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- Les coups francs qui ont marqué l'histoire
Christophe Clanet : « La trajectoire du coup franc de Roberto Carlos est très surprenante, mais on la comprend scientifiquement »
Si l’on écoute Roberto Carlos, son fameux coup franc zigzag marqué face à la France en 1997 serait « un miracle ». Le Brésilien explique la trajectoire inattendue de sa frappe mesurée à 137 km/h par un coup de vent. La chance ? La science, répond Christophe Clanet, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Entretien où il est question d’effet Magnus, de traînée et de coquilles d’escargot.
Christophe Clanet est directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Avec Caroline Cohen, professeure assistante à l’École polytechnique, il co-pilote actuellement le programme Sciences 2024 pour assister les équipes de France en vue des JO de Paris. « En cyclisme, par exemple, on travaille sur l’aérodynamique des vélos, des textiles, sur l’optimisation des trajectoires sur le vélodrome », explique le chercheur, qui développe la physique du sport depuis une dizaine d’années au sein du laboratoire d’hydrodynamique de l’École polytechnique. Dans une étude publiée dans le New Journal of Physics en 2010, Christophe Clanet a analysé la trajectoire du coup franc zigzag de Roberto Carlos contre la France. D’ailleurs, il est originaire de Lavelanet (Ariège)… comme Fabien Barthez, la victime de l’artilleur brésilien ce 3 juin 1997 à Gerland.
Quelle est la genèse de cet article scientifique qui mentionne le coup franc de Roberto Carlos ?On travaillait sur des gilets pare-balles. On étudiait comment stopper des billes dans des fluides (mousses, polymères). Et on observait que les billes avaient des trajectoires courbées. Donc, on a essayé de comprendre l’origine. De façon à simplifier le problème, on a fait impacter ces billes dans de l’eau et on a vu qu’elles continuaient à avoir cette trajectoire courbée. La bille roulait le long du fut du canon que nous utilisions pour la lancer et elle rentrait dans l’eau avec une rotation. Cela nous a fait penser aux coups francs. Et on s’est rendu compte que n’importe quelle balle que l’on envoie dans un fluide (eau, air…), dès lors qu’elle est en rotation, elle va avoir une trajectoire en forme de spirale. Un peu comme les coquilles d’escargot ou la courbure augmente lorsque vous allez de l’extérieur vers l’intérieur.
C’est l’effet Magnus ?
Quand vous mettez votre main à l’extérieur de votre voiture, vous sentez une traînée. L’air exerce une force sur votre main qui va vers l’arrière. Votre main induit les différences de pression tout autour de la main, et si jamais la main est fermée, la résultante de ces efforts est alignée avec le vent et va vers l’arrière. Mais si vous mettez votre main à plat, vous réalisez qu’il y a aussi des forces qui peuvent aller vers le haut et vers le bas suivant l’orientation que vous donnez à votre paume. La force qui va dans le sens du vent, on appelle cela la traînée. La force perpendiculaire au vent, on appelle cela la portance. Quand vous frappez un ballon, il y aura toujours une traînée. Si jamais le ballon ne tourne pas, il y aura très peu de portance. Au contraire, s’il tourne sur lui-même, il y aura aussi de la portance. Et la portance, c’est ce que vous appelez l’effet Magnus. Sur tous les ballons en rotation, il y a une traînée et une portance. La conjugaison des deux forces permet au footballeur de courber la trajectoire de sa balle, de la piloter : la courbure de la trajectoire va changer avec la distance du coup franc. Prenez un coup franc de Platini frappé à 18m, vous voyez que le début de la spirale ressemble à une trajectoire circulaire. Il sait que la courbure va permettre au ballon de passer au-dessus du mur. Prenez le coup franc de Roberto Carlos frappé à 35m, vous voyez que la courbure va changer au fur et à mesure de la trajectoire comme quand vous vous rapprochez du centre de la coquille. Elle est plus courbée à la fin qu’au début.
Qu’est-ce qui fait la spécificité de cette frappe de Roberto Carlos ?Sa spécificité, c’est d’être très longue. Sa frappe part à 38 m/s (137 km/h) avec une rotation de l’ordre de 10 tours par seconde. Il y a un mélange de vitesse et de précision qui est peu commun. Je pense que c’est cela qui étonne. Un coup franc de 18 m, on y est presque habitué. Le mélange de puissance et de précision, c’est très rare. Sur les coups francs à 18 m, on ne voit que le début de la spirale. À 35 m, vous voyez un plus gros morceau de la spirale, fixée par la traînée (effet Magnus). Et vous vous apercevez que ce n’est pas un arc de cercle. Ce sont plusieurs arcs de cercle avec des rayons qui deviennent de plus en plus petits.
