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Younès Belhanda : « Galatasaray-Fenerbahçe, c’est Montpellier-Nîmes puissance 1000 »

Par Julien Duez et Diren Fesli, à Adana (Turquie)
Younès Belhanda : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Galatasaray-Fenerbahçe, c’est Montpellier-Nîmes puissance 1000<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Ce mardi soir, Younès Belhanda (31 ans) retrouve Galatasaray, son premier club turc, dont il a porté le maillot jusqu’au printemps dernier. Aujourd’hui à Adana Demirspor, le champion de France 2012 raconte le lien qui l’unit à la Turquie et regarde son parcours avec un mélange de plaisir et de nostalgie. Entretien à visage humain et garanti sans langue de bois.

En mars 2021, tu quittes Galatasaray de manière fracassante. Aujourd’hui tu évolues chez le promu d’Adana Demirspor alors que tu étais cité un temps au MHSC. C’était finalement logique de rester en Turquie ?J’ai toujours eu le souhait de retourner un jour à Montpellier en tant que joueur. Cet été, j’étais libre et je sortais de trois mois sans rien au moment où on discute avec le club. D’ailleurs, à ce moment-là, je me prépare à rentrer en France et à retrouver un style de vie très différent du mien, en Turquie, où il y a un confort qu’on ne retrouve pas ailleurs. Et puis, je me dis que ça va aussi être compliqué pour mes enfants, au niveau des papiers, de l’école… Ici, ils apprennent des langues, l’anglais et le turc, que mes deux grands parlent couramment, en plus du français qu’on parle à la maison. Alors qu’en France… Bon, finalement, ça ne s’est pas fait avec Montpellier, puisque mon arrivée était liée à la vente d’un joueur du groupe. Mais ce n’est pas grave, ici je kiffe, mon rôle a évolué, j’ai plus de responsabilités à présent. C’est toujours le challenge sportif qui a guidé mes choix. Comme lorsque je suis parti de Montpellier en 2013.

En 2012, après le titre, je ne reçois aucune offre, comme si tout ce que j’avais fait cette année-là n’intéressait personne. (…) Je l’ai mal pris, ça me paraissait illogique alors que dans le même temps, Giroud était approché par Arsenal.

Justement, cette année-là tu signes au Dynamo Kiev après avoir été sacré champion de France et disputé la Ligue des champions. À l’époque, ce choix paraissait assez peu compréhensible.J’étais dans une période où j’en avais ras le bol de tout. En 2012, après le titre, je ne reçois aucune offre, comme si tout ce que j’avais fait cette année-là n’intéressait personne. Il y a bien eu quelques touches avec l’Inter, mais ça n’a débouché sur rien. Est-ce que c’est mon agent de l’époque qui m’a caché des offres éventuelles ? Moi, je n’y croyais pas. En tout cas, je l’ai mal pris, ça me paraissait illogique, alors que dans le même temps, Giroud était approché par Arsenal. Je me disais : qu’est-ce qu’il faut que je fasse de plus en fait ? Ce n’est pas une question d’ego, juste une question de reconnaissance.

Pourtant tu restes une saison de plus. Comment on surpasse ça ?Je sentais que mon cycle à Montpellier était terminé et que je devais faire autre chose après quatre ans passés là-bas. Il a donc fallu s’adapter, mais c’était difficile, parce que pendant la présaison 2012-2013, je me déboîte la cheville pendant un match en Gambie avec le Maroc. Et l’année qui suit est bien en deçà de la précédente : mon jeu change parce que devant, je perds Giroud, un mec qui joue pour toi et te remise. Avec lui, j’étais toujours face au jeu, tandis qu’avec Emanuel Herrera, qui jouait plus la profondeur, le besoin d’un numéro 10 était moins important. À la fin de cette nouvelle saison, je marque quand même dix buts, mais là, pareil, aucune offre.

