- C1
- 8es
- Real Madrid-Ajax Amsterdam
En 1973, l’Ajax l’avait fait
Après le match époustouflant de l’Ajax à l’aller et malgré une défaite 1-2, les Lanciers se rendent ce mardi soir à Madrid où ils croient à l’exploit. Pourquoi pas ? L’audace peut sourire aux audacieux. Et puis en 1973, leurs glorieux aînés guidés par Cruyff et Mühren étaient allés gagner à Bernabéu...
1973 : la suprématie continentale en jeu !
84e minute de jeu. L’Ajax mène 2-0 face au Real Madrid en demi-finale aller de la Coupe des clubs champions (ancêtre de la Ligue des champions). Ce mercredi 11 avril 1973 dans le stade olympique d’Amsterdam bondé, les Ajacieds cinglent vers leur troisième finale de C1 d’affilée, pour déjà deux succès en 1971 et 1972. À six minutes de la fin, le Real bénéficie d’un coup franc indirect : d’une frappe rasante, le Madridista Pirri bat le gardien Stuuy ! Stupeur dans le stade. Sur la pelouse, les Néerlandais accusent le coup : à 2-1, ce n’est plus la même histoire. L’Europe entière s’était demandé si en quarts, le Bayern de Beckenbauer-Müller-Maier allait être le premier club à faire tomber Amsterdam : un 4-0 bien senti et un petit 1-2 à Munich avait convaincu que la bande de Cruyff était intouchable. Mais il restait un dernier challenge à surmonter : le Real Madrid. Obnubilés par une septimà, après leur dernière C1 remportée en 1966, les Meringues avaient abordé ce tirage avec confiance, même s’ils ne partaient évidemment pas favoris. Parce que d’abord la suprématie hollandaise qui se dessinait depuis trois ans (Feyenoord vainqueur de la C1 1970, puis Ajax à deux reprises) aiguisait leur volonté de redevenir numéro 1 continental.
L’attaque de feu (Aguilar, Amancio et surtout l’excellent Santillana) avait trucidé le Dynamo Kiev de Blokhine en quarts où, après un 0-0 à l’aller, le retour s’était soldé par un 3-0 brillant où les trois compères avaient marqué. Et puis les grands clubs ont de la mémoire. Lors de la C1 1968, le Real avait éliminé en 32es un jeune Ajax en pleine ascension continentale (1-1 et 2-1 après prolongation). Ceci dit, l’Ajax comptait bien laver cet affront d’octobre 1967. Et ce 11 avril 1973, l’Ajax peine en effet à faire plier un Real dominé, mais bien disposé tactiquement au point de retarder l’échéance. La machine hollandaise finit par imposer sa supériorité, mais sur le tard et par l’intermédiaire de deux défenseurs : le stoppeur Hulshoff (1-0, 67e), puis le latéral gauche Ruud Krol (2-0, 77e) offrent une marge confortable aux locaux. Au passage, l’Ajax apporte une illustration supplémentaire de son Football total qui permet à ses défensifs de devenir buteurs quand les offensifs sont neutralisés. Mais Pirri a marqué…
Fumer, baiser, boire…
Le coach de l’Ajax n’est plus le charismatique Rinus Michels. Après le premier titre européen de 1971, il a laissé la place au Roumain Stefan Kovács. En vérité, Johan Cruyff empiète sur ses prérogatives en entraîneur bis qui compose l’équipe type ! Un leadership quasi dictatorial qui est d’ailleurs de plus en plus contesté au sein des Lanciers. Les coéquipiers de Cruyff n’ont pas vraiment apprécié que Sa Majesté Johan 1er zappe la manche retour face au Bayern, en ne se rendant pas à Munich pour une blessure contestée même par le médecin du club ! Mais cet Ajax 1973 fonctionne en pilotage automatique et sait surmonter les caprices du chef. Si cet Ajax donne l’impression de ne pas écraser à 100% ses adversaires, il sait qu’il possède un savoir-faire collectif amélioré d’individualités qui lui permet de gérer. Le score final de 2-1 laisse quand même planer un suspense passionnant pour le match retour à Madrid. L’Ajax est-il en danger ? Va-t-il enfin mordre la poussière ? Pas vraiment…
Comme le raconte le journaliste d’El Pais Alfredo Relaño, cet Ajax seventies venait d’une autre planète. Avec ses collèges espagnols, ils avaient assisté, médusés, à l’arrivée des Ajacieds à Madrid. À la cafétéria de la Ciudad Deportiva, ils avaient croisé un Cruyff très cool, clope au bec, en train de siffler une bière. Incrédules, les journalistes espagnols se virent déclarer par le président de l’Ajax, Van Praag : « Tout le monde ici est libre de faire ce qu’il veut. Fumer, baiser, boire… Nous avons confiance en la capacité de nos joueurs à s’autogérer. » « Tout était extraordinaire à l’Ajax à cette époque » , se souvient Alfredo Relaño. Dans l’Espagne franquiste, au sein du Real Madrid où les joueurs étaient menés à la baquette très autoritaire du président Santiago Bernabéu qui les considérait comme des moines-soldats du foot, le choc des cultures était gigantesque ! Avant de décoller pour l’Espagne à l’aéroport de Schiphol d’Amsterdam, les joueurs de l’Ajax avaient annoncé, hilares, à la presse hollandaise : « Nous irons gagner 1-0 à Madrid et nous nous qualifierons pour la finale ! » Culot ? Arrogance ? Non. C’était la vérité.
Gerrie Mühren pour l’éternité…
Le mercredi 25 avril au soir, l’Ajax déboule en kit rouge sang, se permettant de narguer les Reds de Liverpool, seuls dépositaires de cette couleur terrifiante. Le Real joue de malchance : son buteur Santillana a été blessé par un ancien Meringue, de Felipe, passé à l’Espanyol Barcelone… Un nul suffit donc aux Hollandais, mais ce 25 avril, c’est l’anniversaire de Cruyff qui fête ses 26 ans. Alors pas question de se rater ! Dans son 4-3-3 légendaire, le milieu néerlandais aligne deux jeunes frangins surdoués : le regretté Gerrie Mühren et son cadet Arnold. Pour la petite histoire, c’est en prenant un jour par inadvertance le numéro 9 de Cruyff (blessé) au lieu de son numéro 7 que Gerrie avait « forcé » Johan 1er à se rabattre sur le 14. On connaît la suite légendaire… Les frères Mühren font tourner la machine ajacied : le match sera leur match ! À tel point que c’est le gaucher magnifique Gerrie qui marquera l’unique but de la partie sur une montée côté gauche du brother Arnold (49e).
Victoire finale, 1-0 pour les gars d’Amsterdam. Comme ils l’avaient annoncé ! Gerrie Mühren va laisser un souvenir impérissable au public madrilène quelques minutes après avoir marqué le but : sur une transversale aérienne de Suurbier, Gerrie va contrôler le ballon et se mettre à jongler avec une virtuosité cool qui lui vaudra une salve d’applaudissements. Comment résister à tant de talent, tant de facilité et de classe ? La qualif acquise, Ajax rencontrera la Juventus en finale à Belgrade pour une rencontre expédiée en un clin d’œil : 1-0, but de la tête de Rep à la 4e. Et de trois pour l’Ajax ! La confrontation Ajax-Real a bien sûr fortement conditionné le Real dans sa volonté d’engager Cruyff pour la saison suivante. Un accord liant les clubs de Madrid et d’Amsterdam sera quasiment signé. Sauf que… Johan choisira le Barça. Mais ça, c’est une autre histoire.
Par Chérif Ghemmour