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Fletcher, le miraculé oublié
Jugé perdu pour le football de haut niveau il y a encore un peu plus d'an, Darren Fletcher a pris son temps avant de revenir. Fringant et physiquement sans gêne, l'Écossais a livré des prestations encourageantes durant la pré-saison de Manchester United. Et si l'ancien soldat d'Alex Ferguson devenait l'un des hommes de base de Louis van Gaal ?
L’anecdote a de quoi vous faire esquisser un sourire. Alors qu’il est sur le flanc depuis janvier 2013 en raison d’un corps qui n’en finit plus de vaciller, Darren Fletcher raconte, sept mois plus tard, le calvaire qu’il vit à travers les yeux de ses enfants. Non sans une certaine once d’ironie : « Mes enfants veulent voir leur père jouer pour l’Écosse et Manchester United à nouveau. Ils ne sont pas contents de savoir que ma note à FIFA a baissé. Ils ne cessent de me répéter : « Pourquoi as-tu seulement 79, papa ? » Et je leur réponds que j’ai l’habitude d’avoir une bonne note, mais cela fait un certain temps que je n’ai pas joué. J’oscillais d’habitude entre 82 et 83. J’ai donc besoin de revenir sur les terrains ! »
Un long et interminable chemin de croix qui s’est enfin terminé le 15 octobre dernier. À l’occasion d’un déplacement de Manchester United à Aston Villa, le milieu de terrain effectue son grand retour sur les rectangles verts. Le temps venu, sous l’acclamation des supporters mancuniens présents à Villa Park, de pleinement savourer. « Ça y est, je suis de retour pour de bon. J’ai toujours cru que je reviendrais, je n’avais que ça à l’esprit, confiait-il, l’air béat, après la rencontre. Je pense que d’autres personnes autour de moi ont essayé de me faire croire le contraire, mais je suis resté fort. Depuis que je suis gamin, je voulais jouer au football. J’ai eu la chance de jouer pour Manchester United et je n’allais pas renoncer à cela aussi facilement. J’ai lutté, je suis âgé seulement de 29 ans et je pense que j’ai encore quelques années devant moi. Revenir et obtenir une telle ovation des fans prouve que tout cela en vaut la peine. » Et, évidemment, pour son comeback, les Red Devils l’ont emporté.
Pièce maîtresse au physique de cristal
Parce que, depuis les premiers émois, l’histoire entre United et l’abstinent écossais s’inscrit sous le signe du succès. En 322 matchs disputés, celui qui a rejoint le centre de formation mancunien à l’âge de douze piges compte 64% de victoires avec. Loin de se révéler anodin. À chacune de ses apparitions, le longiligne blondinet étale sa panoplie. Garant de l’équilibre de l’équipe, il en est son aboyeur, sa rampe de lancement, celui chargé d’effectuer la transition entre la défense et l’attaque. Un travailleur de l’ombre aux tâches éminemment nécessaires. Un talent dont tout le microcosme du ballon rond s’est paradoxalement rendu compte lors de son absence en finale de C1, en 2009, face au Barça. Coupable d’un tacle trop appuyé sur Fàbregas contre Arsenal en demi-finale retour, il écope d’un carton rouge et se voit privé du prestigieux rendez-vous. Ce qui vaut à José Mourinho quelques mots délicats : « Fletcher est plus important que ce que les gens pensent. Son travail au milieu de terrain, en particulier dans les zones de combat du milieu, est très important lors des matchs cruciaux. United va manquer de rythme et d’agressivité dans les actions défensives : Fletcher « mange » ses adversaires lors des phases de transition défensive. Je crois que Xavi et Iniesta sont heureux de ne pas le voir jouer. » La suite, on la connaît. Les hommes de Ferguson déjouent à Rome et les Catalans trônent sur le toit de l’Europe. De là, aussi, est née la « légende » de Fletcher.