C’est donc ainsi que tu débarques à Kiev.Pas encore. (Rires.) Avant ça, j’étais sur le point de signer à Al-Jazira. Comme aucun club européen ne m’appelle, je suis allé là-bas, tout seul. Sauf que tout d’un coup, mon agent m’appelle et me dit : « Si tu veux rester en Europe, j’ai le Dynamo Kiev pour toi. » Et comme je voulais rester en Europe, je suis allé au Dynamo Kiev. Ce n’était donc pas une question d’argent parce que de l’argent, j’en aurais eu bien plus à Al-Jazira. On m’a déjà fait des offres à six millions d’euros par an pendant cinq ans. Si c’était ça qui me motivait, j’y serais depuis longtemps !

En partant aux Émirats, tu n’aurais pas eu le sentiment d’avoir prématurément flingué ta carrière ?Où que j’aille, je suis un compétiteur. En signant en Ukraine, beaucoup se sont dit que je baissais de niveau, mais je n’allais pas dans un club du milieu de tableau. On jouait des matchs de prestige, et notre niveau était bien meilleur que celui de certaines équipes françaises. On a joué la Ligue des champions et la Ligue Europa, où on a quand même fait quelque chose. Comme lorsqu’on a tué Guingamp chez eux, même si moi, j’ai pris un rouge ce jour-là ! (Rires.) Ce n’est pas donné à tout le monde.

Vu de loin, le championnat ukrainien traîne une réputation un peu exotique. Qu’est-ce qui t’a convaincu d’y signer ?C’est vrai que de l’extérieur, je me suis d’abord dit : « Putain, où est-ce que je vais ? » J’avais en tête l’image de la guerre froide, des kalachnikovs… Mais le président du Dynamo (Igor Surkis, NDLR) me connaissait par cœur. Il voulait construire une équipe autour de moi et savait que je pouvais jouer sur le côté ou en 6, comme quand j’étais plus jeune. Ce n’est pas le genre de mec qui s’est dit : « Ah lui, il a été champion de France, donc on va miser sur lui. » Et puis il m’a eu en me rappelant que le Shakhtar était champion d’Ukraine depuis quatre ans. Le défi m’a attrapé, et on connaît la suite : il a fallu attendre une saison, mais on a remporté le championnat deux fois d’affilée (en 2015 et 2016, NDLR), en plus de la Coupe.

Même quand les événements de Maïdan ont commencé, je ne me suis jamais senti en insécurité en Ukraine, et Kiev reste gravé en moi. J’y ai vécu parmi mes meilleures années en tant qu’homme.

C’était bien la vie là-bas ?Oui, parce que je n’étais pas seul, j’y suis allé avec mon frère et ma femme. Nos deux premiers enfants y sont d’ailleurs nés. Même quand les événements de Maïdan ont commencé, je ne m’y suis jamais senti en insécurité, et Kiev reste gravé en moi. J’y ai vécu parmi mes meilleures années en tant qu’homme. Le seul moment où j’ai hésité à partir, c’est après le début de la guerre du Donbass, parce que le championnat a été arrêté plusieurs mois et que je voulais continuer de jouer.

Tu as mentionné ce carton rouge pris face à Guingamp en Ligue Europa et qui n’est pas le seul de ta carrière. Est-ce que, globalement, tu te considères comme un mec en colère ?Non, au contraire, je suis plutôt du genre timide et émotionnel. Quand je parle, je peux avoir les larmes qui me montent aux yeux. Et quand tu ne veux pas montrer tes émotions, tu fais des trucs qui vont à l’encontre de ta nature. En devenant impulsif par exemple. C’est presque mécanique.

Du coup, la Turquie, c’était une destination adéquate ?(Il coupe.) Naaaan, ça c’est un cliché ! Les Turcs ne sont pas impulsifs. Ils aiment quand ça rentre dedans, que ça se tape, c’est vrai, mais pour les bonnes raisons. Si tu prends un rouge pour rien et que ça nique l’équipe, ça ne va pas. On a en tête l’image des stades chauds, mais ce qu’on a vu en France avec les mecs qui descendent sur le terrain, tu ne le verras jamais en Turquie. Comme en Ukraine, il y a moins d’insécurité ici qu’en France, que ce soit dans la vie ou dans le football. Ça, il faut bien se le mettre dans la tête.

