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Désiré Doué, la nouvelle étoile du Stade rennais

Par Clément Gavard
11 minutes
Désiré Doué, la nouvelle étoile du Stade rennais

Arrivé au Stade rennais à l'âge de 6 ans, Désiré Doué, 17 piges, s'est déjà fait un nom auprès des amateurs de calembours et du public du Roazhon Park grâce à ses buts et son style détonnant.

Sur le bord de l’un des trois terrains de l’Écluse du Comte, d’où l’on aperçoit les hauteurs du stade de la route de Lorient, situé de l’autre côté de la Vilaine, un enfant de 5 ans passe le temps en s’amusant avec un ballon rond. À quelques mètres de lui, sur la pelouse, son grand frère, Guela, doit se montrer lors d’une détection pour convaincre les éducateurs du Stade rennais de l’accueillir chez les U9. « Je me souviens qu’on fait deux ou trois tours de sélections et on voyait à chaque fois le petit sur le côté avec un vieux ballon qui a bien râpé le goudron, se rappelle Matthieu Le Scornet, alors responsable de l’école de foot du club breton au début des années 2010. Pour le grand, c’était bouclé, et on se renseigne sur le petit, et les parents nous informent qu’il a trois ans de moins. Dès qu’il a pu prendre sa licence, il l’a fait et il nous a rejoints. »

Voilà comment le tout jeune Désiré Doué débarque dans le foot et au SRFC, où il fait partie des très rares gamins à avoir reçu la proposition de signer une licence dès les U6. « Je ne suis pas sûr d’en avoir connu d’autres à part lui, confirme Florent Bourcier, l’un de ses éducateurs dans les catégories jeunes. Généralement, il fallait attendre d’être en U8 ou U9. Il avait toujours un ballon dans les pieds, il était déjà au top au niveau de la motricité, on le voit rapidement quand un petit a autant de maîtrise, ça tape dans l’œil. » Au point donc de faire une petite entorse à la politique du club de se montrer patient et de ne pas bercer d’illusions des enfants rêveurs. « Je ne voulais pas que l’on prenne des gamins sans qu’on ne soit sûr qu’on pourrait au moins avancer avec eux jusqu’en U13, resitue Le Scornet. Mais Désiré, il n’y avait pas de raison pour qu’il n’aille pas plus loin, donc on a anticipé la signature. Lui, son ballon et son sourire, ça faisait un. Il avait une très grande aisance technique pour son jeune âge. Aujourd’hui, il a tout du joueur que tout le monde va adorer. »

La base de Désiré, ce n’était pas du tout contrôle-passe, c’est ce qui le rendait unique. Il n’avait pas un profil pour être dans la performance, il voulait jouer avec son adversaire, il voulait se régaler.

Dans le grand monde

Un peu plus de dix ans ont passé depuis cette découverte, et Désiré Doué, 17 ans depuis juin dernier, n’est déjà plus un inconnu pour le public de l’enceinte répondant désormais au nom de Roazhon Park. Après avoir remporté l’Euro U17 avec l’équipe de France au printemps (une passe décisive en finale contre les Pays-Bas) et pointé le bout de son nez dans le groupe professionnel la saison dernière, le milieu de terrain a fait tourner quelques têtes dans la cour des grands, où il a inscrit son premier but fin août contre Brest, le jour de l’anniversaire de sa maman, devenant ainsi le premier joueur né en 2005 à avoir fait trembler les filets dans les cinq grands championnats. Un mois plus tard, il a vécu une semaine de rêve, offrant la victoire à Rennes contre le Dynamo Kiev en Ligue Europa avec un but plein de sang-froid le jeudi soir, avant de réaliser un geste splendide pour parachever le succès rennais dans le derby contre Nantes le dimanche après-midi. « Il est à l’image de son but, tout simplement, validait Benjamin Bourigeaud après le chef-d’œuvre. Il a encore beaucoup de progrès à faire, mais c’est un très bon jeune. »

À Rennes, il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir fleurir les premières comparaisons avec Ousmane Dembélé et Eduardo Camavinga, les deux derniers très grands talents sortis d’un centre de formation à la réputation méritée. Matthieu Le Scornet, qui a vu passer les trois phénomènes sous ses yeux chez les jeunes, voit cependant quelques différences entre les deux fiertés rennaises et le petit nouveau. « Eduardo était déjà dans une approche collective et il n’avait pas cette aisance du départ, on a eu un véritable impact sur sa maniabilité du ballon. Ousmane, la première fois que je le vois, c’est dans un jeu à onze et il est aussi beaucoup dans la passe, éclaire l’adjoint de Julien Stéphan à Strasbourg. La base de Désiré, ce n’était pas du tout contrôle-passe, c’est ce qui le rendait unique. Il n’avait pas un profil pour être dans la performance, il voulait jouer avec son adversaire, il voulait se régaler. »

Si on lui dit de ne pas dribbler et qu’il est sûr que ça va passer, il va quand même le faire. Il a conscience du risque.

