- Journée internationale des migrants
De Kinshasa à Alexandrie : cinq Congolais en rade en Égypte
Andy, Coeurci, Antoine, Franky et Omakanda* ont quitté la République démocratique du Congo en juillet pour l’Égypte, avec la promesse d'être recrutés par un club de football à l’issue de tests physiques. Mais le voyage ne s'est pas passé comme prévu. Escroqués par un prétendu manager, ils sont toujours en Égypte sans réelles perspectives.
Alexandrie, Égypte. Nous sommes en plein milieu de l’hiver, un début d’après-midi du mois de décembre. Au huitième étage d’une tour quelconque de la ville, l’appartement des cinq footballeurs s’anime. Une odeur de poulet grillé envahit le salon, Andy s’active en cuisine. Coeurci chante à pleine voix entre la chambre et la salle de bain, sur un tube de la star congolaise Fally Ipupa. Les voix se mélangent à celle d’un pasteur sur haut parleur dans le fond de l’appartement. C’est une journée qui ressemble à toutes les autres depuis le mois de juillet. La suite d’un jour sans fin, loin des stades.
Kinshasa, République démocratique du Congo, au printemps 2020. Andy, Coeurci, Antoine, Franky et Omakanda ont été repérés pour leurs belles performances sur le terrain tout au long du championnat provincial EUFKIN-Lukunga. Leur club de quatrième division, TP Les Croyants, arrive à la deuxième place du classement. Courant juillet, leur président a une nouvelle à leur annoncer. Un manager malien est prêt à les embaucher dans son club en Égypte. L’homme est un ami d’un autre manager, proche du président et présent en RDC. Lui est venu superviser plusieurs fois les joueurs sur le terrain. Pour les cinq footballeurs âgés d’une vingtaine d’années, c’est une « bénédiction ». « Là-bas, c’est vraiment le souhait de tout le monde de partir », affirme Antoine.
« Mes parents voulaient que je continue mes études. Il y avait l’argent pour l’université, mais moi j’ai choisi le foot », raconte Antoine.
Pour cause, les jeunes joueurs égrainent l’ensemble des problématiques du ballon rond dans le pays : « pas d’encadrement ni de sérieux », « l’absence de sponsors suffisants pour les clubs », « des contrats signés, mais pas de paye à la fin du mois » ou encore « des problèmes de corruption ». En cette fin de saison, tous avaient pourtant des possibilités d’évoluer en RDC. Chacun s’était vu proposer un contrat pour jouer dans un club de première division. Mise à part quelques primes de récompense à la fin de matchs victorieux, le football ne leur rapporte jusque-là pas d’argent. Mais depuis l’adolescence, avec le soutien de leur famille pour la plupart, cette activité occupe tout leur temps, cinq jours sur sept. « Venir ici, c’était venir faire une carrière professionnelle. Je rêvais grand. Je voyais déjà comment j’allais devenir indépendant et aider les autres. Les choses allaient changer », raconte Franky.
Un mercato qui passe…
Un an plus tard, au mois de juillet, les joueurs congolais arrivent un à un sur le territoire égyptien. Les voilà tous les cinq réunis dans cet appartement d’Alexandrie, conduits par leur nouveau manager. Ce dernier semble « très sympa » et « souriant » au premier abord. Ils n’ont pas vraiment d’informations sur le déroulement des prochains jours. Ils attendent de pouvoir passer les tests promis pour intégrer une équipe. « Les premières semaines, on ne faisait rien. Il nous disait :« Vous êtes en repos. Vous avez travaillé dur, quand on va commencer les entraînements ça va être difficile » », se souvient Andy. En deux mois, les jeunes hommes jouent deux matchs, l’un pour évaluer leur niveau, l’autre pour rencontrer une équipe : « Il a trouvé que l’on était bons, il voulait que l’on monte directement en première division. » Le mercato s’ouvre, mais rien ne se passe, aucun test officiel à l’horizon. Rapidement, le doute s’installe sur la réelle fonction de leur intermédiaire. Les footballeurs constatent qu’il n’a pas de club, mais qu’il est responsable d’une académie de foot, où il entraîne des adolescents. La période de transfert estivale s’achève ainsi en septembre, et l’accablement s’empare des aspirants professionnels. Tous se retournent vers leur président, « un peu révoltés ». Ils veulent rentrer au pays.
