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Falcao taille Mundial
À 32 ans, Radamel Falcao va enfin goûter au plaisir suprême : disputer un match de Coupe du monde. L’aboutissement d'un parcours en sélection cabossé par les blessures, des performances irrégulières et un match au cordeau face au Pérou en octobre dernier, où El Tigre est soupçonné d'avoir négocié avec ses adversaires du soir un match nul qui arrangeait tout le monde. La marque d'un type pour qui le Mondial était devenu une obsession.
L’image n’a sans doute jamais tout à fait cessé de hanter Radamel Falcao. Celle de Soner Ertek, le 22 janvier 2014, qui venait lui chatouiller beaucoup trop virilement le genou gauche. La Colombie toute entière ne tardait alors pas à apprendre la nouvelle. Le soldat Falcao est tombé. Il ne participera pas à la Coupe du monde 2014. Sans lui, la Tricolor atteindra tout de même les quarts de finale du Mondial brésilien en offrant un jeu enthousiasmant. Reste ce léger arrière-goût d’inachevé. Peut-être qu’avec Falcao devant, les Cafeteros auraient pu sauter l’obstacle brésilien pour goûter au dernier carré. Ou peut-être pas. Qu’importe, ce mardi 19 juin, face au Japon, Radamel Falcao et la Colombie vont définitivement tourner la page : El Tigre va disputer son premier match de Coupe du monde. Et toucher du doigt ce qui constitue « le rêve de sa vie » , à 32 piges passées. Il n’était donc pas trop tard.
Le traumatisme Escobar
Pour le Colombien, la Coupe du monde a semble-t-il toujours fait office de fil conducteur d’une carrière plutôt décousue, en club comme en sélection. Son premier souvenir de football ? « Le Mondial 1994, c’est le premier que j’ai pu suivre, et surtout ça m’a permis de mesurer l’ampleur d’une telle compétition. » À l’époque, Falcao a huit ans, vit au Venezuela avec sa famille, alors expatriée, mais s’enflamme déjà pour les Cafeteros. Surtout, il comprend que la Coupe du monde est sans doute un peu plus que du football. Quitte à parfois devenir une question de vie ou de mort, à l’image de la fin tragique du défenseur Andrés Escobar, assassiné le 2 juillet 1994 à Medellín, après avoir marqué un but contre son camp, qui a éliminé la Colombie du Mondial. « Nous avons tous été affectés par la mort d’Escobar… Tout cela a marqué un avant et un après. Cela a coïncidé avec une époque de grande violence dans notre pays, et cela a démontré le niveau de folie dans lequel nous vivions alors… D’une certaine manière, les Colombiens se sont quasiment habitués à vivre ainsi. Heureusement, après 1994, les choses se sont progressivement apaisées. »
Falcao, lui, débarque en sélection en février 2007, lors d’un match amical face à l’Uruguay. Et s’impose progressivement au poste d’attaquant de pointe les années suivantes. Létal en club, alors qu’il empile les buts du côté de Porto, il est sensiblement moins décisif sous le maillot de la Tricolor, avec laquelle il ne plante qu’un pion en dix matchs lors des qualifications du Mondial 2010. Il faudra attendre l’avènement de José Pékerman à la tête de la sélection, qui met en place un jeu collectif axé sur la possession et l’offensive, pour le voir enfin s’épanouir. L’attaquant frappe ainsi neuf fois lors des qualifications de la zone Amérique du Sud pour le Mondial 2014. La suite ne sera pas tout à fait aussi idyllique. Falcao manque l’aventure brésilienne, avant de piocher un peu plus avec la Tricolor, avec laquelle il ne trouvera le chemin des filets que deux fois en huit matchs lors des qualifications pour le Mondial russe. Ce qui ne l’empêchera pas de prouver qu’il reste un poison pour à peu près n’importe quelle défense, comme la France se l’est vue douloureusement rappeler en amical fin mars dernier.
Le pacte de Lima
Reste que pour s’assurer de voir le Mondial russe, El Tigre a parfois dû ruser comme un renard. Sa deuxième partie de saison avec Monaco en atteste. Auteur de 18 pions en 26 matchs de Ligue 1, Falcao, officiellement gêné par une blessure à la cuisse, n’a semble-il pas trop forcé sur son physique lors de sa seconde partie de saison monégasque, où il n’a frappé que deux fois en huit matchs depuis début février. En interview, le Colombien ne se privait d’ailleurs pas, quatre mois avant le Mondial, de sous-entendre qu’il zieutait déjà vers la Russie : « J’ai des responsabilités avec mon club, mais c’est vrai que j’ai un rêve. Celui de jouer pour la première fois la Coupe du monde avec mon pays. »
Un rêve qu’il a aussi atteint en se muant en diplomate de circonstance. Le 10 octobre dernier, un match nul assurait respectivement aux Cafeteros et à son adversaire du soir, le Pérou, une qualification et une place en barrages pour le Mondial russe au détriment du Chili, sèchement battu par le Brésil. Falcao avait alors fait le sale boulot en concluant ce que certains médias sud-américains ont nommé « le pacte de Lima » : « Dans les cinq dernières minutes, les Colombiens se sont approchés. Ils savaient quelle était la situation sur les autres terrains… J’ai parlé avec Radamel, qui m’a dit qu’on était qualifiés tous les deux… On a donc géré le match comme il se devait » , relatait à la fin de la rencontre le milieu péruvien Renato Tapia. Un petit arrangement qui a logiquement fait jaser. Mais ça, Radamel Falcao s’en tamponne : onze ans après ses début en sélection, El Tigre va enfin pouvoir croquer dans la Copa Mundial.
Par Adrien Candau
Propos de Radamel Falcao issus de la revue Líbero et de Goal.com, ceux de Renato Tapia repris d'une interview donnée à Panamericana TV.