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Égalité salariale : les États désunis d’Amérique

Par Adrien Candau
5 minutes
Égalité salariale : les États désunis d’Amérique

L'équipe féminine américaine, qui avait porté plainte contre la Fédération américaine de football, vient d’être déboutée par la justice dans sa quête d'égalité salariale avec la sélection masculine. Un jugement provisoire, en attendant le vrai procès, qui pourrait amener à penser que la team USA, pourtant double championne du monde en titre, aurait moins de valeur marchande que son équivalente masculine. Sauf que tout cela n'a rien à voir avec l'argent engendré par les deux sélections ou leurs niveaux de jeu respectifs, mais avec les conventions collectives de travail qui régissent les rémunérations des deux équipes. Voilà qui vaut la peine de décrypter un schmilblick contractuel qui n'a pas fini de diviser l'Amérique.

Dans un monde idéal, internet aurait été une invention sans imperfection. Une bibliothèque d’Alexandrie supermassive. Un lieu où le genre humain peut dialoguer, apprendre et communier dans la fraternité. Ça, c’est pour le principe. Dans les faits, le temple du savoir et de l’échange se mue bien souvent en bourbier conflictuel. Une illustration récente du phénomène ? L’équipe féminine américaine vient à peine d’être déboutée par la justice dans sa quête d’égalité salariale avec l’équipe masculine que les réseaux sociaux s’emballent, ranimant le débat usité entre les détracteurs du foot féminin et ses défenseurs. Sauf que le niveau de jeu et le spectacle proposé n’ont rien à voir, ni à faire, avec cette histoire-là.

Moneyball

Un préambule pour débuter. Oui les Américaines, championnes du monde en 2019, ont bien perdu un match amical face aux U15 du FC Dallas en 2017. Parce que le foot féminin, au-delà de son déficit physique, a encore un retard technique important sur sa contrepartie masculine, que seules des décennies de pratique pourront éventuellement combler. Oui, les joueuses de la team USA, qui se disent moins bien rémunérées que l’équipe masculine, ont aussi porté plainte devant la justice contre la Fédération américaine de football (USSF), pour que cette dernière applique l’égalité salariale. Non parce qu’elles s’estiment supérieures à leur homologues mâles. Mais bien car les écarts de recettes engendrées par les équipes masculines et féminines, qui justifient les différences de rémunérations hommes-femmes dans la logique de marché du football professionnel, sont, dans le cas des sélections américaines, bien moins importants que ce qui est habituellement observé.

Alors, les partenaires de Megan Rapinoe, quadruples championnes du monde, rapportent-elles plus d’or vert à la Fédération américaine ? Selon l’USSF, l’équipe masculine produit en réalité plus de revenus. À l’entendre, l’équipe féminine a engendré 101,3 millions de dollars en 238 matchs entre 2009 et 2019, tandis que les hommes ont rapporté 185,7 millions de dollars en 191 matchs à la fédé'(ces chiffres n’incluent par les price money remportés par les sélections américaines lors des tournois officiels).

Pour quelques dollars de plus

Quoi qu’il en soit, les joueuses américaines ont pour l’instant perdu leur pari juridique : dans un jugement en référé, la cour de district des États-Unis de la Californie centrale a donc rejeté vendredi l’argument principal de discrimination salariale des plaignantes. Pour autant, l’affaire est loin d’être close. D’abord, parce qu’un procès doit commencer le 16 juin. Ensuite, il faut noter que les joueuses américaines n’ont pas été déboutées car il a été établi qu’elles méritaient d’être moins payées que les joueurs, mais tout simplement parce que le juge R. Gary Klausner, en charge du dossier, a estimé que c’est la modalité particulière de leur rémunération – qu’elles auraient elles-mêmes choisie à entendre le magistrat – qui a produit ce différentiel.

Les primes de match des joueuses, en cas de victoire ou de qualification, sont certes inférieures à celles des hommes : par exemple, être sélectionné pour jouer le Mondial apporte 68 750 dollars à un joueur masculin, contre 37 500 dollars à une joueuse. Une victoire de l’équipe masculine contre une équipe n’appartenant pas au top 25 du classement FIFA est récompensée d’une prime de 9375 dollars pour les hommes, une défaite ne leur rapportant que 5000 dollars. Côté femmes, une victoire contre une équipe classée en dehors des huit premiers au classement FIFA ne rapporte à chaque joueuse que 5250 dollars, et elles ne reçoivent rien pour une défaite. Sauf que, contrairement à leurs homologues masculins, les joueuses, elles, sont sous contrat salarié avec la Fédération : leur syndicat avait en effet négocié avec l’USSF des primes de match certes moins importantes, mais en contrepartie de salaires annuels garantis d’au moins 100 000 dollars pour vingt joueuses de la sélection. C’est précisément ce qui a motivé la décision du juge Klausner : selon lui, les plaignantes avaient refusé, à une date non précisée, un accord portant sur les négociations de leur convention collective, qui leur aurait permis d’être payées via un fonctionnement identique à celui de l’équipe nationale masculine.

Voilà, en définitive, où réside le nœud de l’affaire : un banal accord contractuel. Et non pas dans la qualité sportive ou la contribution économique de l’équipe féminine américaine, que certains s’obstinent à dévaloriser, dans une comparaison fallacieuse avec son équivalent masculin. L’histoire n’est néanmoins pas encore arrivée à son terme et risque de se complexifier : selon plusieurs cadres de la sélection féminine américaine, il n’a jamais été strictement proposé aux joueuses les même montants et modalités de rémunération que ceux des joueurs de l’équipe masculine. C’est en tout cas ce qu’avance Megan Rapinoe : « Je pense qu’il y a tellement de femmes qui peuvent comprendre ce que c’est que d’entamer une négociation, sachant que l’égalité de rémunération ne sera pas sur la table… En tout cas, le contrat de l’équipe masculine ne nous a jamais été proposé et certainement pas la même rémunération. » Reste maintenant à voir si la décision de justice sera confirmée, alors que le vrai procès, lui, débutera le 16 juin. Dans le cas contraire, pour préserver son équilibre mental, il vaudra sans doute mieux se tenir éloigné d’internet.

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