Franky affûte ses crampons : « Sur le terrain, on souffre beaucoup. Tu vas au-delà de tes limites. Tout travail mérite salaire. »
Antoine met sur haut-parleur une série de messages vocaux échangés sur WhatsApp entre le président congolais et le prétendu manager en Égypte, au mois d’octobre. Le premier demande conseil au second : faut-il que les « enfants » rentrent au pays ? Le manager répond : « Je ne veux pas qu’ils retournent au Congo. Je peux trouver un club, un D3 pour un an si on n’a pas de chance. » L’autre riposte : « Je vous demande d’avoir plus de contacts avec les jeunes, parlez avec eux régulièrement. » Des paroles non suivies d’effets : le mois suivant, les joueurs n’ont plus de nouvelles. Entre-temps, ils découvrent que la somme du loyer n’est pas équivalente à l’argent réclamé par le manager depuis août : 450$ contre 190$. En trois mois, en rajoutant la caution, celui-ci aura mis directement dans sa poche 1230$. Depuis, les footballers reçoivent l’argent directement de leur président.
… un autre qui arrive
Faute d’alternative et malgré l’escroquerie mise au jour, le président demande à ses joueurs d’être patients et d’attendre malgré tout le mercato hivernal. « Nous n’avons pas de moyens pour retourner au Congo, nous sommes obligés d’attendre. En quelque sorte, on est bloqués », avoue Franky. D’autant plus que leur visa d’entrée est dépassé depuis trois mois. Le temps s’étire. Les jeunes hommes le passent à dormir ou bien à pianoter sur leur téléphone. Parfois, ils descendent au café du coin voir un match à la télé. « Il n’y a pas de terrain populaire ici, dès que tu veux t’entraîner tu dois payer », déplore Andy. Les corps perdent leur énergie. Coeurci le sent bien lors des rares joggings entrepris à l’extérieur : « Je n’ai pas la même endurance. » Aucun d’entre eux ne parle arabe ou anglais. La barrière de la langue complique le quotidien. « Nous sommes comme des animaux. Lorsqu’un chien aboie, on ne sait pas ce qu’il dit, mais lui il sait ce qu’il veut », observe Omakanda.
Les premiers mois, le président envoyait tous les dix jours au manager 50$ pour la nourriture. « On faisait trois jours avec la nourriture qu’il nous donnait », se remémore Franky.
Une journée de novembre, quelques-uns d’entre eux partent au Caire, pour s’enregistrer auprès de l’ambassade de RDC. Par un heureux hasard, Antoine vient de découvrir auprès de sa famille qu’une proche y travaille. Elle les accueille et écoute leurs péripéties. « Mémé me dit que nous n’allons rien faire avec notre manager, qu’elle a déjà vu plusieurs cas de Congolais escroqués », rapporte Antoine. La femme les présente à un footballeur congolais installé depuis quelque temps en Égypte. Il leur explique le fonctionnement des transferts, encore flous pour les jeunes. « Avant de faire des tests physiques, un joueur envoie d’abord des vidéos, nous, nous sommes ici sans CV si on peut dire », réalise Franky. Ils apprennent également que les places sont peu nombreuses en Égypte. La Fédération égyptienne de football a décidé de n’autoriser pour la saison 2021-2022 que cinq joueurs étrangers dans les équipes de première division. En deuxième division, deux sont admis et un seul peut l’être en troisième division.
Pour autant, les cinq joueurs gardent la même obsession. « Mon seul souci, c’est de trouver un club », atteste Omakanda. Le joueur a perdu son père trois jours avant de voyager. C’est lui qui le soutenait depuis toujours dans sa passion : « La seule chose que je veux lui donner, c’est la célébrité de son nom. » Récemment, le président du TP Les Croyants a promis au groupe de faire le déplacement en Égypte à la fin du mois pour les aider à chercher un club. « Je ne sais pas s’il dit la vérité, mais j’ai de l’espoir », assure Coeurci. « Pour lui, c’est un business aussi, il n’a pas intérêt à ce que l’on revienne », concède Antoine. L’aventure n’est pas encore terminée.
Par Amélie Sanft, à Alexandrie
* Les joueurs ont souhaité conserver l'anonymat.
Photos : Amélie Sanft.