Ça, tu le savais avant d’arriver à Galatasaray ou tu l’as découvert une fois sur place ?Je me posais certaines questions, mais elles ne concernaient que le foot. Le reste ne me faisait pas peur. Si des gens sont partis là-bas avant moi, c’est qu’il y avait une raison. Et si la vie était dangereuse, ils n’y reviendraient pas, que ce soit en club ou en vacances. Donc je me suis renseigné auprès de mecs de Fener’ comme Moussa Sow et Issiar Dia. Lui, il va tout le temps en vacances en Turquie par exemple. Ils m’ont tous dit que j’allais kiffer. Alors je me suis dit : « On y va ! »

Quand on me voit avec le numéro 10, on pense que je vais faire du Sneijder. Sauf que je ne suis pas Sneijder moi, je ne suis pas un buteur, je suis un mec qui construit le jeu ! J’aurais dû le barrer ce putain de numéro, au moins j’aurais été tranquille !

À ta présentation en juin 2017, on te confie le numéro 10 de Wesley Sneijder, qui l’avait porté juste avant toi et avait marqué les esprits à Istanbul. C’était une pression d’entrée ?Oui parce que le club a retiré le 10 à Sneijder, alors qu’il jouait encore à Gala. Dans la tête des supporters, il y a eu une grosse incompréhension. C’est comme si je lui avais volé son numéro alors que moi, je n’avais rien demandé ! On me l’a en effet proposé et j’ai accepté, mais sans savoir ce qui m’attendait derrière. Je suis amoureux du football, pas d’un numéro. La preuve, à Nice, je portais le 5. Mais quand on me voit avec le numéro 10, on pense que je vais faire du Sneijder. Sauf que je ne suis pas Sneijder, moi, je ne suis pas un buteur, je suis un mec qui construit le jeu ! J’aurais dû le barrer ce putain de numéro, au moins j’aurais été tranquille ! (Rires.)

Dans le foot turc, les réseaux sociaux font office de tribunaux géants. Tu lisais tout ce qu’on disait sur toi ? Ce qu’il est important de préciser, c’est que c’était seulement compliqué avec une petite partie des supporters. La plupart m’aimaient, et je les aime aussi. Partout où je vais, ils sont heureux de me revoir, je le sens encore plus maintenant que je suis à Adana. En ce qui concerne les réseaux sociaux, je ne veux pas rentrer dans ce monde-là. Je n’ai même pas mes codes Instagram, c’est un gars qui publie pour moi. Une fois, je lui ai demandé l’accès à mon compte Twitter. Pendant deux heures, j’ai commencé à répondre à toutes les critiques et ça a fait le buzz dans les médias. Je ne l’ai jamais refait. Si je passe trop de temps sur Twitter, je risque de finir en prison. (Rires.)

Pour te défendre, tu pouvais cependant compter sur ton entraîneur, Fatih Terim, avec qui tu semblais avoir une relation particulière.Fatih Terim est comme mon père, c’est un vrai. Ce qui m’a toujours plu avec lui, c’est qu’il a toujours protégé ses joueurs dans les moments compliqués. Il aurait pu se protéger en suivant le mouvement, mais il a eu les couilles d’affronter les critiques. Un autre exemple : contre le Real Madrid (en octobre 2019, NDLR), j’étais sorti sous des sifflets que je trouvais injustifiés et, avec la frustration, j’ai mal réagi face au public (en lançant des insultes, NDLR). Là encore, il m’a publiquement défendu.

En parallèle, tu es aussi devenu incontournable aux yeux des supporters par le rôle que tu entretenais dans la rivalité avec Fenerbahçe, puisque tu étais au centre de toutes les tensions pendant et après les derbys.Je ne le faisais pas exprès. Je suis amoureux de Galatasaray, et c’est pour ça que j’étais dans le mal quand j’ai quitté le club après quatre ans de ma vie. En partant, j’ai fait le fier, comme si je m’en foutais, alors qu’en vérité, ce n’était pas du tout ça. Ces matchs contre Fener’, c’est le foot que j’aime. C’est comme un Montpellier-Nîmes, mais en mille fois plus intense. Je faisais partie de cette rivalité et c’était important pour moi de le faire ressentir à l’adversaire que, d’ailleurs, je respecte en dehors du terrain. Mais la rivalité, c’est la rivalité, et ça doit s’entretenir. Quand je jouais contre eux, je les rendais fous. Je leur disais : « Tant que je suis ici, vous ne gagnerez pas de titre. » On n’a pas perdu huit matchs de suite contre eux, et le premier qu’ils jouent depuis mon départ, ils l’ont perdu.

