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Colonel Presnel Kimpembe

Par Andrea Chazy et Florian Lefèvre, à Éragny
12 minutes
Colonel Presnel Kimpembe

Champion du monde avec les Bleus à 22 ans, Presnel Kimpembe est aujourd’hui le seul titulaire du PSG formé au club. Pourtant, au centre de formation, les coachs ne misaient pas sur « Presko » parmi la génération 1995. Portrait d’un Titi parisien qui a explosé sur le tard.

14 février 2017, le Parc des Princes transpire. Un jeune homme se dépucelle en Ligue des champions. Il s’appelle Presnel Kimpembe, il a 21 ans et remplace dans le onze de départ le capitaine Thiago Silva, blessé, en charnière centrale. Va-t-il tenir le choc face au Barça de Messi, Suárez et Neymar ? Et lui, le défenseur parisien, est-ce qu’il tremble ? « Il n’avait pas peur, assure aujourd’hui son pote Jordan Diakiese qui le connaît depuis le centre de pré-formation du PSG. Il disait :« Ah je vais jouer contre Messi ? Tant mieux. » » À la 62e, le Parc rugit deux fois quand le Parisien fait de Lionel Messi sa Valentine avec une double intervention défensive restée dans les mémoires. Ce soir-là, le PSG gagne 4-0 avec un Kimpembe monstrueux d’agressivité et de sérénité. Tout le monde se souvient de sa première fois, mais rares sont ceux qui en sont fiers.

Dans l’ombre de Rabiot et Ongenda

En vrai, le Titi Parisien a toujours voulu se frotter aux meilleurs. « Quand on était petits, des gens lui disaient :

Hervin est un joueur à qui on a déroulé le tapis rouge : tout le temps titulaire, il tirait tous les coups francs, il gagnait des sous… En U16, Presnel, lui, n’était même pas interne. En fait, le PSG ne croyait pas vraiment en lui.

« Tu vas voir, lui, c’est un prodige « , reprend Diakiese. Il répondait :« Ah ouais ? Bah, tant mieux qu’il soit dans mon couloir. » » Sauf que pendant de longues années, justement, Kimpembe ne faisait pas partie des meilleurs au PSG. À l’époque, au centre de formation parisien, la crème de la génération 1995 s’appelle Adrien Rabiot ou Hervin Ongenda. Le premier disputera 227 matchs en pro avec le PSG. Seulement une petite dizaine pour le deuxième qui se retrouve aujourd’hui dans un club roumain confidentiel : FC Botoșani. Pourquoi les courbes d’Ongenda et de Kimpembe se sont inversées ? Deux raisons émergent. Premièrement, la marge de progression physique : Kimpembe était un garçon frêle jusqu’à l’âge de 17 ans, alors qu’Ongenda était déjà formé à l’adolescence. Deuxièmement, l’aspect mental, comme l’explique Yves Gergaud, un ancien formateur du PSG : « Hervin est un joueur à qui on a déroulé le tapis rouge : tout le temps titulaire, il tirait tous les coups francs, il gagnait des sous… En U16, Presnel, lui, n’était même pas interne. En fait, le PSG ne croyait pas vraiment en lui. »

En clair, Kimpembe était de ceux qui restaient au centre de formation quand son équipe partait disputer un grand tournoi international. « Une fois, en U17 première année, on est restés deux semaines sans l’équipe qui était partie au Brésil, se remémore Jordan Diakiese. J’étais blessé et lui n’avait pas été pris. On allait au Mc Do, on allait s’acheter des sapes, parfois y avait des filles parce qu’il plaisait aux femmes… Mais il avait surtout la haine de ne pas être avec le reste du groupe. Et il n’a jamais lâché. » François Gil, l’agent du joueur, se rappelle une réunion avec la direction du PSG qui a marqué un tournant quand le club lui a finalement accordé un hébergement. Fini les allers-retours quotidiens entre la maison et le Camp des Loges dans le camion conduit par son père, chauffeur-livreur, Presnel Kimpembe devient interne au centre de formation. « Derrière, il est parvenu à décrocher un contrat stagiaire qui permet d’avoir une indemnité loyer pour obtenir son propre logement, raconte l’agent. À 18 ans, Presnel a pris cette option, il est parti s’installer à Poissy, vivre seul. » Le moment où le Titi s’apprête à percer dans son club formateur après des années dans l’ombre des meilleurs joueurs de sa génération.

