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Fanny Renou : « On ne peut pas démissionner d’un CDD »
La relation entre André Villas-Boas et l'Olympique de Marseille a tourné au vinaigre et s'est conclue en eau de boudin. Dix-huit mois après son arrivée, l'entraîneur portugais a présenté sa démission lors d'une banale conférence de presse, avant d'être finalement mis à pied à titre conservatoire par ses dirigeants. Si la mise à la porte semble s'être opérée en un laps de temps très court, le point final est encore loin d'être posé. L'occasion de clarifier la situation avec Fanny Renou, avocate au barreau de Paris intervenant en droit du travail et droit du sport.
Peut-on démissionner et être finalement mis à pied quelques heures plus tard ?Dans le cas d’André Villas-Boas, il faut savoir qu’il est lié à l’OM par un contrat à durée déterminée. On ne peut pas démissionner d’un CDD. Le code du travail prévoit des causes de rupture du contrat spécifique dans le cadre d’un CDD, et la démission n’en fait pas partie. En revanche, on peut rompre un CDD avant son terme d’un commun accord. Juridiquement, la démission n’est possible qu’avec un CDI. Ce qui aurait pu se passer, c’est qu’André Villas-Boas demande à rompre son contrat avant son terme et que l’Olympique de Marseille accepte, et là on aurait été sur un commun accord. Ce qu’il a indiqué en conférence de presse, c’est qu’il aurait donné sa démission avant la conférence de presse, mais ce n’est juridiquement pas possible. Lors de cette même conférence, il a tenu des propos qui n’ont pas été appréciés par l’Olympique Marseille, le club a donc décidé de prononcer à son encontre une mise à pied à titre conservatoire dans l’attente d’une éventuelle procédure disciplinaire.
Pourquoi l’Olympique de Marseille ne peut pas licencier André Villas-Boas ?Le terme « licenciement » ne s’utilise pas dans le cadre d’un contrat à durée déterminée. On utilise le terme de « rupture anticipée » . Dans le cas d’André Villas-Boas, si l’OM souhaitait rompre son contrat à la suite d’une procédure disciplinaire, le club devra nécessairement se placer sur le terrain de la faute grave. La faute grave est définie par la jurisprudence, mais également par la Charte de la Ligue de football professionnel par l’article 614. La mise à pied à titre conservatoire, c’est la suspension du contrat de travail, le salarié est toujours dans les effectifs, mais ne travaille plus, car son contrat de travail est suspendu, et n’est plus rémunéré jusqu’au terme de la procédure disciplinaire. La mise à pied à titre conservatoire par l’OM est juridiquement logique, si le club veut se laisser la possibilité, au terme de la procédure disciplinaire, de rompre le contrat pour faute grave, car si on laisse un entraîneur exercer ses fonctions et qu’on lui reproche, au terme de la procédure disciplinaire, une faute grave, cela fragilise grandement le dossier dans le cadre d’un éventuel contentieux en contestation de la rupture.
La mise à pied est à titre conservatoire, en attendant l’engagement d’une procédure disciplinaire. Comment cela va-t-elle se dérouler concrètement ?À mon sens, André Villas-Boas va être convoqué dans les prochains jours pour un entretien par la direction de l’OM qui lui fera part des griefs qu’elle lui reproche. AVB aura la possibilité de répondre sur chacun de ses griefs. Ensuite, il y aura une procédure de conciliation conformément aux dispositions de la charte de la LFP, puis, en l’absence de conciliation, l’OM pourra notifier à André Villas-Boas la sanction. En présence d’un CDD, la faute grave est le seul mode de rupture dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Ce n’est pas comme dans le cadre d’un CDI où il y a plusieurs degrés de fautes qui peuvent être invoqués par l’employeur. Ils pourraient néanmoins partir sur un commun accord pour qu’il y ait une rupture de CDD sans procédure disciplinaire. Mais quand on lit le communiqué de presse de l’OM, il est très probable qu’il y ait une rupture anticipée du contrat pour faute grave, et non pas un licenciement qui n’est possible que pour un CDI. Est-ce que les propos tenus par Villas-Boas peuvent constituer une faute grave, ça c’est un autre débat. Si jamais il n’y a pas de contestation de sa part, on ne saura jamais comment ses propos auraient pu être appréhendés par les juges.
Si l’OM tente de justifier injustement une rupture anticipée pour faute grave, quelles pourraient être les conséquences ?Avant l’éventuel prononcé d’une rupture anticipée du CDD pour faute grave, il y a l’entretien préalable entre le salarié et l’employeur puis la phase de conciliation de la LFP, mais bien souvent, il n’y a pas de conciliation, et c’est par la suite que la rupture est notifiée au salarié. En cas de rupture, et si André Villas-Boas voulait la contester devant le Conseil de prud’hommes, le risque pour l’OM serait, si les juges estimaient que la faute grave n’est pas caractérisée, de devoir lui verser le salaire qu’il aurait dû percevoir durant sa période de mise à pied à titre conservatoire, puis lui verser ses salaires jusqu’à la fin de son contrat en juin 2021. Il pourrait également demander des dommages et intérêts, encore faudrait-il qu’André Villas-Boas justifie d’un préjudice particulier. Après, je ne sais pas si on ira au contentieux, même si Villas-Boas voit son contrat rompu pour faute grave, parce qu’il avait indiqué que lui ne souhaitait pas d’argent de l’Olympique de Marseille. Est-ce qu’il va changer son fusil d’épaule du fait de la procédure en cours ? On verra.
Quelles sont les prochaines étapes pour l’Olympique de Marseille ?À mon sens, la procédure disciplinaire va être très vite lancée. Je ne serais pas surprise qu’André Villas-Boas soit convoqué dès la semaine prochaine dans le cadre d’un entretien et qu’ensuite il y ait une saisine de la commission juridique de la LFP, qu’il n’y ait pas de conciliation, et que d’ici quinze jours, André Villas-Boas se voit notifier une rupture anticipée de son CDD pour faute grave. Les dirigeants de l’OM ont la main sur la procédure et devraient la lancer très rapidement.
Propos recueillis par Alexandre Delfau