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Claire Poole (Sport Positive) : « Le football peut faire changer toutes les autres industries »
Début mai, l'ONG britannique Sport Positive dévoilait son premier classement des clubs les plus écologiques de Ligue 1 française. Sa présidente fondatrice, Claire Poole, nous explique comment fonctionne ce championnat dominé par l'Olympique lyonnais, et pourquoi le monde du football peut faire beaucoup pour l'environnement.
Quel est l’historique qui précède la création de ces Sport Positive Leagues, dont vous venez de dévoiler le premier classement pour la Ligue 1 ? Je travaillais depuis déjà huit ou neuf ans sur les questions du changement climatique et du sport. Cela m’a permis d’être très au fait des actions de certains clubs en faveur du développement durable. Et durant les échanges que je pouvais avoir sur ces questions, je me suis rendu compte que je sortais toujours les mêmes exemples de clubs de Premier League, Bundesliga ou Ligue 1 qui opéraient de vraies actions. J’ai eu envie d’avoir une vision plus complète, globale, de tout l’écosystème du football. C’est cette réflexion qui a petit à petit abouti au lancement en 2021 du premier classement Sport Positive Leagues pour la Premier League anglaise. Notre philosophie, c’est le partage d’informations sur ce que font les clubs, pour informer les organisations, mais aussi encourager les clubs moins avancés à copier ceux qui le sont. L’esprit de compétition qui existe dans le sport peut être utile sur ce sujet des efforts pour la durabilité.
Au départ, comment avez-vous été accueillie par le monde du football ? (Elle rigole.) Le but est de partager facilement les informations : on a fait des recherches, comment on les présente de manière efficace ? Peu de personnes liraient un rapport de 40 pages, en revanche, un classement, c’est ce que les supporters lisent tous les week-ends. Il apparaît que c’est une bonne mécanique pour notre travail, cela instaure une compétition amicale pour traiter une question extrêmement importante. Il est évident que pour les personnes des clubs les moins bien classés, ce n’est pas agréable. Tout le monde, surtout dans le monde du football, a l’esprit de compétition et veut performer. Mais ce qui m’a réconfortée, c’est que nous n’avons pas reçu de retours négatifs des clubs à la suite de ces publications.
Avez-vous constaté des effets concrets, par exemple un club qui était mal classé et qui a accéléré l’année suivante pour remonter ?Oui, même avant de publier notre premier classement, dès lors que les clubs ont été informés du projet, cela a eu un effet positif. Certains clubs, surtout ceux d’envergure mondiale, peuvent réagir très vite s’ils identifient un domaine où ils sont en retard. Un club comme Southampton a lancé le « Halo Effect » , un programme pour le développement durable, à la suite de notre premier classement. Cela a été une prise de conscience pour eux de voir qu’ils n’étaient qu’en milieu de tableau, ils pensaient faire beaucoup. Liverpool a également lancé « The Red Way » . La « conversation » que nous avons lancée avec nos classements a accentué leur attention sur ces questions environnementales. On est arrivé à un stade où les clubs savent qu’un classement va sortir dans l’année, et ils nous demandent quelles vont être les nouvelles catégories prises en compte. La finalité de notre démarche, c’est, au-delà des clubs, de sensibiliser leurs supporters. C’est pour cela que nous valorisons beaucoup la communication des clubs sur leurs actions : plus un club rend l’accès à ces informations faciles pour son public, plus on tend à lui donner des points. Quand on a lancé notre projet, peu de clubs avaient une page dédiée à l’écologie sur leurs sites, désormais, tous ou presque en ont une.
Vous cherchez un effet d’échelle ? Exactement. Le sport est un micro pour s’adresser au monde. C’est important de réduire l’empreinte carbone du football, mais en réduisant l’empreinte carbone du football, on encourage aussi presque l’ensemble de la planète à faire de même, les supporters, les entreprises, toute l’économie… La vraie victoire écologique via le développement durable du football, ce serait de faire changer les habitudes de ceux qui consomment du football. Le football et plus généralement le sport peuvent faire changer toutes les autres industries, par exemple dans l’organisation des transports, l’une des activités humaines qui a le plus d’impact. Si on modifie les modes de déplacements des équipes et des supporters, il y a de gros gains à aller chercher. Un déplacement humain aura toujours un impact environnemental, mais si chacun fait un effort, il y a des possibilités de progrès. Mais pour que la parole du monde du sport soit crédible, il faut d’abord que le monde du sport montre l’exemple.
