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Constance Picaud, de l’ombre à la lumière
Convoquée pour la deuxième fois en équipe de France par Corinne Diacre, Constance Picaud sera dans son jardin ce soir au stade Océane du Havre face aux États-Unis. À tout juste 22 ans, la gardienne du HAC, ancienne sapeur-pompier volontaire, s’est imposée comme une valeur sûre du championnat de France, quelques mois seulement après ses débuts au sein de l’élite. Au point de venir bousculer la hiérarchie en sélection.
Un simple coup de téléphone peut parfois changer une vie. Ce n’est pas Constance Picaud qui dira le contraire. Inconnue au bataillon il y a un an, la gardienne du Havre s’est imposée comme l’un des meilleurs remparts de D1 Arkema cette saison, au point d’occuper pour la deuxième fois d’affilée la chambre portant le nom de Kylian Mbappé dans le château Clairefontaine . « Ce n’est pas une surprise », réagit Thierry Uvenard, son ancien coach, qui l’a repérée lorsqu’elle évoluait en D2. « Il y a trois ans, lors de la double confrontation face à La Roche, je l’ai observée pendant l’échauffement. Je l’ai trouvée très réactive, à l’aise dans le domaine aérien et avec une détente incroyable. Après le match retour, je l’ai appelée directement en lui expliquant que c’était elle qu’il me fallait, se souvient le Normand, limogé par le HAC en décembre dernier. Dès notre première discussion, j’ai aimé le son de sa voix, j’ai senti qu’elle était motivée. »
Kamikaze dans l’âme
De la motivation, il en a fallu à la Vendéenne de 22 ans pour faire son trou. À l’inverse d’Elisa De Almeida ou de Marie-Antoinette Katoto, de la génération 1998 elles aussi, Constance Picaud a écrémé le monde du football amateur, avant de ne signer pro qu’en rejoignant Le Havre à l’été 2019. Issue d’une famille qui considérait à la base le foot comme un sport de garçons, la néo-internationale française a convaincu ses parents de la laisser taper dans le ballon rond à l’US Marais-Beauvoir-sur-Mer. « C’était une fille super discrète. Elle arrivait avec son petit sourire, bonjour, et puis on ne l’entendait pas pendant les exercices, raconte Claudie Durand, sa première coach. Au début, elle avait du retard sur les garçons, mais elle s’est très vite fait respecter. »
Un coup, elle était positionnée dans les buts. Un coup, en pointe. Mais l’évidence s’est vite imposée. « Elle nous faisait des sorties kamikazes efficaces, rigole Durand. Les gars me disaient :« Ce n’est pas possible, faut mettre Constance, les adversaires sont écœurés quand elle est dans les buts. » » Des qualités repérées par la Ligue de football des Pays de la Loire, et qui lui permettent de passer dans une autre dimension. Elle passe ainsi son premier stage à Clairefontaine avec les dix meilleures gardiennes de sa catégorie d’âge, avant d’être appelée pour la première fois en équipe de France U16. D’abord non retenue pour intégrer le Pôle Espoirs de Rennes, la jeune fille aurait finalement pu rejoindre l’élite de la région nord-ouest. « Ils m’ont recontactée un an plus tard et voulaient me faire venir en classe de première, car la gardienne précédente avait déjà sauté une classe, résume l’intéressée. J’avais dit non, car j’avais déjà commencé à faire ma vie à La Roche. »
Heigh-ho, heigh-ho, on rentre du boulot
Préférant rester proche de sa famille, Constance Picaud continue ainsi son petit bonhomme de chemin à La Roche-sur-Yon en sports-études. Elle découvre la D1 à 17 ans depuis le banc, avant d’être propulsée titulaire dans les cages la saison suivante, à la suite du départ de Romane Bruneau après la relégation de l’ESOF en D2. Une responsabilité que la sapeur-pompier volontaire doit combiner avec deux emplois pour vivre confortablement. « Le mercredi et les vacances scolaires, je travaillais dans un centre de loisirs. Le reste de la semaine, j’étais dans une entreprise de location de véhicules de minibus et de transport d’enfants en situation de handicap, explique la portière française. J’arrivais à des semaines de 45 à 50 heures, sans compter le foot et les pompiers le week-end. En plus, j’étais de garde une semaine sur cinq la nuit. C’était une vie très speed et chargée, mais je l’aimais. »
Même pendant les entraînements, difficile de ne pas oublier les pompiers et le boulot. « On m’a raconté qu’elle s’entraînait avec son bip au bord du terrain », se souvient Thierry Uvenard. Ce rythme de vie change radicalement quand Constance Picaud pose ses valises au Havre. Le club souhaitant qu’elle se concentre à 100% sur sa carrière, elle doit tirer un trait sur les pompiers. « J’ai découvert une vie avec plus de temps pour moi. Le changement a été un peu dur, reconnaît-elle. Je voulais continuer au Havre, mais pour être sapeur-pompier volontaire, il faut respecter une certaine distance entre l’habitation et la caserne. Or, dans une grande ville, c’est assez difficile d’arriver à temps sans danger. »
Rapinoe comme à la maison
Qu’à que cela ne tienne, l’altruiste footballeuse a déjà décidé d’en faire son métier une fois les crampons raccrochés. Mais avant, il lui reste encore de belles années sur le terrain. Sa nouvelle vie de footballeuse professionnelle lui a permis de franchir les étapes à vitesse grand V, au point de découvrir la première division cette saison et d’être déjà nommée fréquemment dans le top 3 des arrêts du week-end, malgré la dernière place de son équipe en championnat. « C’est une grosse bosseuse, il faut souvent lui dire d’arrêter, sinon elle continue, plaisante Thierry Uvenard. Je ne lui ai jamais donné le brassard, car je ne désigne jamais un gardien pour ce rôle, mais sur le terrain, elle agit comme une capitaine. »
Si au classement, son équipe n’arrive pas à concrétiser les bonnes prestations de sa gardienne, Constance Picaud a néanmoins été récompensée de son travail avec une deuxième convocation d’affilée en équipe de France. Dans le viseur de Corinne Diacre, la Vendéenne est également dans celui d’autres clubs. « Oui, j’ai été un peu sollicitée », avoue celle qui devrait avoir un choix stratégique à faire en fin de saison. En attendant, la jeune portière va découvrir ce mardi soir un autre monde, celui de la sélection américaine, quadruple championne du monde, et de ses stars à gogo. Le tout, dans un endroit qu’elle connaît désormais par cœur, le stade Océane du Havre. Un sacré combo que maman Picaud et les habitants du village de Beauvoir-sur-Mer vont suivre attentivement devant leur poste de télévision. Car, comme le résume si bien Gérard Billon, le président de son tout premier club : « Constance, c’est un rayon de soleil dans la grisaille actuelle. »
Par Tara Britton et Analie Simon
Tous propos recueillis par TB et AS