« Patrice Évra » et les Allemandes

Il m’a tapé dans l’œil par ses enchaînements, ses prises d’infos, sa capacité à jaillir pour récupérer des ballons, alors je l’ai invité à venir faire des entraînements à l’école de foot du PSG.

Retour aux origines. D’origine haïtienne par sa mère et congolaise par son père, Presnel grandit avec sa petite sœur et ses deux grands frères au troisième et dernier étage d’un immeuble du quartier des Dix Arpents, à Éragny (Val-d’Oise). Après l’école, il fait du karaté et tape dans ses premiers ballons au quartier. « On faisait des« Allemandes »– tu joues et tu dois marquer des buts sans que le cuir ne touche le sol – sur le city stade à 100 mètres à côté de chez nous » , remet Sekou, son meilleur pote d’enfance. Le gamin prend sa première licence à l’AS Éragny quand il a huit ans, avant d’être repéré par le PSG deux ans plus tard. À l’époque, il joue attaquant et s’occupe de faire trembler les filets du stade Louis Larue. « Il m’a tapé dans l’œil par ses enchaînements, ses prises d’infos, sa capacité à jaillir pour récupérer des ballons, alors je l’ai invité à venir faire des entraînements à l’école de foot du PSG » , reprend Yves Gergaud, son recruteur, qui sera aussi l’un de ses formateurs jusqu’à l’âge de treize ans. Replacé en défense, le gaucher gagne un surnom aux Dix-Arpents : Patrice Évra. « Quand on t’appelle Patrice Évra, c’est très simple, tu joues avec les grands » , glisse Mamadou Sylla, l’actuel responsable technique de l’AS Éragny.

En photo dans un journal espagnol le lendemain de la victoire du PSG au tournoi d’Arousa (Galice), en 2007. Presnel a 11 ans.

Sauf qu’en préformation, le « Patrice Évra » parisien est le remplaçant de Ferland Mendy. Jusqu’en U15, Kimpembe est plus petit que les autres. Mais son déficit de taille l’oblige à développer un sens de l’anticipation « parce qu’il n’avait pas les armes physiques pour être dominant dans le duel » , explique Laurent Bonadei.

Quand on allait jouer à Montfermeil ou je ne sais où, il y avait le soldat. Il ne pouvait rien nous arriver. Quand je jouais latéral gauche et qu’il était dans l’axe, ça ne servait à rien que je couvre. Je savais qu’il allait le faire.

Le coach décide de le replacer en charnière centrale. L’origine d’une véritable « transformation » selon ses anciens partenaires. Jordan Diakiese en fait partie : « Quand on allait jouer à Montfermeil ou je ne sais où, il y avait le soldat. Il ne pouvait rien nous arriver. Quand je jouais latéral gauche et qu’il était dans l’axe, ça ne servait à rien que je couvre. Je savais qu’il allait le faire. » Des années marquées par les chaises qui valsent les soirs de PSG-OM, les sorties pour acheter des baskets et aussi les « parties de FIFA en avalant des Chocobons » , comme le précise son coloc’ Dylan Batubinsika. Pas encore considéré comme un crack, le défenseur fait pourtant ses premiers pas internationaux en 2013 avec les U20… de la République démocratique du Congo. Où il impose déjà son style agressif. « Quand il fait une couverture, il y va. Il met le pied, il prend le ballon et, avec sa cuisse, il renverse l’adversaire, décrypte Eric Tshibasu, son ancien sélectionneur chez les U17 de la RDC. Une fois sur deux, vous pouvez voir que l’adversaire finit par terre, mais Presnel ne fait jamais faute, car il a toujours le pied sur le ballon. » Comme le constatera plus tard Lionel Messi.