De plus en plus de jeunes diplômés refusent des postes dans de grands groupes parce qu’ils ne les jugent pas assez en pointe sur le plan des valeurs, notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pensez-vous qu’un jour, des footballeurs diront non à un gros club avec l’argument « Je préfère aller à Southampton, ils font plus que vous pour le climat… » ? J’aimerais voir ça arriver, mais je ne sais pas si c’est possible dans un futur proche. On parle d’un choix au niveau individuel, donc qu’un joueur le fasse, c’est vraiment possible, mais que cela devienne un phénomène massif, c’est plus difficile à imaginer. Ce serait fantastique que dans un futur proche, des joueurs se focalisent sur l’environnement et en fassent un levier de choix de carrière. Mais le football est un univers très complexe, le système des transferts, les prêts, les considérations financières, tactiques… Plus globalement, de plus en plus de footballeurs parlent publiquement des questions environnementales. Patrick Bamford par exemple. Au-delà du choix des clubs, il y a plus directement le choix des sponsors par les joueurs et les clubs. C’est un critère que nous souhaitons intégrer, la responsabilité environnementale des sponsors avec lesquels les clubs travaillent. La difficulté, c’est de déterminer des critères justes sans nous positionner en juges qui décident ce qui est bien et ce qui est mal. Il y a des visions puristes, une entreprise qui investit dans les énergies fossiles n’a pas sa place sur le maillot d’un club de football, et il y a des visions plus pragmatiques, consistant à encourager les groupes polluants à entrer dans une approche plus vertueuse. C’est important de ne pas exclure les entreprises qui sont en transition, car elles peuvent porter des bénéfices significatifs.
Quelle méthodologie est utilisée pour établir vos critères de classement des clubs ?On regarde surtout leurs opérations concrètes. Sont-ils efficaces dans la gestion des déchets, l’utilisation efficace ou non de l’énergie. On n’utilise pas forcément l’empreinte carbone, car d’une part, tous les clubs n’avaient pas calculé la leur quand on a commencé, et d’autre part car il y a différentes manières de la calculer, différentes données que l’on peut y intégrer. Se focaliser sur les actions, en communication, en éducation, en gestion des déchets, c’est plus concret. La manière dont les clubs gèrent leur merchandising, c’est un autre critère très important. C’est une activité qui peut avoir un impact très lourd. Le classement n’est pas aussi important que la dynamique qu’il peut enclencher dans les clubs.
Vous avez indiqué collaborer avec l’UEFA. Est-ce possible de voir un jour exister un classement « sustainability », avec des places garanties aux meilleurs fédérations ou clubs, comme pour le fair-play ? J’espère ! Ils ne sont pas partenaires directs sur nos actions Sport Positive Leagues, mais on a des contacts étroits avec eux. Dans le futur, ce serait bien qu’ils voient cela comme une priorité suffisante pour envisager ce type de mécanisme. Je serais très heureuse si l’UEFA, la FIFA ou la Premier League prenaient les choses en main, avec des décisions fortes en ce sens.
A-t-on des données pour évaluer l’impact global de l’industrie du football sur l’environnement ?C’est très difficile en raison de l’ampleur du phénomène, de sa pratique. Seules des entités comme l’UEFA ou la FIFA pourraient lancer des études pour évaluer cela, car ils sont probablement les seuls à avoir les ressources pour le faire. La partie la plus immense du football, c’est sa base, la pratique amateur. C’est vraiment difficile d’évaluer ce niveau-là, on ne peut évaluer que la dimension professionnelle, mais c’est aux organisations au sommet de s’en charger.
Le président d’un club vert.
Un match de football professionnel qui serait neutre sur le plan environnemental, c’est possible ? On est encore loin de cet idéal, car on est vraiment au tout début du chemin. Car même si tous les clubs arrivaient à avoir une activité neutre, il y aurait toujours le besoin de faire venir des supporters au stade. Donc la neutralité ne dépendrait pas seulement des clubs, mais également d’autres secteurs d’activités. Le sport est un levier pour instaurer une dynamique. C’est bien de viser la neutralité carbone, mais il faut être honnête, on vit dans une économie qui repose sur les énergies fossiles. Le monde du football ne va pas tout changer seul. Après, il ne faut pas manquer d’ambition, mais il faut être patient, penser en matière de progrès, même petits. Le sujet de la neutralité est vraiment encore éloigné, on a des étapes avant.
Coupe du monde à 48 pays, projet de Super League, Ligue des champions à 36 équipes, cela vous inspire quoi ?Je crois qu’il faut être honnête, même si on aime le football, on ne peut pas continuer avec la « croissance » si on est sérieux dans l’idée de protéger l’environnement. On peut comprendre l’idée d’ouvrir une Coupe du monde à plus de pays, mais les organisations doivent assumer que les motivations derrière ces extensions du nombre de participants sont avant tout financières. Au bout d’un moment, cette croissance du nombre de matchs n’a pas de sens si on veut sérieusement combattre le réchauffement climatique. Cela vaut pour le sport, pour l’industrie, pour le commerce. On ne peut plus considérer la croissance comme une donnée positive, il faut réfléchir à faire plus ou mieux avec ce que l’on a à disposition. Si on continue sur cette voie, un jour la planète sera tellement décimée qu’il n’y aura plus de compétitions sportives de haut niveau.
Propos recueillis par Nicolas Jucha