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Dayot Upamecano : « J’ai toujours eu un corps d’adulte »
Grand potentiel de la génération 1998, Dayot Upamecano a été éclipsé des radars du grand public par un caractère timide, son exil en Allemagne et le phénomène Kylian Mbappé. Mais fort de son statut de titulaire à Leipzig, le natif d'Évreux creuse son sillon. Jusqu'à l'équipe de France prochainement ? Évidemment.
Le rendez-vous a lieu au centre d’entraînement du RB Leipzig, plus précisément dans son « Academy » , installée au 7 rue Cottaweg. Les installations sont marquées du sceau Red Bull, et leur modernité semble presque incongrue dans le cadre bucolique de l’Ouest de Leipzig. L’entretien a été calé dans un salon de thé/boutique du club « nouveau riche » d’ex-Allemagne de l’Est. Dayot Upamecano (20 ans) arrive accompagné d’un traducteur – pour que ses dirigeants sachent de quoi on parle – et d’un des RP du club. Sa main est un peu moite, son regard pas totalement assuré. Une timidité qui contraste avec l’allure de colosse d’un jeune homme qui fait déjà l’unanimité en Bundesliga.
Histoire de ne pas oublier : ton prénom, Dayotchanculle, c’est de quelle origine et cela veut dire quoi ?C’est le nom que portait mon arrière-grand-père, mon père m’a donné ce nom en souvenir. Il était de Guinée-Bissau, le nom n’a pas de signification particulière (en réalité, il s’agit d’un titre honorifique pour le chef de village, sur l’île de Jeta Caoi, N.D.L.R.).
Tu as grandi dans le quartier de la Madeleine à Évreux. Quels souvenirs et images tu gardes de ta vie là-bas ? C’est un quartier où il y a beaucoup d’Africains et beaucoup de footballeurs. Un quartier comme beaucoup d’autres. Mes souvenirs de cette époque : les amis, le foot… Quand je n’avais pas entraînement, je jouais au foot avec mes amis. Cela résume Évreux : beaucoup de joueurs sont arrivés en pro comme Guitane, Dembélé, Grandsir aussi… Avec Ousmane, Rafik, quand il n’y avait pas école, on allait directement sur les terrains de foot du quartier. On vivait dans un quartier de footballeurs, avec un petit city stade où l’on faisait des gros tournois, pendant deux ou trois heures, on se donnait à fond. Que des gens de la Madeleine. Dans les quartiers, quand on joue ce type de matchs, on est aussi sérieux et à fond que pendant un entraînement ou même un match de club. Cela développe l’agressivité et le mental.
Tu jouais déjà défenseur ?
Je jouais partout, attaquant, milieu… Je n’ai pas forcément vite compris que je pouvais devenir pro, mais c’était mon rêve depuis enfant, donc je me donnais tout le temps à fond. Quand je suis arrivé à Valenciennes, ils m’ont mis défenseur, avant j’étais plutôt au milieu et aussi en défense. Ils ont préféré me fixer défenseur. Donc j’ai continué à jouer à ce poste. Mais à l’origine, je ne me suis jamais imaginé à tel ou tel poste, je voulais être joueur professionnel, c’est tout. Mais quand j’ai été fixé, sans avoir vraiment de modèle, je me suis mis à beaucoup regarder Sergio Ramos, parce que pour moi c’est le meilleur défenseur du monde. Sa personnalité est particulière, il aurait été à l’aise dans nos tournois à la Madeleine, mais c’est surtout son jeu qui m’a toujours plu.
Tu as passé le test pour intégrer le centre de formation de Valenciennes en compagnie d’Eder Verissimo, un autre gars d’Évreux. Quels souvenirs en gardes-tu ? J’étais un peu rassuré d’être avec Eder plutôt que d’être seul. Les éducateurs d’Évreux m’ont mis en confiance, m’ont dit qu’il ne fallait pas que je stresse. J’ai joué mon foot et ils m’ont pris. Il y avait beaucoup de joueurs de région parisienne, on avait fait des oppositions, des matchs. J’avais la pression, mais Romaric Bultel et Vincent Mendy, mes entraîneurs d’Évreux, m’ont tellement parlé que ça a été. Ils m’ont dit : « Fais comme si tu étais à Évreux. » J’avais déjà un bon mental, cela m’a aidé. Je me rappelle que les coachs de VA nous mettaient en confiance. Olivier Bijotat notamment m’a rassuré sur ma prestation.
Olivier Bijotat nous a dit « Quand j’ai vu Dayot pour la première fois, je me suis dit : c’est un enfant dans un corps d’adulte » … J’avais l’impression d’être comme tous les autres, mais les coachs et mes coéquipiers me disaient tous que j’avais un corps d’adulte. Je le prenais bien. C’est vrai que je m’imposais dans les duels. Voilà, j’allais au contact. J’étais agressif. En fait, j’ai toujours eu un corps d’adulte.
Tout le monde dit que tu étais peu bavard à l’époque, mais plus à l’aise sur le terrain…Dès que j’entrais sur le terrain, il y avait un changement en moi. Je parlais plus sur le terrain qu’en dehors. J’étais timide en dehors du terrain. J’avais du mal à m’exprimer envers mes camarades, l’entraîneur, et toutes les autres personnes. Donc forcément, je ne parlais quasiment pas. Mais une fois sur le terrain, je ressentais une espèce de force.