Intoxication alimentaire dans l’avion

« Presnel était très abordable. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est son implication » , poursuit son premier sélectionneur. Kimpembe est le plus jeune de l’équipe, mais c’est lui qui prend la parole dans le vestiaire à la mi-temps de ce match face au Chili disputé en Espagne. La RDC s’incline 3-0 face à un adversaire qui se hissera quelques semaines plus tard en quarts de finale du Mondial U20. L’année suivante, Kimpembe débarque à Kinshasa pour disputer les qualifications de la Coupe d’Afrique 2015 U20. Malheureusement, il tombe malade lors du déplacement au Malawi, avec une escale à Addis-Abeba en Éthiopie. « Dans l’avion avec Ethiopian Airlines, la nourriture éthiopienne, bien pimentée, lui a sûrement causé une réaction, explique Eric Tshibasu, redescendu cette année-là avec les U17.Le médecin m’a raconté que c’était grave. Presnel pleurait, il ne dormait pas. Ils étaient prêts à le rapatrier, mais heureusement, ça allait mieux après le match… »

Kimpembe ne revêtira plus le maillot bleu ciel des Léopards, mais la gastronomie éthiopienne n’a rien à voir là-dedans.

On ne foutait pas la merde, mais on mettait de la musique, on chantait, on faisait des corps-à-corps. Mais quand l’échéance approchait, on regardait le match de nos futurs adversaires sur beIN et on se disait : « Toi tu joues sur lui, toi sur lui. »

Quelques semaines après la signature de son premier contrat pro au PSG (en mars 2015, à 19 ans), il est convoqué par Francis Smerecki en équipe de France U20… sur un coup de piston. François Gil rembobine : « Un jour, Olivier Létang m’appelle et me dit :« Mais Presnel, il n’a jamais été en équipe de France ? Je vais appeler la DTN pour l’équipe U20, car il faut qu’ils viennent le voir ! » » Voilà comment Kimpembe monte dans un taxi avec son ami et coéquipier au PSG Jordan Diakiese pour aller disputer le prestigieux Tournoi de Toulon. « Presnel était revanchard de ne pas avoir été appelé avant, raconte son compagnon de route. Il voulait montrer que, dans sa génération, c’était lui et personne d’autre. » Dans leur chambre d’hôtel, c’est la bringue. « On ne foutait pas la merde, mais on mettait de la musique, on chantait, on faisait des corps-à-corps. Mais quand l’échéance approchait, on regardait le match de nos futurs adversaires surbeIN et on se disait :« Toi tu joues sur lui, toi sur lui. »Personne ne faisait ça à part nous. On était jeunes, mais lui, il voulait connaître les moindres détails du gars qu’il allait marquer. »

De Toulon à Moscou

Sur le terrain, le « Colonel » , comme l’appellent ses coéquipiers, est impérial. Les Bleuets remportent la compétition. Le seul tricolore qui a joué tous les matchs en tant que titulaire ? C’est Kimpembe.

On avait ciblé des lacunes chez Presnel : il avait du mal à décoller sur les premiers mètres et il devait gagner en coffre pour finir les matchs.

