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El Charro Moreno : le meilleur joueur des années 40

Par Marcelo Assaf, avec Thomas Goubin
El Charro Moreno : le meilleur joueur des années 40

De la fameuse Maquina de River Plate, il était l'élément bohème. Aussi à l'aise sur les pistes de danse et derrière les comptoirs que sur le terrain, José Manuel Moreno était surtout l'un des meilleurs footballeurs de son temps.

Échauffement au cœur de la nuit sur le parquet des cabarets, arrivée dans les vestiaires encore endimanché, puis quelques morceaux de poulet bien gras arrosés d’une bouteille de rouge en guise de collation. Voilà le régime drastique qui a fait la légende de José Manuel « el charro » Moreno, l’intérieur droit, et parfois gauche, de la Maquina de River Plate. Vin, viande et tango : recette insolente et imparable pour ce Don Juan porteño au cheveu gominé et à la noire moustache parfaitement taillée. Ceux qui l’ont vu jouer parlent d’un talent irrésistible. « Je n’ai jamais vu de ma vie un joueur aussi fort » , dira ainsi Alfredo Di Stéfano, qui côtoya El Charro à River. En Argentine, Moreno est une légende. « Quand l’AFA m’a élu meilleur footballeur argentin de tous les temps, j’étais fasciné, mais en même temps, j’avais honte de laisser derrière moi des noms comme celui de Moreno » , considérera Maradona dans sa biographie Yo soy el Diego. Comparer les époques est un exercice trop acrobatique pour garantir des conclusions probantes, mais cela n’empêchait pas El Grafico de se poser cette question en 1993 : José Manuel Moreno a-t-il été meilleur que Maradona et Pelé ?


Tango, cure de lait et vie mondaine

Un fait incontestable : El Charro était la star de la Maquina de River Plate, une équipe référentielle pour avoir produit sans relâche un football ultra-offensif et dynamique. En compagnie de Carlos Muñoz, Adolfo Pedernera, Angel Labruna et Félix Loustau, Moreno a marqué son temps et régalé les tribunes : ses pieds inventaient des stratagèmes et son physique de buffle lui permettait de multiplier les efforts pour semer le désordre sur tout le front de l’attaque. Idole de River, José Manuel Moreno était ironiquement un enfant de la Boca, le quartier portuaire où arrivaient les navires anglais, dont il transportait les volumineuses caisses de linge lors de son adolescence. Sa condition physique, Moreno la travaillera aussi sur les rings de boxe et en dansant le tango. « C’est un très bon exercice, jurait-il, tu dictes le rythme, et tu en changes en un instant, tu travailles la ceinture et les jambes et ne négliges aucun côté. » Doté d’une santé de fer, malgré son hygiène de vie particulière, El Charro a débuté sa carrière en 1935, sous les couleurs de River. Avec les Millonarios, il remporte quatre championnats (1937, 1941, 1942, 1947), fait main basse sur deux Torneo Sudamericano, l’ancêtre de la Copa América, en 1941 et 1947, et est également meilleur buteur de la compétition sud-américaine en 1942. Irrésistible selon les témoins de son temps, El Charro a toutefois eu la malchance de régner lors des années quarante, époque privée de scène d’exposition planétaire, Seconde Guerre mondiale oblige. Sa renommée restera confinée à l’Amérique latine. D’autant qu’un autre conflit, bien moins sanglant, le priva aussi de la Coupe du monde 1950, quand l’Argentine boycotte le Mondial à cause d’un différend avec la Fédération brésilienne.

Aujourd’hui, El Charro Moreno ferait le bonheur des chasseurs de buzz. Des vidéos de ses interminables soirées tourneraient en boucle sur la toile et ses vaines tentatives de rédemption seraient suivies à la loupe, comme lorsque les dirigeants de River l’avaient contraint à adopter une cure de lait pour ménager son foie pendant toute une semaine. L’effet escompté ne s’était pas franchement fait sentir : le jeu de Moreno perdit toute ivresse, et le joueur décida de renouer avec ses bonnes habitudes. « On était sur le point de jouer un match face à Racing décisif pour le titre, se rappelait Felix Loustau, éminent membre de la Maquina, et El Charro est arrivé totalement saoul, le docteur nous a dit que s’il entrait en jeu, il mourrait après 20 minutes, et bien il a joué tout le match, et il a été le meilleur. Je ne m’explique pas comment cela a pu se produire. » Sa vie mondaine, Moreno la partagea un temps avec l’actrice Pola Alonso, mais son partenaire le plus fidèle fut son père, qui l’accompagnait jusqu’au petit matin une coupe à la main. El Charro avait de qui tenir.

En 1944, l’intérieur noctambule décide d’aller exporter sa fiesta au Mexique. Sous les couleurs du Club España, il gagne un nouveau championnat, mais aussi, un surnom, celui de Charro, qui désigne ce Mexicain ombrageux, dompteur de chevaux, à l’épaisse moustache abritée sous un sombrero. Après deux ans sous le soleil de Mexico, Moreno revient en héros à River. En 1949, une grève des joueurs l’envoie toutefois mieux gagner sa vie au Chili, à la Universidad Catolica, pendant qu’Alfredo Di Stéfano, son partenaire depuis 1947, rejoint les Millonarios Bogota. Encore aujourd’hui, l’homme qui avait marqué près de 200 buts avec River est souvent considéré comme le meilleur joueur ayant évolué au Chili. Son séjour dans le pays longiligne, où il donnera son premier titre de champion à la Universidad Catolica, se fera en deux étapes, entrecoupée par un court séjour par Boca Juniors, le grand ennemi du club qui avait fait sa gloire. En 1956, à 40 ans, Moreno se retire sous les couleurs de l’Independiente Medellin. El Charro rechaussera toutefois les crampons en 1960, pour devenir pendant une saison l’entraîneur-joueur du club colombien. Il avait alors 45 ans. Aujourd’hui, un stade argentin porte son nom. Celui du Deportivo Merlo, le petit club qu’il a entraîné, avant de terminer ses jours le 26 août 1978, quelques semaines seulement après le premier sacre argentin en Coupe du monde. Victime d’une cirrhose, évidemment.

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Par Marcelo Assaf, avec Thomas Goubin

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