Tu peux nous le raconter, ce départ ?Tout a commencé lorsque Abdurrahim Albayrak, le vice-président du club que j’adore, est venu me voir pour me dire qu’un nouveau contrat de trois ans m’attendait, mais avec un salaire divisé par deux. Très bien, j’étais hyper content, Gala faisait partie de moi. On s’est dirigé vers le bureau du président Mustafa Cengiz pour finaliser les détails. Là, les deux se sont embrouillés pendant des heures, et Albayrak s’en est allé. Je me suis alors retrouvé seul face au président. D’entrée, il me demande : « Qu’est ce que tu veux ? » Je lui ai répondu que j’étais là pour la prolongation du contrat, et il m’a dit : « La prolongation ? Quelle prolongation ? »

Au-delà de ça, il y a cette déclaration à la suite d’un match nul frustrant contre Sivasspor (2-2) et alors que vous êtes dans la course au titre. Tu réagis en dénonçant l’état de la pelouse, selon toi indigne d’un club comme Galatasaray et qu’il faudrait s’en occuper, plutôt que d’être autant actif sur les réseaux sociaux. Une réaction très mal prise par la direction et qui a précipité la fin de ton aventure stambouliote.Pour le moment, c’est compliqué d’en parler parce que je suis toujours en procès devant la FIFA contre eux. Mais j’ai été viré comme un malpropre. Attention, je n’en veux pas à l’institution qui fait partie de ma vie. Et puis Mustafa Cengiz est décédé il y a peu, Allah y rahmo. Donc je ne veux pas non plus tout dire, maintenant qu’il est sous terre, ça ne se fait pas. Pour faire simple, il a pris la décision de m’écarter contre l’avis du club et même de ses avocats, donc personne n’a compris. Fatih Terim m’a demandé de rester, il m’a dit qu’il allait régler la chose.

Et il ne l’a pas fait ?Ce n’est pas ça, c’est moi qui, par fierté, ne pouvais pas rester. Le président avait déjà publié un communiqué dans lequel il disait qu’il ne voulait plus de moi. C’était choquant et brutal. Le jour où ça s’est passé, j’étais dans le vestiaire, tout le monde me regardait bizarrement, et je ne comprenais pas pourquoi. C’est quand le secrétaire du club est venu me voir que j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Après ma déclaration, je pensais que j’allais peut-être prendre une amende ou être exclu du groupe professionnel quelques semaines, pas plus. Mais à côté de ça, j’étais payé en retard et on disait que je ne voulais pas baisser mon salaire. Alors que c’était totalement faux ! On entretenait le mythe du gars qui ne pense qu’à l’argent, mais c’est tout le contraire ! Il considérait que je gagnais beaucoup d’argent, mais j’ai été champion lors de mes deux premières années au club, on s’est qualifiés pour la C1 deux ans de suite, quelque part ça veut dire que je suis rentable, non ?

Même si Halilhodžić me rappelle, je n’irai pas en sélection. Tant qu’il sera sélectionneur, c’est mort. Il y a eu une cassure, il ne m’a pas respecté, alors que sportivement, mes performances en club étaient bonnes.

Avec le Maroc aussi, on peut dire que tu es rentable, et pourtant, on a la sensation que Vahid Halilhodžić t’a écarté de la sélection.Même s’il me rappelle, je n’irai pas. Tant qu’il sera sélectionneur, c’est mort. Il y a eu une cassure, il ne m’a pas respecté alors que sportivement, mes performances en club étaient bonnes. En plus, j’ai fait douze ans en sélection nationale, je suis là depuis le début. Je ne suis pas un mec recyclé qui, par exemple, choisit d’abord l’Espagne, puis le Maroc. J’aurais pu choisir la France et je ne l’ai pas fait par amour pour ce pays. Je suis quelqu’un de vrai, j’ai fait les pires déplacements. Lorsqu’il fallait se rendre en Centrafrique ou en Gambie, j’étais là.

