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Équipe de France au Qatar : le silence des agneaux ?
C’est fait. L’équipe de France est qualifiée pour la Coupe du monde au Qatar. Or cette dernière sera hors norme, par son organisation, son calendrier et évidemment l’ombre mortuaire des milliers de travailleurs « sacrifiés » pour qu’elle se tienne. Si pour le moment, les Bleus ont toujours fui tous les débats, ils ne pourront pas éternellement rester silencieux. Mais que voudront-ils dire ? Et surtout, qu’attendons-nous encore d’eux sur le sujet ?
Une question s’avère déjà réglée : il n’y aura jamais de boycott. Même simplement individuel. Par ailleurs, il aurait fallu dès le départ que nos politiques, notre gouvernement, le chef de l’État prennent position à ce propos. Or personne – et surtout pas en Occident – ne désire se fâcher avec l’émirat gazier et sa puissance économique. On ne rappellera jamais à quel point, de Nicolas Sarkozy à Michel Platini, des Français, et pas des moindres, ont joué un rôle non négligeable afin que le Qatar parvienne à s’offrir cette compétition prestigieuse. Demander ensuite aux joueurs d’assumer des responsabilités ou un courage que tant de brillants esprits et l’ensemble de nos élites esquivent avec splendeur se révélerait quelque peu hypocrite. Certes, dans le football, quelques gestes symboliques ont déjà été effectués pour réclamer le respect des droits humains (un peu tard) ou interpeller la FIFA. Cela provenait surtout des sélections nationales « secondaires » , si ce n’est qu’avec Haaland, la Norvège pèse désormais un peu plus lourd devant les flashs médiatiques…
La neutralité du bon petit soldat
Les Bleus vont, eux, disputer leur Mondial, et défendre leur étoile. Avec des stars que « le monde entier nous envie » . La moindre de leur prise de parole, de leur posture, de leur choix seront forcément épiés ou interprétés. Avant de s’y rendre ou une fois sur place, pourront-ils continuer d’opposer leur mur du silence face aux inévitables questions d’un journaliste anglo-saxon ? D’autant que certains d’entre eux ont déjà commencé, timidement, à sortir de la neutralité de bon petit soldat à crampons. Kylian Mbappé l’a par exemple fait en s’exprimant sur les violences policières et le racisme. Antoine Griezmann en se positionnant sur le sort réservé aux Ouïghours en Chine. Ce fut moins brillant pour poser un genou a terre durant l’Euro, quand les choses sérieuses ont commencé à s’inviter sur la pelouse. Nous attendons la suite. Parce que pour le coup, il y a matière. Sans même « importer » la politique dans le foot. La FIFA elle-même prétend aider au progrès des conditions de vie, et de décès, des travailleurs au Qatar. Elle se grime en vert dès qu’elle le peut pour témoigner de son engagement écologique. Elle chante les louanges d’un foot égalitaire entre les hommes et les femmes, et elle proclame même son rejet de l’homophobie. Certes, l’UEFA a démontré ce qu’il en était des convictions de ce type d’institutions dès lors qu’une grande gueule comme Orbán se mettait en face. Et la FIFA et Infantino sont également très déférants devant leur hôte qatari (et pas qu’eux).
Un timing idéal
Justement, le moment en deviendrait presque idéal, le timing parfait pour reprendre la main. Rencontrer les ONG qui se battent depuis dix ans pour que le calvaire des ouvriers népalais ou indiens des chantiers soit enfin reconnu, ou prouver leur lutte contre les discriminations fondées sur le genre ou autres. Bref, assurer un service minimum. Nos dirigeants exigent du sport qu’il serve d’exemple, qu’il souscrive aux valeurs de la République, à coups de contrat à parapher par la moindre association de quartier, et de nos footballeurs d’endosser un costume d’exemplarité jusque dans l’autotune de leur Marseillaise. Las ! Nous savons qu’a l’étranger, la real politik s’impose toujours. Didier Deschamps et son équipe ne nous ont pour l’instant jamais agréablement surpris en ce domaine. Il existe pourtant bien des façons finalement d’honorer son statut de tenant du titre. Par exemple en déclarant solennellement en conférence de presse avant le premier match dans une enceinte climatisée au détriment de toute logique climatique: « Nous n’ignorons pas que des gens sont morts pour que ce stade existe, ce n’est pas anodin d’y jouer. » Quelle est la probabilité pour que cela se produise ?
Par Nicolas Kssis-Martov