Frustrations, culot et roulette

Comme tous les jeunes en avance sur leur âge et au-dessus du lot sur un terrain, Doué a souvent été surclassé, évoluant très vite avec des joueurs plus vieux que lui. « Quand il avait 6-7 ans et qu’il était sur le côté pendant les entraînements de son frère Guela, ça m’est arrivé de l’inviter à venir faire des exercices techniques avec nous, déroule Florent Bourcier. Sur la fin de l’année, il était toujours avec nous pour les échauffements avec les U10 sur la partie individuelle, sans participer aux matchs. Et il ne faisait pas tache. » La suite, c’est un parcours linéaire, classique pour un jeune talentueux, dont le papa racontait pourtant dans le podcast RMC Scouting qu’« il ne voulait plus jouer au football » à une époque où des éducateurs rennais avaient voulu le placer en défense en U11, « un électrochoc » pour Doué. « C’est possible qu’il ait eu un rôle plus défensif à un moment en étant dans les trois du milieu dans le foot à huit et ça peut être frustrant pour un enfant comme ça, creuse Matthieu Le Scornet. Quand on est passé à onze, il y avait la volonté de l’installer comme milieu box to box pour l’aider à progresser dans les efforts et les replis. Il fallait lui donner la culture de l’aller-retour. Il y a eu une petite période où il a fallu digérer cet apprentissage, ce qui lui a peut-être fait perdre de la fraîcheur et de la spontanéité à ce moment-là. »

Le jeune Désiré Doué, troisième en partant de la droite, après la victoire de Rennes à la FCGM Champions League en 2015

Parmi ses éducateurs, il est difficile d’en trouver un pour dire du mal de Désiré Doué, décrit comme intelligent, mature, à l’écoute et pas du genre à créer des problèmes pendant les séances. « Un côté très humain, juge Le Scornet. Un jour, on perd en quarts ou en demi-finales d’un tournoi, c’est une vraie déception et c’est lui qui vient me taper dans le dos. » Le portrait du fameux crack, un terme à la mode, capable de faire gagner des matchs à ses équipes. Ce qu’il a par exemple fait en juin 2015 lors de la FCGM Ligue des champions U10, un tournoi où on pouvait l’apercevoir trois ans plus tôt enchaîner les jongles entre deux matchs de son frangin Guela. « Il le gagne à lui tout seul, ce tournoi, renchérit Florent Bourcier. Contre Nantes, il doit mettre un coup franc du milieu de terrain. »

La preuve en images et la confirmation d’un culot certain qu’il n’a pas perdu en débarquant dans le monde professionnel, que ce soit en championnat ou en Coupe d’Europe. « Il ne fallait pas trop le brider, sinon il n’allait plus faire l’exploit, enchaîne Florent. Il a toujours eu cette insouciance, mais il est conscient de ce qu’il fait. Si on lui dit de ne pas dribbler et qu’il est sûr que ça va passer, il va quand même le faire. Il a conscience du risque. » Une caractéristique que Matthieu Le Scornet choisit d’illustrer avec une roulette tentée et réussie contre Ajaccio en août dernier, poussant Fernand Mayembo à la faute à l’entrée de la surface sans que l’arbitre ne bronche : « Tout le monde est surpris à ce moment-là, même l’arbitre. S’il s’était loupé, on lui aurait dit de jouer plus simple. Le problème, c’est qu’une roulette dans cette situation, c’est simple pour lui. Ce n’est pas de l’arrogance ou de la prétention, c’est simplement qu’il pense que c’est le geste à faire. C’est pour cela qu’il faut avoir une acceptation de l’erreur. »

Je n’avais pas aimé, il avait perdu beaucoup de ballons.

Le sport, une affaire de famille

Les enjeux ne sont pas les mêmes en U10 qu’en Ligue 1, et Désiré Doué a commencé à le comprendre ces dernières semaines. Le soir de la victoire rennaise contre le Dynamo Kiev, son but libérateur n’avait pas totalement effacé son entrée en jeu très moyenne et ses excès d’individualisme, poussant son entraîneur Bruno Genesio à lui demander de « s’améliorer très très vite là-dessus » et le capitaine Hamari Traoré, pourtant suspendu, à lui donner une petite leçon sur la pelouse dès le coup de sifflet final. « Je n’avais pas aimé, il avait perdu beaucoup de ballons, expliquait récemment le Malien sur RMC. Il n’y a pas que moi qui l’attrape. Il y a tous les cadres, que ce soit Steve(Mandanda), Bourig(Benjamin Bourigeaud), Flav (Flavien Tait), Baptiste(Santamaria).On essaye d’être le grand frère de nos jeunes. Il est déjà mature, physiquement il est au top, techniquement je n’en parle même pas… Franchement, c’est un joueur de haut niveau. Peu de personnes sont capables de faire ce qu’il fait à son âge. À lui de continuer à bien travailler, il est bien entouré. »