Pourquoi tu lui en veux autant ?Quand il m’a convoqué à ses débuts (en 2019, NDLR), j’avais une douleur au dos et j’ai fait une IRM qui a confirmé ma blessure. On en a discuté dès son arrivée, il m’a demandé de bien me soigner, et ça s’est bien passé. Par la suite, j’apprends qu’un kiné qui était avec la sélection marocaine depuis vingt ans a été relégué avec les équipes de jeunes parce que, soi-disant, il serait trop proche des joueurs et qu’il faudrait y faire attention. Mon problème, c’est que je veux toujours faire le justicier pour les autres, alors que personne ne le fait pour moi. Je suis donc parti voir Vahid pour lui dire que ce n’était pas correct de dégager le kiné de cette manière, ça fait 20 ans qu’il est en équipe nationale. Je n’ai rien fait de mal, je suis légitime pour parler, surtout que je l’ai fait avec respect. Il m’a dit que sa décision était prise et qu’il allait le remplacer. Pour moi, c’est cette prise de position qui m’a coûté ma place. Il a dû se dire : « Belhanda a trop de caractère, il va me casser les couilles. »

À t’écouter, tu renvoies l’image d’un gars qui n’a pas la langue dans sa poche. Est-ce qu’on t’a déjà reproché de donner ton avis en tant que footballeur ?Non, mais je pense que beaucoup de musulmans aimeraient que des gens comme nous, qui avons une petite notoriété, prennent davantage la parole. Parce qu’on a une voix qui porte quand même. Mais pas pour faire de la politique, juste pour donner notre ressenti. Par exemple sur la question du voile. Je comprends que la burqa dérange parce qu’on ne peut pas identifier la personne qui la porte. Mais le voile normal, quel est le problème tant qu’on voit le visage ? Récemment, j’ai lu qu’on voulait en interdire le port aux mineures. En revanche, pour le consentement sexuel, ils n’ont pas attendu la majorité, ils ont même essayé de l’abaisser à treize ans. Comment peut-on dire qu’une fille est consentante pour avoir des relations sexuelles à treize ans, mais pas pour porter le voile ? C’est vraiment un bout de tissu qui dérange ? Parfois, j’ai l’impression que c’est juste une communauté qui est visée.

Quand je regarde la télé française, je pète un câble. Depuis les attentats, les racistes ne se cachent plus. C’est comme s’ils avaient désormais une légitimité pour tenir leur discours ouvertement.

Tu t’es déjà exprimé plusieurs fois sur ton rapport à l’islam. Que t’évoque la situation actuelle en France, à l’approche de l’élection présidentielle ?J’y pense tous les jours. Surtout pour mes enfants. Mon premier fils s’appelle Mohamed, le dernier, Houdeyfa. Comment vont-ils être accueillis dans leur pays ? Ce genre de choses me trotte dans ta tête. Parce qu’on est français ! Moi, je suis fils d’immigrés, mais je suis né en France. Avant, j’ai l’impression que tout ça n’existait pas. Même il y a quelques années, quand j’étais à Nice, c’était magnifique. Là, c’est devenu chaud. Quand je regarde la télé française, je pète un câble. Depuis les attentats, les racistes ne se cachent plus. C’est comme s’ils avaient désormais une légitimité pour tenir leur discours ouvertement. Mais ce n’est pas le milliard de musulmans que compte cette planète qui a commis ces atrocités, seulement un petit groupe de personnes qui ne représentent pas l’islam, juste eux-mêmes.

Le footballeur est-il un citoyen comme un autre ?Bien sûr. On voudrait nous enfermer dans une bulle sous prétexte qu’on a un gros salaire. Mais je l’ai mérité mon gros salaire ! Tu sais ce que j’ai fait pour ça ? Pars à treize ans de chez tes parents ! Fais des sacrifices ! Moi, j’étais nul à l’école. Si je ne réussissais pas au centre de formation, que je n’avais pas de diplôme, je faisais quoi ? Ma vie aurait été niquée ! Alors fais-le, toi ! Quitte ta famille à treize ans ! Aie des pieds, aussi ! Si j’en suis là aujourd’hui, c’est uniquement grâce à mon travail.