Sauf que ce dernier a toujours dû être utilisé avec parcimonie par Fergie. À l’instar de Park Ji-Sung réservé pour les grandes échéances, mais pour des raisons sensiblement différentes. Depuis le commencement de sa carrière, l’enfant de Dalkeith est contraint de cohabiter avec un physique chancelant. Ainsi, en douze saisons de Premier League, le joueur n’a jamais dépassé la barre des trente matchs. La faute à des problèmes musculaires et, depuis décembre 2011, à un mal bien plus grave : une rectocolite hémorragique. Une maladie incurable, nécessitant un traitement médicamenteux à vie, difficilement conciliable avec l’exigence du haut niveau. Après un long repos forcé de 280 jours, Darren revient en grande pompe en septembre 2012. Avant de rechuter en janvier 2013. Mais Ferguson l’assure haut et fort, son inoxydable soldat reviendra : « Il a un caractère fantastique, c’est un garçon brillant. Il fera de son mieux pour revenir, comme il l’a toujours fait, n’ayez aucun doute là-dessus. »
Nommé vice-capitaine sous Van Gaal
La figure emblématique écossaise n’aura pas le privilège d’assister au retour de son compatriote. C’est son successeur, David Moyes, qui se charge donc de l’orchestrer lors de ce fameux match contre Aston Villa. « C’est un grand bol d’air frais, s’enthousiasmait-il au terme de la rencontre. Nous ne pensions pas qu’il puisse revenir. Le faire jouer, c’est presque comme avoir une recrue. Sauf qu’il connaît tout de la maison. » Le miraculé reprend progressivement goût aux duels et à l’intensité requise lors des joutes outre-Manche. Fletcher boucle l’exercice 2013-2014 avec un total de dix-huit matchs toutes compétitions confondues dans les jambes. Mais les questions quant à son avenir à Manchester subsistent fortement. Le bonhomme, âgé de trente piges, a-t-il encore le coffre nécessaire pour jouer un quelconque rôle dans l’effectif mancunien ?
Le nouveau manager des Red Devils, Louis van Gaal, a vite dissipé toute ambivalence durant la tournée américaine du club cet été à ce sujet. Sans véritable recrue majeure au milieu hormis Herrera (un secteur où le bât blesse depuis plusieurs années pourtant) conjuguée à la blessure de Carrick (absent encore 6 à 8 semaines), le technicien néerlandais a remis en selle le précieux Écossais, lequel a pris part à presque tous les matchs de préparation et n’a jamais semblé aussi affûté. « Van Gaal sait ce qu’on est capable de faire, mais il nous demande beaucoup, révélait-il début août. Les joueurs répondent présents et sont heureux de jouer dans un nouveau système. Nous avons retrouvé un vrai esprit d’équipe et nous tirons tous dans le même sens pour le meilleur de United. Beaucoup de joueurs expérimentés sont partis, c’est à nous de reprendre les choses en main. » Ça tombe bien, puisque la « Tulipe de Fer » vient tout juste de nommer vice-capitaine celui qu’il estime être un « leader naturel » et un « joueur expérimenté et populaire dans le vestiaire » .
Étoile filante
Mais Fletcher est également un élément dévoué qui trouve sa motivation en se confrontant aux meilleurs, comme il le confessait lors de cette déclaration truculente en 2009 : « J’aime le fait de jouer contre les meilleurs joueurs du monde et il y en a beaucoup en Premier League. Je vois combien ils sont bons, mais quand nous les jouons, je me dis : « Bon, je vais voir à quel point vous l’êtes vraiment. Fàbregas, Lampard et Gerrard, je vais vous défier et voir si vous allez aimer ça. Quand vous n’aurez pas le ballon, je serai derrière vous et verrai si vous allez apprécier ça. Je vais vous demander : Voulez-vous vivre ça ? Aimez-vous prendre des coups ? Aimez-vous le fait que je vais être sur votre dos pendant 90 minutes ? Dès que vous aurez la balle, je serais face à vous. Vous n’allez vraiment pas aimer ça. Quand nous aurons le ballon, je vais vous faire courir et vous obliger à me suivre. Êtes-vous prêts pour cela ? Parce que c’est ce qui va se passer. » » Les années de galère enfin enfouies, Darren Fletcher veut prouver qu’il demeure encore un milieu de haut rang. Et pas seulement une étoile filante.
Romain Duchâteau