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Et si Julian Nagelsmann était français ?

Par Clément Gavard
6 minutes
Et si Julian Nagelsmann était français ?

À 33 ans, Julian Nagelsmann va devenir le plus jeune entraîneur à disputer une demi-finale de Ligue des champions ce mardi à l'occasion de l'affiche entre le PSG et son RB Leipzig. Sans jamais avoir été joueur professionnel, le technicien allemand bat tous les records de précocité depuis plusieurs années. Un phénomène inimaginable en France, où un gars de la trempe de Nagelsmann se retrouverait probablement bloqué par le système. Fiction.

Les fesses posées sur le canapé de son appartement, Julien Cloushomme a des étoiles plein les yeux. Ce trentenaire, un mordu de ballon rond, vient d’assister à la victoire surprise de Lyon contre Manchester City en quarts de finale de la Ligue des champions devant sa télévision. Comme à chaque match, il a décortiqué toutes les phases de jeu en prenant des notes dans un petit cahier – il en possède déjà des dizaines comme ça, couverts de schémas tactiques et de réflexions en tout genre -, regrettant la faiblesse inattendue de l’équipe dirigée par Pep Guardiola. Son modèle. « J’ai toujours observé son travail, et notamment la faculté de son équipe à se projeter vers l’avant en une fraction de seconde après la récupération du ballon, déroule Cloushomme. Il a marqué de son empreinte cette époque-là, digne de Johann Cruyff. Peu d’équipes parviennent à maîtriser aussi bien le jeu de possession, en jouant aussi haut. »(1) Le bonhomme est comme ça, il aime s’inspirer des plus grands. Il aime les observer, les copier. Il aime même peut-être les envier au moment de préparer sa séance du lendemain pour son équipe, les U17 du FC Mulhouse. À 33 ans, Julien Cloushomme en est parfaitement conscient : à moins d’un coup de chance ou d’une opportunité inattendue, il n’entraînera probablement jamais une équipe au très haut niveau. Car en France, pour les gars comme lui, c’est presque peine perdue.

D’un rêve à l’autre

Né à Argenton-sur-Creuse (Indre) en juillet 1987, Julien Cloushomme a toujours baigné dans le foot. Comme de nombreux gamins, il se met rapidement à rêver d’une carrière de footballeur professionnel quand il sera grand. Encore plus quand il assiste aux prouesses de Thierry Henry, Zinédine Zidane, Laurent Blanc et compagnie au Mondial 1998 et à l’Euro 2000. Sur le terrain, le jeune Cloushomme aspire plutôt à devenir le futur Marcel Desailly : il s’impose au poste de défenseur à Châteauroux où il fait ses gammes, avant de filer à Gueugnon en 2002 pour poursuivre sa formation et confirmer les promesses. Problème : une fois la majorité passée, le joueur peine à se faire une place dans l’équipe de Victor Zvunka, ne disputant même aucune rencontre avec la réserve des Forgerons en 2006-2007 en raison de blessures récurrentes. Plombé par son physique, Cloushomme retourne à Châteauroux dont l’effectif professionnel est dirigé par Cédric Daury en 2007. Mais après une deuxième chirurgie du ménisque, Cloushomme se résout à briser son rêve en mettant fin à sa (brève) carrière de joueur. Il a vingt ans.

Peu importe la cruauté du destin, Cloushomme ne veut pas quitter le monde du foot pour autant. Depuis un moment, il pense à la suite. À une reconversion, à une autre de façon de vivre au plus près de sa passion : il veut enfiler le costume d’entraîneur. Après avoir obtenu facilement le bac et étudié la gestion d’entreprise, le technicien en herbe décide de filer dans l’Est de l’Hexagone pour lancer sa nouvelle carrière. En parallèle de sa formation à la faculté des Sciences du Sport à Nancy, Cloushomme s’occupe d’une équipe de jeunes au FC Lunéville (2) (Meurthe-et-Moselle). Ses poulains n’ont pas encore le brevet des collèges, mais le jeune entraîneur s’en moque : il prépare ses matchs à la maison, jongle entre différents schémas, parle de possession de balle et de jeu de transition. Motivé et déterminé, il obtient avec brio les certificats fédéraux, des diplômes « nécessaires pour te former aux catégories au fur et à mesure » et payés par son club. Les années 2010 passent. Cloushomme se régale devant le Barça de Guardiola, bouffe des centaines de matchs chaque année, s’intéresse au gegenpressing venu d’Allemagne, dévore des bouquins sur la tactique et peaufine un logiciel informatique pour gérer la condition physique, l’entraînement et le jeu de ses équipes. Mais à bientôt 30 ans, le surdoué comprend une chose : son deuxième rêve, diriger un jour une Ligue 1, est quasiment inaccessible.