On te sent touché à l’idée de parler ça.C’est le côté émotif que j’ai déjà évoqué. Avec le temps, j’ai appris à me battre et j’ai compris qu’il fallait se forger un caractère assez fort, ce qui n’est pas forcément très bien vu, même en Turquie, contrairement à ce que les gens pensent. Quand tu ne vas pas dans le sens des autres, ça peut vite être mal interprété.

Qu’est-ce que ce départ prématuré de chez tes parents t’a appris ?Beaucoup de choses. Je suis allé à l’institut, chez les sœurs. J’étais tout seul, avec une croix au-dessus de mon lit, alors que je viens d’une famille où on crie Allahu akbar à la maison. Attention : c’étaient des années magnifiques, les sœurs étaient incroyables avec moi. Et j’y ai appris ce qu’est la tolérance. Autour de toi, il y a un gars qui débarque de Marseille, un autre de Paris, on était là à se regarder, moi j’étais super timide à la base. Et tous ensemble, on est devenu une famille. T’es avec des noirs, des arabes, des blancs, des Corses… Quand on était petits, ces mots-là on pouvait les dire sans problème, il n’y avait pas de noir, de blanc, ça n’existait pas. Il y avait juste un mec qui était claqué ou non quand il jouait au foot. Aujourd’hui, dire « le black ou l’arabe, il va à 2000 à l’heure », c’est plus compliqué. Il y a vingt ans, tu aurais dit à quelqu’un « l’arabe travaille bien », personne n’aurait réagi comme si c’était une insulte. Maintenant, si, tout est décortiqué. Mon père a travaillé dans les champs pendant des années, tu penses qu’on l’appelait par son prénom ? Et alors ? Il est arabe, non ? Il ne va pas renier ses origines.

Comment tu expliques ce changement de paradigme à tes enfants ?Ils ne comprennent rien pour l’instant. De toute façon, je ne les laisse pas regarder la télé, c’est mon choix. Le seul truc auquel ils ont droit, ce sont les dessins animés. Je ne veux pas qu’ils apprennent les mauvaises manières et les insultes.

Tu ne dis jamais de gros mots, toi ?Moins qu’avant, ça faisait partie de ma personnalité parce que je suis une grande gueule ! (Rires.) Mais avec la religion, je me suis calmé. Bon, après, quand je joue à la Playstation… (Rires.) Plus sérieusement, mes enfants n’entendent pas de gros mots à la maison, ils ne savent pas ce que c’est. À l’école, c’est différent. L’autre jour, mon fils est rentré et m’a demandé ce que voulait dire « lan », qu’il avait entendu dans la cour de récré. Mais « lan », ce n’est même plus une insulte. (Ce mot, difficilement traduisible, sert à accentuer un propos, à la manière d’un « putain de » en français, mais en moins vulgaire, NDLR.) C’est comme les Ukrainiens qui, en russe, disent tout le temps « blyat ! », ça ne compte pas !

Quelles sont les valeurs que tu veux leur transmettre ?Celles qu’on m’a transmises à moi, et ça commence par le respect des autres. Mais parfois, quand ils reviennent de l’école avec des marques sur le visage, ça me met en colère. Donc je leur apprends à se défendre. Si les mots ne suffisent pas, il y a les poings. Il ne faut pas être hypocrite. Quand tu es petit, il faut savoir se faire respecter, surtout avec toutes ces histoires de harcèlement scolaire dont on parle en ce moment. Je leur dis qu’il faut respecter tout le monde, mais qu’il ne faut pas se laisser faire pour autant. C’est nécessaire que nos enfants apprennent à trouver le juste milieu, pour ne pas être harcelés ni harceleurs. Être parent, c’est vraiment compliqué.

Tu te vois dans le milieu du football après ta carrière ?(Sans hésiter.) Je veux être entraîneur ! J’aurai une carrière assez légitime pour parler aux joueurs et en plus, j’estime que je vois des choses qui peuvent servir à chacun d’entre eux. Consultant en revanche, non. Je pense que je n’ai pas assez de vocabulaire et, je le redis, je suis trop émotif. Je n’aimerais pas que les gens me voient ainsi devant leur télé.

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