- France
- Lyon
Comment John Textor, nouveau boss de l’OL, a réanimé Botafogo
En négociations exclusives pour devenir l’actionnaire majoritaire de l’OL, l’homme d’affaires américain John Textor n’en est pas à son coup d’essai. Au Brésil, il est devenu le premier étranger à s’offrir un club, Botafogo. Arrivé comme le messie, il a professionnalisé rapidement un club historique en péril.
Aéroport Santos Dumont, Rio de Janeiro, 7 janvier 2022. Des centaines de personnes en noir et blanc scandent des chants à la gloire de Botafogo. Le club n’a remporté ni titre, ni même de match. Les fans attendent John Textor, nouveau propriétaire du club. L’Américain enfile un masque FFP2, brandit un drapeau du club, et entre dans le hall en tapant dans les mains des torcedores. Il est celui qui va ramener le club vers sa gloire d’antan. Il est le sauveur.
Le sauveur
Davi Barros était là, à l’aéroport. Il travaille pour le journal Globo – numéro 1 à Rio de Janeiro -, il couvre spécifiquement Botafogo depuis trois ans : « Ce jour-là, il a fait forte impression auprès des supporters. Il n’était pas simplement le riche propriétaire qui venait sortir le club du gouffre financier, il était impliqué émotionnellement. » Pedro Dep, supporter du club, était présent lui aussi : « 99% des supporters étaient favorables à son arrivée. On était un club zombie, on faisait l’aller-retour entre la première et la deuxième division. Même si on venait de monter, on avait peu d’espoir vu la taille de la dette. L’optimisme est revenu. » John Textor signe en janvier le rachat de 90% du club : la dette est effacée et le riche ex-président de fuboTV investit immédiatement. Au total, il signe un chèque d’au moins 350 millions de reais (63 millions d’euros) et fait passer Botafogo du statut d’association à celui de société anonyme. « Vous pouvez célébrer, Textor a signé » . Les titres des éditoriaux consacrés à Botafogo ne trompent pas.
Textor partout, impro nulle part
En interne aussi, on souffle, car l’Américain se met rapidement au travail. « Avant Textor, le club avait parfois des difficultés à payer ses employés », raconte le journaliste Davi Barros. « C’est clair que les conditions de travail ont changé : le fait d’avoir une vision à long terme, de prendre toutes les décisions en interne », décrit Mario Andre Macuzzo, le directeur sportif. John Textor modernise l’équipement, la qualification des personnels, il crée une vraie cellule de scoutingpour aller détecter les talents. L’organisation dans son ensemble se professionnalise, côté administratif comme sportif, car le natif de Kirksville, Missouri, a des idées sur tout, même sur le football à pratiquer. « Il est directement impliqué dans le football, il a fait venir le nouvel entraîneur, même si l’ancien avait réussi à faire monter l’équipe, explique le directeur sportif. Ce qu’il veut, c’est que le club ait une identité claire sur le terrain. » Une identité personnifiée par Luis Castro, entraîneur d’expérience, passé par Porto et le Shakhtar Donetsk, que Textor a su convaincre. « Il aime le football, la possession, aller vers l’avant, avec beaucoup de redoublement de passes, on va dire un football offensif », décrit Davi Barros. Pour coller à cela, des recrues arrivent, dont Patrick de Paula, milieu défensif de 22 ans, chipé à Palmeras, pourtant champion d’Amérique du Sud en titre (Copa Libertadores). Victor Sá, ancien de Wolfsburg, vient quant à lui apporter une dose de frisson sur les ailes. Au total, 65 millions de reais (12 millions d’euros) sont dépensés lors du premier mercato. John Textor ne veut pas seulement imposer ce style à l’équipe professionnelle, mais à tout le club. Lors de ses prises de parole, il insiste sur l’importance de la formation. Rien de tel pour se mettre des supporters dans la poche. Ceux de l’OL ont d’ailleurs déjà succombé au discours de Textor concernant ce sujet.
Respecter l’histoire
Plaire, tout de suite, c’est important, surtout à Botafogo. « On est connu pour être des supporters superstitieux, un peu mystiques, nous explique Pedro Dep. Mais Textor a l’air d’avoir dans la tête un projet précis, même en peu de temps on peut le ressentir. » Plus loin, dans la rue, on discute avec un grand gaillard, coupe afro grand sourire, maillot à l’étoile blanche sur les épaules. « Cette saison, même quand l’équipe perd, les gens chantent, c’est ça la différence. On revoit le passé glorieux, quand Botafogo n’était pas un acteur secondaire du foot brésilien », raconte Jaël. Ce « passé glorieux » (Garrincha, Didi, Jairzinho, joueurs de Botafogo et hommes-clés des titres mondiaux du Brésil en 1958, 1962 et 1970), c’est l’identité même du club, qui n’a plus rien gagné depuis 1995. « J’ai l’impression qu’il a compris cela, il parle de l’institution Botafogo avec beaucoup de respect », estime Pedro Dep. Aussi, Textor s’implique, en prises de parole, en tweets. Lorsqu’on lui prête l’intention de faire grossir sa participation dans le club de Crystal Palace, il dit : « On peut avoir deux amours dans ce monde. Mais la différence entre les deux, c’est que je me sens responsable de Botafogo. » Les sociossont enthousiastes, leur nombre est passé à 45 000, alors que le record s’élevait jusqu’ici à 38 000.
L’arrivée de l’Américain dans un grand club comme Lyon n’a pas modéré l’engouement, au contraire. Lors de sa conférence de presse aux côtés de Jean-Michel Aulas, Textor a ainsi évoqué ses autres clubs (Botafogo, Crystal Palace, Molenbeek) en parlant de « famille » . « Le côté négatif, ce serait de se dire qu’il va moins s’impliquer à Botafogo, mais le positif, c’est que des échanges pourront être facilités entre ces équipes », décrypte le journaliste Davi Barros. Sebastian Joffre, joueur de l’équipe U23 de Crystal Palace, est ainsi déjà venu garnir les rangs de l’écurie botafoguense. La stratégie, déjà utilisée par de nombreux multipropriétaires et masterisée par la galaxie Red Bull (Salzburg, Leipzig, New York, Bragantino), serait-elle en train de se mettre en place sous Textor ? C’est ce qu’espère Pedro Dep, notre supporter : « Avec Lyon et Crystal Palace comme clubs frères, on va avoir plus de facilités à attirer les jeunes talents brésiliens. » Dépenser, s’inscrire dans un projet, communiquer, respecter l’histoire : John Textor a compris les impératifs du métier de propriétaire populaire. Au Brésil, c’est presque nouveau, et ça fait sensation.
Par Alexandre Berthaud, à Rio de Janeiro