Au club comme dans la vie, par une famille « très assidue dans la progression de leurs enfants, mais sans être omniprésente auprès des éducateurs », selon les souvenirs de Matthieu Le Scornet. Une famille de sportifs, aussi, avec un papa ancien boxeur à un très bon niveau (semi-pro) et passé par l’équipe de vétérans du Stade rennais. « Je crois qu’il jouait stoppeur, très défensif, ça ne passait pas avec lui, sourit Le Scornet. Ça peut donner quelques confrontations en famille, et il me semble même que la petite sœur va aussi essayer le foot. » Un passé lui permettant aussi d’appréhender plus facilement le milieu particulier du sport-roi. ( « Il connaissait déjà l’envers du décor, il savait de quoi il parlait et il n’allait pas mettre des bâtons dans les roues de ses enfants », image Florent.) La révélation de Désiré Doué ne semble pas avoir bousculé le quotidien de sa famille, qui vit au Rheu, une commune à l’ouest de Rennes, ni changé sa relation avec son frère Guela, défenseur polyvalent de 20 ans, lui aussi professionnel, mais qui attend toujours de goûter à ses premières minutes avec l’équipe première en match officiel. « Ils ont un dénominateur commun, c’est le travail et des prédispositions physiques incroyables », souligne l’ancien adjoint rennais. « Le père filme souvent les supporters au stade. J’étais derrière les parents en tribunes lors du match contre Nantes, on sent qu’ils ont un vrai plaisir de le voir évoluer au Roazhon Park, estime Florent Bourcier. Et il y a forcément un attachement à Rennes. »

Une prolongation et un symbole ?

Un cocon précieux, mais aussi une nouvelle pression pour un joueur dont il faut sans cesse rappeler qu’il n’a que 17 ans. Du côté du Stade rennais, on ne voit bien sûr pas d’un bon œil la médiatisation soudaine de Désiré Doué, ultraprotégé et couvé comme avaient pu l’être Eduardo Camavinga à l’époque ou Warmed Omari la saison dernière. Les dirigeants bretons préfèrent également rester silencieux au sujet de leur nouvelle pépite, alors que des discussions pour une prolongation de contrat sont en cours, sans encore avoir abouti (il est pour l’instant lié au SRFC jusqu’en 2024). Après avoir cédé Mathys Tel au Bayern Munich contre une somme record pour un joueur mineur cet été, Rennes aimerait que Désiré Doué soit le symbole d’une stratégie consistant à faire confiance à la jeunesse pour l’encourager à rester plus de six mois en rouge et noir avant de rêver plus grand ailleurs en Europe.

Ses anciens éducateurs prédisent tout de même des moments plus difficiles à venir, avec la découverte d’un autre foot et d’un autre monde et parce que son très jeune âge doit aussi inciter à de l’indulgence et de la patience, ce que fait bien son entraîneur depuis le début de saison en lui montrant que le talent ne suffit pas à s’imposer comme titulaire devant des cadres comme Tait ou Majer. « J’ai envie de dire que le plus dur commence pour lui parce qu’on va parler de lui, prédisait Genesio en conférence de presse. À cet âge-là, il va falloir qu’il soit costaud pour continuer à travailler comme il le fait et rester un peu imperméable à tout ce qu’il va entendre. » Ce qui n’est jamais simple quand on fait l’objet de nombreuses sollicitations, sportives ou non, et que l’on se retrouve sur les radars des meilleurs clubs européens ou au centre de certaines opérations marketing d’une marque comme Nike. Matthieu Le Scornet, lui, préfère se concentrer sur ce qu’il voit sur le terrain : « Les gens n’ont encore rien vu aujourd’hui. Quand il commence un match, il y a l’importance de l’équilibre de l’équipe. Pour lui, jouer ce n’est pas ça. Il a un foot d’attaque, attractif, de déséquilibre, c’est du foot plaisir. » Celui qui animait sûrement ce petit garçon de 5 ans, à quelques centaines de mètres d’un stade qu’il n’imaginait peut-être pas faire vibrer un jour.

Dans cet article :
Loum Tchaouna : « Et là, j’entends des cris de singe »
Dans cet article :

Par Clément Gavard

Propos de Matthieu Le Scornet et Florent Bourcier recueillis par CG, ceux de Bruno Genesio tirés des conférences de presse

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