Un cercle trop fermé

Il faut d’abord faire un point sur les diplômes du petit génie, qui suit le parcours classique proposé en France pour devenir entraîneur quand on n’a pas eu la chance (ou le talent) de s’offrir une belle carrière de joueur. Après avoir obtenu le BMF (brevet de moniteur de football), il décroche le BEF (brevet d’entraîneur de football), « orienté sur l’excellence de l’entraînement, la maîtrise méthodologique » et considéré comme « le socle de la professionnalisation », comme l’indique l’Unecatef. Bingo, Cloushomme peut désormais coacher jusqu’en Régionale 1 au niveau seniors ou en championnat national jeune. L’ambitieux privilégie la deuxième option et devient le coach des U17 du FC Mulhouse, qui retrouveront cette saison dans leur groupe des clubs comme Nancy, Metz, Strasbourg ou encore Lyon. Des équipes qu’il ne peut pas prétendre entraîner avec le seul BEF en poche, dans un souci de cohérence très relatif. Toujours à fond dans la tactique, l’ancien Castelroussin a déjà compris depuis un moment que les instances du football français – la DTN, notamment – laissaient peu d’espoirs aux amateurs comme lui.

Source : Unecatef

Cloushomme a des compétences, beaucoup de compétences. Mais il n’a jamais joué un match professionnel, jamais. Et pour arriver au sommet des certifications du football en France, il est plutôt conseillé d’avoir un passé plus ou moins glorieux. Quitte à ce que la qualité passe au second plan. Pour Cloushomme comme pour beaucoup d’autres, les dernières étapes sont difficiles à atteindre. Le DES (diplôme d’entraîneur supérieur) et le BEPF (brevet d’entraîneur professionnel) sont trop souvent réservés à d’anciens professionnels, et ferment surtout des portes aux amateurs. Le premier, qui n’a aucune valeur au niveau européen, est réservé à 50 personnes chaque année et coûte près de 10 000 euros par tête (logements compris). Le second, lui, est limité à dix personnes par promotion et demande aux heureux élus de débourser environ 27 000 euros pour pouvoir assister aux fameuses treize sessions afin d’obtenir le sésame requis pour entraîner en Ligue 1. Des obstacles qui dépriment Cloushomme, lequel essaie de se créer un réseau et de se forger une réputation pour dépasser la frilosité ou l’amour du copinage chez les dirigeants du foot français.

Porte close

Récemment, il a scruté les noms des candidats de la dernière promotion au BEPF et il a constaté que rien n’avait changé : au milieu des Romain Pitau, Julien Sablé, Cláudio Caçapa ou Pascal Moulin, seuls David Beckoura et Philippe Bizeul (49 ans tous les deux) n’ont jamais été joueurs professionnels. Une petite lueur d’espoir ? Pas sûr. « Il faut un minimum de niveau foot sur le terrain en tant que joueur, alors que certains peuvent être très bons comme coachs, mais pas terribles comme joueurs, témoigne Damien(3), titulaire du BEF comme le technicien mulhousien. J’ai assisté à des conférences avec des coachs espagnols qui avaient entre 24 et 30 ans, ils sont dans des clubs de Liga et ont déjà l’UEFA Pro (l’équivalent du BEPF en Europe, N.D.L.R.). Certains nous disaient qu’ils n’étaient pas très forts, sur le terrain. »

Cloushomme, lui, n’a pas encore perdu sa passion pour le foot ni pour la tactique. Il continue, d’ailleurs, de la cultiver avec les U17 du FC Mulhouse. Sans trop se faire d’illusions, il s’est même renseigné sur la possibilité de se tourner vers les formations proposées à l’étranger, constatant avec jalousie l’émergence de coachs jeunes et talentueux outre-Rhin. En attendant, il a déjà prévu de passer sa soirée de mardi sur son canapé pour assister à la première demi-finale de Ligue des champions entre le PSG et le RB Leipzig. Dont il ne rate aucun match depuis qu’un certain Julian Nagelsmann, un gars de son âge, a posé ses fesses sur le banc du club allemand.

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Par Clément Gavard

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite, mais cette histoire est aussi celle de centaines de jeunes entraîneurs en France qui doivent à un moment se heurter aux limites d'un système dépassé.

(1) Cette déclaration de Julian Nagelsmann, le vrai, est tirée de France Football
(2) Tous les clubs cités dans cette fiction, de Lunéville à Mulhouse, ont été choisis par hasard.
(3) Damien, 30 ans, n'est pas un personnage fictif. Son prénom a été modifié à sa demande pour éviter qu'il soit blacklisté au moment de réussir à accéder au DES.

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