Passer de la Madeleine à Valenciennes à 15 ans, comment as-tu vécu ce déracinement ?Il y a eu des moments durs. Se retrouver seul sans sa famille à cet âge, c’est parfois très dur. Mais il y avait Eder. Il était important pour moi : quand lui n’allait pas, je l’aidais, et quand c’est moi qui n’allais pas, il m’aidait. Je ne me suis jamais dit : « Cela ne va pas passer, c’est trop dur » , car chaque week-end, une personne de ma famille venait me voir jouer. J’ai quatre sœurs et un petit frère, tous me disaient de ne pas lâcher. J’avais du monde derrière moi.
À 17 ans, Salzbourg fait une offre. Qu’est-ce qui te pousse à partir en Autriche ?C’est vrai qu’au regard de mon profil, ça peut sembler bizarre d’aller dans un pays germanophone, alors que je m’exprime déjà peu en français. Mais on a regardé d’abord le projet sportif. C’était le plus important pour ma famille et mon avocat. Je suis parti voir les installations, on m’a parlé du projet sportif, cela m’a convaincu, car il y avait déjà beaucoup de joueurs étrangers, notamment des Maliens, des Japonais, des Chinois. Cette diversité m’a plu.
Qui t’a accueilli là-bas ?Le coach parlait français, c’était Pieter Zeidler, celui qui était à Sochaux. Le fait qu’il parle français m’a vraiment rassuré. Il m’a dit de ne pas m’inquiéter, que les gens du club allaient m’aider. Lui me parlait en français, il y avait aussi Naby Keita, aujourd’hui à Liverpool.
Mais par rapport à la barrière de la langue, c’était quoi le projet ?C’est le seul truc qui m’a inquiété, cette nouvelle difficulté pour communiquer. Mais vu qu’il y avait pas mal de francophones et qu’on allait faire les cours d’allemand ensemble, je me suis dit que ça irait. Aujourd’hui, je comprends bien l’allemand, mais ça reste difficile pour moi de m’exprimer. On fait les cours à deux avec Ibrahima Konaté, et parfois je suis seul avec le professeur.
Quand tu signes pour Salzbourg, quelles sont tes autres options ?J’étais parti visiter les installations de Manchester United. Cela ne me plaisait pas trop (en réalité, ce sont son avocat et ses parents qui déclinent la proposition, faute de garanties scolaires et sportives, N.D.L.R.).
Je ne voulais pas être dans une famille d’accueil, j’aurais préféré être dans un centre de formation. À Salzbourg, il y avait des étrangers et des perspectives d’évolution sportive. À Manchester, c’était moins évident pour moi de progresser. Je pense que les clubs allemands (il a initialement signé à Salzbourg, N.D.L.R.) d’aujourd’hui ont le bon discours face aux jeunes. Ils témoignent de la confiance, ils misent vraiment sur eux. Il suffit de regarder : Ousmane Dembélé à Dortmund, Kingsley Coman au Bayern Munich. J’ai parlé à Ousmane Dembélé avant de rejoindre Leipzig par exemple, et il m’a dit : « Ici, ils vont te faire jouer. »
Tu as un coach particulier, Ralf Rangnick, qui a la réputation d’avoir inspiré les meilleurs techniciens allemands du moment. Je le connaissais déjà avant son arrivée sur le banc cette année, car quand j’ai signé à Salzbourg, il était là-bas. Il m’avait parlé, m’avait dit : « Si tu travailles, tu vas monter très haut. » Il est très droit, très discipliné. Il se focalise beaucoup sur la préparation mentale. Il me parle beaucoup, me dit que j’ai du talent, mais que c’est seulement en travaillant que je peux arriver au plus haut niveau. Et en écoutant également. Il me parle beaucoup de l’aspect tactique, de placement… Il ne m’a pas parlé d’équipe de France, mais d’étapes…
L’équipe de France A, tu y penses quand même ?Pour le moment, je suis avec les Espoirs, j’ai un Euro pour lequel j’espère être sélectionné. Je me concentre sur ça. Après, je veux continuer à progresser, je ne pense pas plus loin.
Ton grand avantage pour l’équipe de France, c’est que l’embouteillage en défense centrale, c’est surtout pour les gauchers.Oui. Quand on voit que Laporte n’y est pas encore… Mais il y a aussi du monde à droite. Je pense qu’il me manque encore beaucoup de choses pour postuler, sur le plan technique, tactique… Je dois encore bosser pour aller chez les A. Il y a plein de joueurs sur qui je peux prendre exemple dans ce groupe France. Varane, il est très fort ! C’est un joueur très intelligent et humble, j’aime ça.
Tes soucis d’élocution quand tu étais en formation, est-ce que cela t’a aidé indirectement à devenir plus fort ? (Un peu sur la défensive.) Je ne crois pas. J’avais des problèmes pour m’exprimer, je n’aimais pas beaucoup parler. Ils m’ont fait suivre des séances d’orthophonie à Valenciennes, pour m’aider à mieux parler. (Il a été suivi par des orthophonistes pour traiter des soucis de dyslexie et de diction, N.D.L.R.) Cela m’a aidé, j’ai fait ça pendant environ six mois, l’année de mes 15 ans. Je l’avais déjà fait plus jeune, mais vu que je bégayais un peu, c’était nécessaire. Ce problème n’a jamais été pénalisant vis-à-vis des autres joueurs, personne ne m’a jamais fait de remarque là-dessus. Je ne dirais pas que c’est quelque chose qui m’a perturbé pour le football, ni ne m’a aidé. Enfin si, cela m’a rendu plus costaud mentalement, parce que je voulais dépasser ça, pas me résigner devant cette difficulté.
Où te vois-tu jouer dans cinq ans ?Je ne sais pas où je serai, mais je vais tout faire pour que cela soit le plus haut possible. Je vise haut, j’ai des ambitions.
Propos recueillis par Nicolas Jucha, à Leipzig