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Fernando Signorini : « Messi sait comment gérer son physique »
Lionel Messi n’avait joué qu’une trentaine de minutes à Reims cette saison, mais son sélectionneur, Lionel Scaloni, avait été très clair : il comptait bien faire jouer les trois matchs de qualification à la Coupe du monde 2022 à son capitaine. Si le néo-Parisien a déjà enchaîné 90 minutes au Venezuela, où il a failli perdre une jambe sur un tacle assassin, les cinq minutes de match (interrompu) contre le Brésil devraient rassurer les supporters et le staff du PSG, avant un dernier match contre la Bolivie ce jeudi. Alors, à 34 ans, peut-il encore enchaîner les matchs ? Préparateur physique historique de Maradona et de Messi lorsque que le Pibe de Oro était sélectionneur de l’Albiceleste, Fernando Signorini, 70 ans, livre son analyse.
Avec seulement 30 minutes dans les jambes avec le PSG, est-ce raisonnable que Messi prenne part aux trois matchs de la sélection ?Si le sélectionneur a pris cette décision, c’est parce qu’il dispose de beaucoup d’informations au sujet de la condition physique de son joueur. Il est en contact permanent avec lui. En plus de cela, Leo a une expérience suffisante aujourd’hui pour savoir comment il doit gérer ses efforts pendant un match. Ce n’est pas le genre de joueur qui va faire des courses supplémentaires s’il n’y a pas le besoin. Ce sont sûrement ses coéquipiers qui vont davantage en faire. De ce point de vue, je pense qu’il n’y a pas de problème.
Êtes-vous surpris de le voir encore capable d’enchaîner les matchs à 34 ans ?Ce sont des cas exceptionnels qui arrivent à maintenir un niveau très élevé malgré leur âge. Pour moi, Leo est comme un chat qui chasse des souris. Comme Diego ou d’autres grands joueurs, ce sont des types qui sont nés pour ça. Là où il n’arrivera plus à être présent en raison de sa condition physique, il va le compenser par son expérience. Je crois qu’aujourd’hui, Leo a une intelligence tactique et stratégique plus importante. Il sait comment gérer son physique. Avec moins d’effort, il parvient à garder l’efficacité qu’il recherche.
Comment gérer un joueur comme lui ?Si tu veux l’aider, comme pour tout le monde dans un effectif, la première chose à faire, c’est apprendre à le connaître, gagner sa confiance dans le traitement au quotidien, l’écouter et ne surtout pas l’obliger. Qui pourrait vraiment avoir l’autorité pour imposer quelque chose à Messi ? Dans ce genre de situations et avec ce type de joueurs, il faut mettre son orgueil de côté, être à son écoute et prendre soin de lui au maximum. Les entraînements doivent être rationnels. Tu ne peux pas l’emmener sur un terrain où tu vas mettre en danger ses qualités et son potentiel. C’est la responsabilité du staff technique, mais aussi du joueur.
Vous aviez discuté de sa préparation physique avec Maradona avant le Mondial sudafricain ?Avec Diego, on avait défini que comme il y avait très peu de temps pour préparer l’équipe, prétendre imposer un nouveau système de préparation était beaucoup plus risqué que potentiellement bénéfique. On faisait deux séances par jour. Une le matin et l’autre l’après-midi, davantage axé sur le ballon avec Diego. L’entraînement du matin proposait plusieurs options : le terrain, le gymnase ou aller voir les physiothérapeutes. On transférait la responsabilité du choix aux joueurs parce qu’on estimait que personne d’autre qu’eux-mêmes n’étaient en capacité de connaître leurs besoins. D’autant plus que chacun vient d’une équipe différente avec d’autres habitudes d’entraînement. Leo, lui, choisissait toujours la même chose. Faire un tennis-ballon avec Di María et Agüero. D’autres préféraient aller à la musculation ou avec les masseurs. Chacun doit faire des choix intelligemment et avec le plus de bon sens possible.
Si on met de côté son expulsion contre le Chili à la Copa América en 2019 et un match amical contre le Nicaragua cette même année, Messi a toujours joué l’intégralité des matchs de la sélection depuis 2016 (il était entré en deuxième mi-temps du troisième match de la phase de poules de la Copa América contre la Bolivie, NDLR). Est-il possible de parler de gestion de temps de jeu avec lui ?
