broncher avec autant d’ardeur. Drôle d’image aussi sur le but final turc, où le Emre Can sourit en observant la joie de ses adversaires :
https://twitter.com/norvecteturk/status … 28/photo/1
A noter enfin son interview à la chaine turque TRT Spor : le journaliste s’adressait à lui en turc, tandis que le joueur répondait…en allemand ! Alors était-ce parce que son turc est faible ? On a pourtant déjà vu Emre Can parler en turc, et il communique avec certains joueurs de la sélection turque (Merih Demiral entre autres). Etait-ce parce qu’il a voulu éviter toute polémique après l’incident Özil? Type de polémiques dont il a déjà réchappé de peu (il avait liké un post de Cenk Tosun souvenez-vous).
Lien ou pas également avec cette rencontre, j’ai trouvé Nazım Sangaré et Kenan Karaman bien meilleurs que d’habitude : était-ce parce qu’ils évoluaient contre leur pays de naissance ? La même remarque ne s’applique pourtant pas ni à Hasan Ali ni à Kaan Ayhan, natifs d’Allemagne mais auteurs d’un match quelconque.
Bref je voulais aborder ce dernier petit point car on entend tout et n’importe quoi su les choix de sélection des Turcs d’Allemagne, et hier soir était l’occasion d’observer ces relations. En tout cas, un consensus se dégage chez les supporters turcs, c’est qu’ils respectent et comprennent évidemment les choix de représenter l’Allemagne (ou un autre pays) mais préviennent toutefois qu’il ne faudra pas venir pleurer ensuite si un jour le joueur viens se plaindre d’un racisme, ou d'un quelconque autre mal-être trahissant un potentiel regret.