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Edin Terzić, l’enfant prodige de Dortmund
Séparé de Lucien Favre en décembre, le Borussia Dortmund a décidé de s'en remettre à un enfant de la région, Edin Terzić, au moins jusqu'à la fin de la saison. Inconnu jusqu'alors, le technicien de 38 ans s'est rapidement converti au banc de touche après un modeste parcours comme attaquant en quatrième division. Pour devenir aujourd'hui le nouveau représentant de la hype autour des jeunes coachs allemands ?
« Nous essayons toujours de jouer dans des petits espaces et nous avons un énorme taux de perte de balle. Si ça marche, ça ressemble à du beau football. Mais c’est rarement le cas, cela demande trop d’habileté. Beaucoup de choses ont mal tourné aujourd’hui. À 2-1, on a donné le ballon. 3-1, nous avons donné le ballon. 4-1, nous avons donné le ballon. Nous avons continué à donner le ballon. » Nous sommes le 12 décembre, et Mats Hummels en a gros sur la patate au moment d’analyser la manita reçue par le Borussia Dortmund face à Stuttgart. Dans le viseur du défenseur allemand ? Son entraîneur, Lucien Favre, finalement débarqué quelques heures plus tard après un début de saison pas à la hauteur des attentes pour les Borussen.
Le remède pour les Jaune et Noir s’appelle alors Edin Terzić, son adjoint, propulsé intérimaire jusqu’à la fin de la saison, façon Hansi Flick au Bayern Munich tout juste un an plus tôt. Une consécration pour ce fils d’immigrés yougoslaves (il possède lui-même la double nationalité germano-croate) né à Menden, cité de 50 000 âmes située à quelque 30 bornes au sud de Dortmund. Depuis, le BvB a quelque peu relevé la tête avec des victoires probantes comme à Leipzig début janvier, sans pour autant se départir de son irrégularité chronique. Sixième à treize points du Bayern, le club entame un hiver décisif pour la suite, avec à sa tête un coach inconnu du haut de ses 38 printemps. Un digne représentant de la génération de Tuchel, Nagelsmann et consorts en devenir outre-Rhin ?
Sciences du sport, diplômes d’entraîneur et attaquant semi-pro
À l’instar des actuels techniciens de Chelsea et du RB Leipzig, Edin Terzić s’est orienté vers une carrière d’entraîneur très tôt, à la suite d’un parcours bien modeste en tant qu’attaquant dans les années 2000. Sa meilleure saison statistique : huit buts inscrits avec Westfalia Herne lors de la saison 2007-2008 en quatrième division, plus haut échelon du football allemand où il a évolué. « Il avait 23-24 ans quand je l’ai connu, il avait de très longs cheveux à ce moment-là, rigole aujourd’hui Frank Wagener, qui l’a eu sous ses ordres à Wattenscheid 09 lors de la saison précédente. Il jouait sur l’aile droite, c’était un battant, un gars qui courait partout. Le public l’appréciait beaucoup en raison de son jeu. » À cette époque, évoluer au niveau semi-pro permet au jeune étudiant de vivre, tout en passant déjà ses diplômes d’entraîneur. « Nous avons étudié les sciences du sport ensemble. Quand il a fini l’université, il avait déjà passé sa licence d’entraîneur », raconte Hannes Wolf. L’intéressé connaît bien l’énergumène, puisque c’est lui qui le fera venir travailler à ses côtés au sein du BvB quelques années plus tard.
Pour l’heure, Terzić continue d’apprendre. « Il était très intéressé par tout ce qui touchait à la tactique. Nous avions beaucoup de discussions sur nos systèmes de jeu à mettre en place, pose encore Wagener. On a eu une année difficile cette année-là, on était 16-17es, et Edin cherchait toujours à améliorer la situation. Il était encore trop jeune pour être un pur leader, mais vous pouviez déjà voir qu’il le serait un jour. » Pas suffisant pour éviter une deuxième relégation consécutive au club, qui descend en cinquième division. Lui décide alors de changer d’air. Mais l’histoire de cet acharné de travail, comme le décrivent ceux qui l’ont connu, n’est pas faite pour s’écrire sur le rectangle vert. Ce sera juste à côté, assis sur un banc. « Il avait tout pour devenir entraîneur, y compris la personnalité », assure Hannes Wolf.
« Sauerlander » pur jus
Pas un hasard donc, si ce dernier fait appel à lui à l’été 2010 pour le rejoindre à la tête des U19 du Borussia. Une opportunité qui ne se refuse pas pour celui qui gravissait régulièrement les gradins du Westfalenstadion alors qu’il était gamin. « Beaucoup de gens savent que je suis de la région, je suis né à 30 kilomètres d’ici. Je suis venu au stade pour la première fois à l’âge de neuf ans. Depuis, j’ai toujours su que j’avais cette équipe dans mon cœur, mais je n’aurais jamais pensé que j’aurais un tel travail ici », confira-t-il lors de son intronisation comme n°1 en décembre dernier. L’aboutissement d’une décennie d’efforts à apprendre auprès de Jürgen Klopp, Slaven Bilić ou Lucien Favre.