C’est une discussion à établir avec lui. Le staff médical peut lui expliquer s’il y a oui ou non des risques à ce qu’il joue. Quand Diego était sélectionneur, je me souviens d’un match amical contre la Catalogne dirigée par Johan Cruyff. Avant cette rencontre, nous avions parlé avec Leo et on l’avait convaincu que c’était un match qui n’avait pas beaucoup d’intérêt pour lui. Il était préférable qu’il se repose, d’autant que c’était pour nous l’occasion de voir d’autres joueurs. Il l’a parfaitement compris. J’entends souvent que Leo ne veut jamais sortir ou qu’il souhaite toujours jouer. Ça dépend. Surtout de qui est à la tête de l’équipe et de quelle manière le sujet est abordé.
Quand c’est Maradona qui lui dit ça, c’est forcément un peu plus simple.Évidemment.
Mais ce n’est pas parfois un peu inconscient de vouloir tout le temps jouer ?Pas du tout. Ces types-là sont des passionnés. Si Leo était inconscient, il n’aurait jamais pu arriver à un niveau comme le sien.
C’est un joueur qui a connu assez peu de blessures graves durant sa carrière. Jeudi dernier, on hallucinait de le voir sortir indemne sur le tacle appuyé du défenseur vénézuélien. N’importe quel joueur s’en serait sorti avec une jambe fracturée. Pas lui.Parce que, je le répète, des joueurs comme lui sont dotés de capacités qui ne sont communes à presque personne. Il a une incroyable coordination neuro-musculaire. Cela le protège de situations qui pourraient mettre d’autres joueurs en danger de blessures. C’est dur d’expliquer quelqu’un comme ça. Comme Diego, ce sont des athlètes exceptionnels qui ne sont pas nés pour être expliqués. Ils sont venus au monde pour être admirés et aussi pour rompre beaucoup de certitudes que peut avoir la science du sport. Parce que ces gars-là sont différents de tous. Ils ne ressemblent qu’à ceux qui sont comme eux. Il faut leur rendre hommage et, en ce qui concerne Leo, le traiter avec beaucoup d’affection. Parce qu’en plus de ça, c’est un garçon adorable.
On l’a souvent vu jouer en Liga quelques jours seulement après avoir passé les fêtes à Rosario.Diego le faisait aussi. En quinze jours, il lui arrivait de jouer cinq matchs dont trois avec la sélection argentine. Il devait donc faire un voyage intercontinental, revenir et encore jouer. Est-ce que tout le monde pourrait le faire ? Non. Mais eux peuvent le faire. C’est pour ça qu’ils sont ce qu’ils sont.
Il va quand même avoir 35 ans en juin prochain. Ne faut-il pas quand même commencer à penser à gérer son temps de jeu ?Il faudrait l’évaluer. C’est pour ça que le dialogue avec lui est très important, comme l’opinion du staff médical. Avant une Coupe du monde, Diego se préservait toujours un peu plus. Si dans une rencontre, il y avait 3-0 en deuxième mi-temps après quinze minutes de jeu, il sortait. Pourquoi continuer à tout prix et prendre un risque ? Ce serait presque faire preuve de manque de connaissance et d’intelligence. C’est au joueur et au staff technique de savoir prendre les bonnes décisions. Je crois que là où il faut le protéger le plus, c’est aux entraînements. Il y a des matchs tous les quatre ou cinq jours. Les entraînements, c’est tous les jours. Il ne faut pas épuiser son système de récupération d’énergie physique et surtout ne pas le stresser au niveau mental.
En pensant à son futur en sélection, comment vous observez son arrivée à Paris ?Je crois que c’est un très bon choix parce qu’il a besoin d’arriver au Mondial en forme d’un point de vue physique, mais aussi émotionnel. S’il était resté à Barcelone, il n’aurait sûrement pas eu une équipe à la hauteur de ses attentes. Le Barça ne ressemble plus à ce qu’il était. Je crois qu’à Paris, il va avoir beaucoup plus de possibilités de répondre à ses envies et ainsi d’arriver à la Coupe du monde avec un état d’esprit positif. Évidemment, il faudra que les résultats l’accompagnent.
Propos recueillis par Georges Quirino Chaves, à Buenos Aires