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Le Slavia, ça valait le coup !
Dernier du groupe F avec deux points en six matchs, et à l’issue d'une ultime défaite emballante contre le Borussia Dortmund (2-1) mardi soir, le Slavia Prague a achevé son périple européen à la place que tous les observateurs du foot européen lui avait promise après le tirage au sort. Sauf que le champion de Tchéquie ne s’est pas contenté de jouer les victimes expiatoires avec le Barça, l’Inter ou le Borussia Dortmund. Bien au contraire.
« Depuis quelque temps, j’ai retrouvé une équipe courageuse, qui n’est pas prisonnière des modèles, des contextes, qui reste elle-même en toutes circonstances… C’est le Slavia Prague. C’est un modèle pour tous les gens intelligents. » Francisco « Pacho » Maturana n’a pas hésité. Dans le So Foot de décembre, à la question de savoir s’il était encore possible de privilégier la manière au résultat, le mythique sélectionneur de la Colombie aurait pu citer une flopées d’autres équipes en exemple. Mais c’est bien vers le porte-étendard du foot tchèque que Maturana a préféré se tourner. Un brin exagéré ? On parle quand même d’une escouade qui n’avait plus rien à jouer avant la dernière journée et qui n’a pas réussi à gratter le moindre point devant son public dans son antre. À ce petit jeu-là, pas de quoi rivaliser avec l’Ajax de la saison dernière en matière de « petit poucet frisson » de la C1. Mais par sa capacité à systématiquement rentrer dans le lard des gros, à opposer à chacun d’entre eux un plan tactique personnalisé, à ne jamais cesser de proposer du jeu, le Slavia Prague mérite tout autant un immense merci.
Bons baisers du Slavia Prague
Le champion de Tchéquie ne s’est pas contenté de résister ou de contrarier ses illustres adversaires. Bien souvent, l’impression subsistait que le Věčná Slavia dominait plus ou moins son opposant, par sa supériorité tactique ou son nombre d’occasions plus élevé. Ses quatre défaites (0-2 et 2-1 contre le Borussia Dortmund, 1-2 contre le Barça, 1-3 contre l’Inter) et ses deux matchs nuls (0-0 contre le Barça, 1-1 contre l’Inter) n’ont jamais traduit la physionomie des rencontres, qu’un soupçon de réalisme offensif en plus aurait pu faire basculer. Ici Nicolò Barella qui obtient un match nul en forme de braquage pour l’Inter dans les derniers instants du match aller, là une pile de face-à-face vendangés contre le Borussia, ou encore Marc-André ter Stegen monumental en première période à l’Eden Aréna… De fait, avec 24 tirs à 14 contre le Barça à l’aller, 16 à 9 face au Borussia à l’aller et 18 à 16 au retour, le Slavia a presque toujours pris l’ascendant offensivement. C’est un léger euphémisme d’affirmer que les Červenobílí méritaient mieux, a fortiori au regard du déséquilibre de rapport de force aux coups d’envoi.
Un crève-cœur, surtout, eu égard aux trésors d’inventivité déployés par l’entraîneur Jindřich Trpišovský pour prendre le meilleur sur les gros poissons à chaque rencontre. Un 4-3-2-1 avec marquage individuel contre l’Inter pour contrecarrer au mieux le 3-5-2 d’Antonio Conte en favorisant un pressing haut et agressif, un 4-2-3-1 davantage attentiste contre le Barça pour l’empêcher de créer ses surnombres… À chaque fois, la recette a fait mouche. Car avant de bien jouer, le Slavia a surtout fait déjouer. Qui du Barça, du Borussia ou de l’Inter peut se targuer d’avoir « bien joué » ou d’avoir « joué son jeu » face au Slavia ? Quel supporter a reconnu son équipe contre le petit poucet tchèque ? Le bénéfice de ce travail de sape est d’abord à mettre au crédit de l’inconnu technicien Trpišovský, qui a su faire de l’assise défensive personnalisable la marque de fabrique de son Slavia.
Slavia bien
Et avec le ballon ? Là aussi, le club de Prague faisait en fonction de la situation, qui en se ruant vers les cages en cas de pressing haut, qui en construisant de l’arrière sans hésiter à prendre des risques. Avec toujours un même dénominateur commun : proposer du jeu, quelles que soient les circonstances. Pas de phases de possession stériles au menu de ce Slavia, qui préfère le jeu en une touche, les redoublements, les passes osées… Et qui de mieux que « Pacho » Maturana pour résumer la philosophie ? « C’est un modèle où la défense est le problème de tous, où tout le monde est impliqué. Et défendre pour quoi ? Pour attaquer. On est dans l’essence même du foot. » Un modèle où les deux défenseurs centraux ne culminent qu’à 1,79m, où les enthousiasmants latéraux Vladimir Coufal et Jan Boril débordaient autant d’envie pour foncer devant que revenir mordre derrière, où les géniaux Tomáš Souček et Nicolae Stanciu bénéficiaient d’une liberté exaltante avec le ballon et inversement opposée à la méticulosité de leur mission au pressing.
C’est aussi ce qui fait la beauté de ce Slavia : proposer du jeu contre les gros, c’est déjà un grand pas en avant par rapport aux classiques confrontations « David contre Goliath » , mais poursuivre dans la même veine et avec autant d’ardeur malgré le manque de résultats, cela force encore plus le respect. « Mieux vaut perdre la tête haute que défendre tout au long de la rencontre. Il faut toujours s’efforcer de marquer, car jouer pour arracher un 0-0, c’est comme jouer à la roulette » , tranchait Trpišovský. Une prouesse d’autant plus louable pour un onze de départ composé en grande majorité de Tchèques et pour un club au budget estimé à une quarantaine de millions d’euros, lui qui était au bord de la faillite en 2015. Grâce à sa philosophie, le Slavia n’a pas seulement proposé de passionnantes et indécises confrontations lors de rencontres qui semblaient jouées d’avance. Il a aussi fourni une marche à suivre pour les futurs petits poucets reversés dans une poule de la mort en C1. Une marche à suivre, et beaucoup d’espoir.
Par Douglas de Graaf