- Ce jour là
- 19 novembre 2005
Et Ronaldinho souleva Santiago-Bernabéu…
Un toucher de balle au-delà du commun des mortels, des buts venus d'ailleurs et un sourire unique. De ce 19 novembre 2005 illuminé, le Santiago-Bernabéu ne garde en mémoire qu'une étoile : Ronaldinho. Lors du Clásico qui oppose le Real Madrid au FC Barcelone ce jour-là, le Brésilien est au sommet de son art. Marche sur l'eau et la tête de ses adversaires. Récit d'une soirée inoubliable où il a inscrit à jamais son nom dans l'histoire du Més que un club.
« J’ai déjà beaucoup reçu, et j’ai aussi beaucoup donné, et le plus important, ce qui reste à la fin, ce que les gens n’oublieront pas, ce ne sont pas les récompenses, mais ce qui est imprimé dans leurs souvenirs, mes gestes et mes actions qu’ils garderont en mémoire. Un Ballon d’or, c’est touchant, c’est valorisant, mais ce n’est rien en comparaison de la trace laissée dans la tête des gens. » Quand il s’agit de poser des mots sur une carrière, Ronaldinho reste sans doute le plus à même de le faire. Une carrière empreinte de fulgurances, d’exploits, de passes aveugles, de regrets aussi, et de magie. Surtout de magie. Car s’il y a bien un joueur qui respire le football, l’érige comme un art plutôt qu’un sport, c’est bel et bien Ronaldo de Assis Moreira. Un sourire sans pareil, de l’or dans les pieds, un don « de Dieu » , selon ses propres dires.
Un privilège de l’au-delà salué à l’unanimité un soir de 19 novembre 2005. Ce jour-là, le FC Barcelone se déplace au Santiago-Bernabéu du Real Madrid. Pour ce 151e Clásico en Liga, le 199e de l’histoire, les Blaugrana débarquent en favoris. Lors de cette 12e journée, ils comptent un point d’avance sur Madrid, qui paraît mal inspiré et laisse une impression mitigée jusque-là. En outre, deux visions bipolaires s’affrontent. Les Galactiques de Vanderlei Luxemburgo ont dépensé plus de 80 millions d’euros au mercato estival, tandis que le Barça de Frank Rijkaard n’a recruté que deux joueurs libres. Le collectif catalan face aux individualités merengues, la confiance face à l’orgueil. Pour ce déplacement, le coach néerlandais reconduit le XI habituel, à une exception près. Ludovic Giuly laisse sa place à la nouvelle promesse de la Masia, un certain Lionel Messi. Ronaldinho garde son côté gauche et Eto’o évolue toujours devant. Le Real, lui, peut compter sur les retours de blessure de Ronaldo et Zidane. À noter, notamment, la titularisation improbable du chevelu Pablo Gabriel García dans l’entrejeu de la Casa Blanca.
Le calme avant la tempête
En mars 2003, Ronnie s’était distingué par une prouesse au Vélodrome avec la tunique du PSG pour s’annoncer au grand monde. Cette fois, il va réciter sa plus belle partition afin d’offrir un chef-d’œuvre intemporel. Premières secondes de jeu, première illumination. Sur son premier ballon, Ronnie enrhume d’un tour de rein Michel Salgado. Comme pour montrer à l’écrin madrilène qu’il est dans un grand soir. Entre accélérations, touchers de balle majestueux et passes bien senties, l’enfant choyé de Porto Alegre fait honneur à son statut d’ « entertainer » . « Dans mon jeu, il y a 90 % d’improvisation » , rappelait-il. Mise en perspective à la dixième minute de jeu où il délivre une ouverture lumineuse pour Eto’o dans le dos de la défense merengue. Un premier coup de semonce avant l’inévitable.
Si le Brésilien régale et câline le cuir, le danger émane principalement du côté droit. L’insouciant et jeune Messi se montre le plus remuant, provoquant de nombreuses fautes de la part d’Helguera et Sergio Ramos. Des élans offensifs récompensés à la 15e minute. Percutant aux abords de la surface, l’Argentin élimine d’un crochet Helguera avant que « Fils » Eto’o ne récupère la balle et ajuste Casillas d’un astucieux pointu (0-1). Ouverture du score et début du calvaire pour San Iker. Madrid, pourtant conquérant à la maison, ne s’en remet qu’aux longues transmissions de Beckham et la percussion de Robinho sur l’aile droite pour pallier le manque de liant patent. Suivi de très près par ses adversaires en première mi-temps, Ronnie n’a pu se distinguer la majeure partie du temps que par des sucreries techniques, sans se montrer réellement efficace. Mais l’artiste attend sagement son heure avant d’écrire l’histoire.
Mouchoirs blancs et applaudissements
Le champion en titre d’Espagne entame la seconde période sur des bases similaires. Un FC Barcelone élégant, peut-être le plus beau de toute son histoire, imprévisible, qui fonctionnait de combinaisons dans les petits espaces et clairement tourné vers l’attaque. Son génie brésilien, électron libre sur son flanc gauche, aborde lui aussi le retour des vestiaires sur le même ton. Sur la pointe des pieds. Alors que le Real Madrid refait peu à peu surface à l’heure de jeu, Ronaldinho décide de sortir le grand jeu. Et une fulgurance éclatante comme lui seul en possède sous la botte. Récupérant le ballon au milieu de terrain, le Barcelonais accélère, caresse le cuir de l’extérieur du pied, fixe d’un crochet opportun Sergio Ramos, prend pour un plot son compère Helguera et conforte un peu plus l’avance de ses coéquipiers (0-2). Sans laisser le temps à Casillas d’esquisser le moindre geste. Une merveille d’habileté et de justesse technique. Et dire que le chapitre n’a pas encore réservé sa plus belle partie…
Incandescente, survoltée au début de la rencontre, l’ambiance du Santiago-Bernabéu redescend progressivement. L’international de la Seleção va se charger d’éteindre définitivement l’enceinte espagnole et de la plonger dans un silence assourdissant. Face au pressing inexistant en face, les poulains de Rijkaard portent l’estocade dix-sept minutes plus tard. Lancé sur son aile gauche, l’ancien Parisien victimise de nouveau Ramos, comme il ne l’a sans doute jamais été depuis. Passements de jambes, cassage de reins et le Blaugrana n’a plus qu’à transformer tranquillement (0-3). En moins de vingt minutes, le diamant brésilien a enterré les dernières illusions du peuple madridista. Et, événement qui ne s’était plus produit depuis Maradona, fait soulever Bernabéu. En guise d’inclination, certains supporters de Madrid se lèvent et applaudissent ce qui restera une prestation hors du commun dans leur jardin. D’autres agitent des mouchoirs blancs comme un cessez-le-feu face à la débâcle. Une soirée, où le « maestro » Zidane n’a pas existé, qui sonnera aussi le glas de l’ère des Galactiques. Irrésistible cette saison-là, le Barça s’envolera à terme vers un second sacre national d’affilée et remportera la Ligue des champions, la deuxième de son histoire. Le tout porté, sublimé, transcendé par son joyau qui, grâce à cette soirée, s’est adjugé son Ballon d’or quelques jours après, le 28 novembre. Un 19 novembre marqué donc de son empreinte, où son sourire si singulier a même fait succomber les inconditionnels de la capitale espagnole. Là, encore, les mots pour décrire un tel chef-d’œuvre appartiennent à Ronnie : « J’ai toujours joué pour m’amuser. Je n’ai toujours fait que ça : m’amuser. C’est ce qu’il faut, non ? »
Par Romain Duchâteau