Qu’est-ce qui vous surprend dans ce coup franc ?Avant le coup franc, il y a quand même toute une dramaturgie. On l’entend crier, Barthez. Il sait qu’à cette distance-là, Roberto Carlos est capable de frapper des coups francs précis. Pourtant, cela ne va pas lui permettre de juger la trajectoire. Et je suis quasiment sûr que ce à quoi il n’était pas préparé, c’était d’avoir une telle variation de courbure du ballon.
Qu’en est-il des autres effets qui permettent de piloter la trajectoire de la balle ?Juninho, lui, pouvait utiliser un top spin (en frappant la balle par en dessous, comme un coup droit de Rafael Nadal, N.D.L.R.) de façon que le ballon retombe très rapidement derrière le mur. Il y a très peu de tireurs de coups francs qui peuvent faire ça, car il faut passer le pied sous le ballon. Donc c’est forcément des joueurs qui ont des petits pieds, Juninho en était un. Vous avez des coups francs de Juninho qui retombent juste derrière le mur, et ça, ça surprend les gardiens parce que ce n’est pas fréquent. Vous avez des gardiens, en dégageant, qui vont utiliser du back spin. Ils vont utiliser l’effet Magnus, c’est-à-dire mettre de la rotation arrière, de façon que le ballon retombe le plus loin possible. C’est une technique peu utilisée par les tireurs de coups francs. En général, les tireurs de coups francs utilisent l’effet Magnus, avec une rotation droite ou gauche.
Ce qui rend ce coup franc de Roberto Carlos impressionnant, c’est aussi qu’il est frappé de l’extérieur du pied. Pourquoi frappe-t-il de l’extérieur ?L’extérieur du pied lui permet d’avoir à la fois un coup de pied puissant et d’induire sur le ballon une forte rotation. Qui sont les deux ingrédients dont il a besoin à 35 m pour courber sa trajectoire et éviter qu’elle ne retombe avant le but.
Roberto Carlos dit que son coup franc de légende serait un coup de chance parce qu’il y avait du vent…La chance, chez les tireurs de coups francs, je n’y crois pas trop. Ils ont un gros taux de répétabilité. L’effet du vent existe. Mais le coup franc est tiré à 137 km/h. Il en faut, du vent, pour le dévier de sa trajectoire. Je ne sais pas s’il y avait beaucoup de vent ce jour-là. Mais ce que je veux souligner, c’est qu’il n’y a pas besoin du vent pour avoir cette trajectoire bizarre. Ces informations-là, les joueurs les ont. Quand Roberto Carlos frappe son coup franc, il sait exactement quelle trajectoire il peut obtenir, sinon il ne la taperait pas vers l’extérieur du but. Ce qu’il ne sait pas, c’est s’il va être suffisamment précis, car cela se joue à rien.
Pourquoi Roberto Carlo dit que c’est de la chance, alors ?Je vous retourne la question : qu’est-ce qu’il en sait ? Est-ce qu’il a mesuré le vent ? Si Roberto Carlos dit cela, c’est sûrement parce qu’il ne réussit pas à tous les coups. Mais il sait qu’il savait qu’il pouvait le réussir et il a tenté sa chance.
Quand vous entendez : « ce coup franc qui défie les lois de la physique », qu’est-ce que vous répondez ? La trajectoire suivie est très surprenante, mais on la comprend scientifiquement : c’est une spirale. Rien dans ce phénomène ne défie les lois de la physique, car dans ce domaine de l’aérodynamique, les lois sont établies depuis longtemps et ont été testées et validées. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de surprise. Et c’est sûrement cela que souligne cette expression. Le caractère inhabituel de cette trajectoire. Quand le coup franc est tiré, les acteurs qui sont sur le terrain pensent tous que le coup franc va sortir, à commencer par Barthez qui ne bouge pas.
Qu’est-ce qui différencie la prouesse du coup franc de Roberto Carlo par rapport au but de Marco van Basten à l’Euro 1988 par exemple ? Sur une reprise de volée, la vitesse d’arrivée du ballon vous aide. Le ballon peut être frappé plus fort. Vous avez moins d’impulsion à mettre dans votre coup de pied. Alors que Roberto Carlos, son ballon est au repos et il doit l’accélérer. Que ce soit une frappe flottante ou celle de Roberto Carlos, ce qui est frappant dans les coups francs tirés de loin, c’est quand le tireur arrive à frapper une balle puissante ET précise. La conjonction puissance-précision est TRÈS rare.
Vous évoquiez les petits pieds de Juninho*, qui lui permettaient de donner un effet flottant à ses coups francs. Roberto Carlos a aussi des petits pieds : il chausse du 38. C’était ça, son arme secrète ? Les petits pieds sont nécessaires pour passer sous le ballon et frapper des top spin. Pour le reste, je ne sais pas. Je n’ai pas étudié cette question et je risque de dire des bêtises. Selon moi, la meilleure arme de Roberto Carlos est la qualité de sa frappe : puissante et précise !
Propos recueillis par Florian Lefèvre
* Juninho chausserait du 40 2/3 selon ce collectionneur qui aurait récupéré une paire de chaussures du canonnier lyonnais.