« Le coach disait :« Je peux faire tourner tout le monde, mais lui, je ne peux pas le sortir. »S’il n’avait pas été là, on n’aurait jamais gagné le tournoi, soutient Diakiese. Jamais. » Cerise sur le gâteau, Kimpembe rafle aussi le prix de « joueur le plus élégant » du tournoi. Ses coupes de cheveux peroxydés et ses fringues dorées n’ont rien à voir là-dedans. Mais avant de poser ses valises chez les pros au PSG, le Titi Parisien va avoir droit à un programme spécifique. Quand il cible des lacunes athlétiques, le club de la capitale « déstructure » ses joueurs en leur faisant travailler leurs points faibles, comme l’explique François Rodrigues, qui travaille aujourd’hui au HAC : « On avait ciblé des lacunes chez Presnel : il avait du mal à décoller sur les premiers mètres et il devait gagner en coffre pour finir les matchs. » Lancé en Ligue 1 par Laurent Blanc grâce à une multitude d’absents en défense, le bonhomme qui a pris du muscle s’installe dans l’équipe sous Unai Emery, en profitant notamment du départ de David Luiz à Chelsea à l’intersaison 2016. Kimpembe saisit sa chance, à tel point que le 3 octobre 2016, il est appelé pour la première fois chez les Bleus pour pallier le forfait d’Eliaquim Mangala.

Deux jours auparavant, le gars du Val-d’Oise jouait un match de CFA avec la réserve du PSG contre Saint-Malo. « Il avait besoin de jouer, il m’a sollicité dans un premier temps. Je lui ai dit :« Presnel, c’est Olivier Létang et Unai Emery, le manager, qui doivent valider ta demande. »Et elle a été validée avec insistance » , glisse François Rodrigues. L’entraîneur de la réserve du PSG retient le professionnalisme du défenseur malgré la défaite 0-1 concédée dans le temps additionnel. « Avec nous, il s’est fondu dans le collectif. On lui aurait dit de jouer en Division d’Honneur, il serait venu. » Les mois qui suivent sont moins euphoriques. Presnel ne joue plus un match de décembre à début février en Ligue 1. Arrive alors le grand-rendez en huitième de finale aller de C1. Contre le Barça, le Parisien livre, à 21 ans, une prestation digne d’un grand défenseur expérimenté. S’il est sur le banc lors de la remontada, Kimpembe est un titulaire en puissance aux côtés de Thiago Silva. Il dispute même ses premières minutes chez les A, lors d’un amical en Russie le 27 mars 2018. Et gagne son passeport pour y retourner trois mois plus tard avec les Bleus. Barré par la doublette indéboulonnable Varane-Umtiti, il reste néanmoins, avec son enceinte, le G.O. en chef des champions du monde.

Gueye, c’est pas Paredes, c’est pas Daniel Alves

À l’instar des plateaux repas d’Ethiopian Airlines, Kimpembe digère difficilement la deuxième partie de la saison suivant son sacre.

Comme vous êtes dernier défenseur, on voit des choses que l’on n’avait jamais vu avant. Et le constat d’échec tombe : il n’est pas bon.

Avec, comme apothéose, sa main malheureuse contre Manchester qui enterre les espoirs de Paris en Ligue des champions. L’avocat François Gil à la barre : « Comme vous êtes dernier défenseur, on voit des choses que l’on n’avait jamais vu avant. Et le constat d’échec tombe : il n’est pas bon. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu la Coupe du monde, parce qu’il est fatigué, parce qu’il est un peu blessé (une blessure au talon s’est transformée en pubalgie, N.D.L.R.), parce qu’à côté de lui, ce n’est pas Thiago Silva, mais un autre, parce que devant lui, ce n’est pas Gueye ou Verratti, mais Paredes ou l’arrière droit qui est parti. (Dani Alves, N.D.L.R.) »

Cette saison, « Presko » retrouve son autorité dans la défense parisienne. Au match aller, face au Real Madrid, il a donné raison à son coach Thomas Tuchel qui l’avait relancé à la place d’Abdou Diallo. À l’heure de retrouver les Madrilènes – et par la même occasion son idole de jeunesse, Marcelo -, Kimpembe est forcément impatient de réussir ce grand rendez-vous. Comme l’explique Diakiese avec ses mots : « À Galatasaray, avant le match, il disait :« Putain, ça, ce sont des matchs pour moi avec des duels et de l’ambiance. » » Et le Parisien a fait un grand match.

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Par Andrea Chazy et Florian Lefèvre, à Éragny

Tous propos recueillis par AC et FL, sauf Bonadei par L’Équipe.

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