L'histoire est assez longue est pas très intéressante. Je vais essayer de la rendre plus courte est plus intéressante.
Lors de ma classe prépa, j'étais en internat. La première année, c'était le proviseur qui attribuait les cothurnes. Je me retrouve avec un mec très bizarre, autant physiquement qu'intellectuellement. Le genre de mec qui le soir, avant de se coucher, alors que moi j'écoutais Jacek Kaczmarski ou les Pink Floyd, préférait le doux son de la voix d'Adolf Hitler et de Joseph Staline. Oui, ça vous pose le personnage. Très fort en maths, complètement inculte, incapable de tenir une discussion de plus de trois phrases.
Et fan de Dostoïevski. Il a passé un an à relire, pour la deuxième fois de sa vie, Les Frères Karamazov. Pendant le même temps, j'ai fini Voyage au bout de la nuit, L'Archipel du Goulag, une grosse soixantaine de San-Antonio, quelques Boris Vian/Vernon Sullivan, un livre de Jared Diamond, et cinq ou six autres bouquins. Sachant que nos temps de lecture étaient identiques, voire même supérieur pour lui... Pas un grand lecteur donc. Rien de mal à ça. Sauf qu'il se proclamait grand connaisseur de la littérature russe : il n'avait jamais lu Tolstoï ni Soljénistyne ni aucun autre auteur que Fédor. Et encore, il n'avait fait que lire deux fois Les Frères et une fois Crime & chatiments.
Un soir, je lui propose de lui prêter un Soljénitsyne puisqu'il n'en avait jamais lu. Il refuse catégoriquement. Je lui demande pourquoi. "Tu n'as pas à savoir". Certes. J'essaye d'engager une discussion littéraire, en lui demandant, si je voulais lire Dosto, ce qui était intéressant selon lui. Incapable de me répondre. Il me dit "C'est sympa". Bon. Nos discussions littéraires en restèrent là.
Et puis un jour, je lui prête un travail de philosophie qu'il n'avait pas fait, en lui demandant de le remettre dans ma pochette quand il aurait terminé pendant que j'allais regarder un match dans une autre chambre. Quand je rentre, il dort. Je ne le réveille pas. Le lendemain, nos horaires étant très différents - je me réveillais quand il partait en cours, malgré le fait que nous commencions à la même heure dans la même salle -, je n'ai pas l'occasion de lui poser la question. Je compte sur sa bonne fois.
Et puis à 10h, je me rends compte que je n'ai pas le travail de philosophie. Je lui demande. Il me dit : "je l'ai rangé dans mes affaires dans mon bureau". Je lui demande d'aller le chercher. Il refuse. Comme j'ai pas envie de me faire niquer, je pars le chercher moi. Le soir, je lui en fais la reproche et le ton monte, parce que c'était pas la première fois qu'il me faisait des trucs comme ça. Et là, y a un moment où je lui dit : "tes parents ne t'ont pas appris la politesse et le respect ?". Il n'a visiblement pas apprécié. Il a sorti son couteau de sa poche - oui, il avait H24 un couteau dans sa poche -, l'a ouvert et me l'a pointé sur ma gorge. Je me suis excusé platement, et j'ai passé une heure dans la salle de bain le temps qu'il se calme.
Depuis, à chaque fois que j'essaye de lire Dostoïevski, j'ai cette image dans la tête. Voilà comment vous dégoûter d'un excellent auteur.