Pendant trois ans, Edin Terzić va d’abord arpenter les catégories jeunes du club, aux côtés de Wolf donc, puis tout seul. « Quand on entraînait ensemble chez les jeunes de Dortmund, il était proche des joueurs. Ils appréciaient beaucoup l’énergie qu’il leur apportait », affirme d’ailleurs son compère. En parallèle, le bonhomme opère également dans le département scouting d’une équipe double championne d’Allemagne et finaliste de Ligue des champions sous le règne du Normal One. Mais c’est finalement loin de sa Ruhr natale que le jeune homme va faire ses preuves. Alors que l’Euro 2012 approche, un certain Slaven Bilić fait appel à lui pour un rapport sur la Suède, premier adversaire de la Croatie lors de la phase de poules. Séduit par le travail du garçon, il reviendra le chercher pour l’emmener dans ses bagages l’année suivante, direction la Turquie.
Slaven Bilić, le déclic
Pour Hannes Wolf, « cela n’a pas été une surprise quand Bilić est venu le chercher pour le suivre à Beşiktaş puis West Ham ». En Turquie, Terzić intègre ainsi pour la première fois le staff d’un groupe professionnel, avec finalement deux podiums pour ses deux années passées à Istanbul. Une promotion réussie, à en croire Dany Nounkeu, passé chez les Aigles noirs lors de la saison 2013-2014. « Je dirais presque que c’était lui le cerveau de Slaven Bilić, s’enflamme-t-il. Il était le lien, s’occupait de tout ce qui touchait à la vidéo et à la préparation des entraînements. » Une rencontre qui a fait progresser l’ancien défenseur toulousain. « J’ai discuté avec lui plusieurs fois, il me parlait en particulier de mon placement. Je sais que ça a été bénéfique pour moi de le côtoyer. »
Après les rives du Bosphore, cap sur la Tamise et sur West Ham pour Slaven Bilić. Et donc pour Edin Terzić. Là encore, le duo restera deux ans, avec à la clé une très belle septième place lors de la première saison, avant de se voir indiquer la sortie à l’automne 2017. La nomination de Lucien Favre à Dortmund sonne l’heure du retour au bercail, pour celui qui sera en charge du groupe pour la première fois lors d’un nul 3-3 contre Hoffenheim en février 2019, alors que le Suisse est malade. Avant de prendre les rênes pour de bon après son départ.
« Le Borussia Dortmund est dangereux pour une première expérience »
Désigné entraîneur intérimaire jusqu’en fin de saison, Edin Terzić se rêve désormais forcément un destin à la Hansi Flick à la tête de son club de cœur. Avec, pour réussir, l’envie de piocher chez ceux qu’il a connus depuis le début de l’aventure. « Il a joué contre de nombreux grands entraîneurs en Premier League. Jürgen Klopp a été d’une grande influence pour nous tous. Nous pouvions aller assister aux entraînements, c’était un grand moment d’apprentissage pour nous », rejoue encore Hannes Wolf. Une approche offensive qui colle parfaitement à l’identité du club. « Le coach Bilić a une mentalité offensive, il aime avoir le ballon, donc oui, c’était le mot d’ordre y compris avec lui », se souvient pour sa part Dany Nounkeu. Ça change beaucoup de choses quand tu arrives dans un club avec ces principes de jeu. »
Mieux, ce jeune entraîneur encore totalement inconnu il y a quelques mois peut-il s’inscrire dans la veine de ces jeunes techniciens allemands sans carrière clinquante derrière eux ? Hannes Wolf veut bien y croire. « Cela dépend des résultats, parce qu’alors tout le monde découvrira son potentiel. Quand Tuchel a débuté avec Mayence, il a eu de très bons résultats. Je crois en ses qualités, pour moi c’est totalement possible. » Mais loin d’être une certitude pour Frank Wagener. « Tuchel et Nagelsmann avaient une carrière parfaitement planifiée dès le départ. J’ai rencontré Nagelsmann en 2014-2015, on pouvait déjà voir qu’il allait réussir. Cela ne se voyait pas chez Edin. » Et l’ancien entraîneur va même plus loin : « C’est dangereux pour lui parce que le Borussia Dortmund a de grandes ambitions. Vous pouvez aller très haut, mais aussi tomber très bas, c’est dangereux pour une première expérience comme entraîneur. » Un enfant du pays tel qu’Edin Terzić n’aurait pourtant certainement pas rêvé mieux pour se lancer.
Par Tom Binet
Tous propos recueillis par TB, sauf mention.