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Chinaglia, mort d’un bad boy
Hier, Giorgio Chinaglia, ancien buteur de la Lazio et des New York Cosmos, est mort à l’âge de 65 ans. Des flingues, la mafia, le premier Scudetto de la Lazio, Pelé, du fascisme, des grandes gueules : retour sur un personnage toujours borderline, avec un caractère et un charisme comme on n’en fait plus de nos jours.
Beaucoup ont cru que c’était un poisson d’avril de mauvais goût. Mais non. Giorgio Chinaglia est bel et bien mort hier, en Floride, à l’âge de 65 ans. Le plus célèbre des gangsters du football italien des années 70 a été frappé par une crise cardiaque, alors qu’il se trouvait à son domicile. La nouvelle n’a mis que quelques heures pour se propager jusqu’en Italie, par le biais de son fils Anthony. « Mon père, Giorgio Chinaglia, est mort ce matin aux alentours de 9h30. Il avait été opéré il y a une semaine après une attaque. Il avait été renvoyé chez lui. Mais ce matin, je suis allé lui rendre visite, et j’ai découvert qu’il ne respirait plus » a-t-il raconté, les larmes aux yeux et la gorge nouée. Les larmes aux yeux, tous les supporters de la Lazio les ont, depuis cette tragique annonce. Chinaglia, c’est tout un symbole. Celui des années 70 et du premier Scudetto de la Lazio en 1974, avec des joueurs totalement barrés, qui préféraient tirer au flingue sur des oiseaux plutôt que participer aux mises au vert. Mais Chinaglia, c’est aussi un mec qui se déclare publiquement proche du Mouvement social italien (MSI), le FN local, un exil aux New York Cosmos, où il est allé mettre en péril la suprématie du Roi Pelé, et une tentative de retour en Italie, ternie par de sombres affaires de copinage avec la mafia. Puis, finalement, une fin loin des projecteurs, aux Etats-Unis. Retour sur un parcours, forcément, hors des sentiers battus.
Hystérie et fusil
Giorgio Chinaglia, c’est un nom qui résonne du Pays-de-Galles aux Etats-Unis, en passant évidemment par l’Italie. Né à Carrara, le gamin fait ses valises avec sa famille à l’âge de neuf ans, direction Cardiff. Il y fait ses grands débuts avec le club de Swansea, avec lequel il ne dispute que quelques matches. Puis il rentre en Italie, joue une saison à la Massese, puis à l’Internapoli, un autre club de Naples. Il rejoint ensuite la Lazio, avec laquelle il connaît la Serie B, puis le retour tonitruant en Serie A. A cette époque là, la Lazio, c’est une putain d’équipes de bandits, avec des joueurs qui ne peuvent pas se blairer, et qui déversent leur rage sur les terrains de foot. La recette, insolite, fonctionne. A la tête de cette formation, il y a Giorgio Chinaglia. Leader, buteur et branleur de l’équipe. La Lazio passe tout proche du titre lors de la saison 72-73, et décroche le Scudetto la saison suivante. L’année du sacre, Chinaglia marque 24 buts et remporte le titre de meilleur buteur du championnat. Ingérable, celui que la Curva Nord surnomme « Long John » provoque l’hystérie chez les tifosi, aussi bien pour sa folie que pour son charisme.
Lors de sa toute dernière interview, accordée il y a un mois à TuttoMercatoWeb, Chinaglia se raconte. « A l’époque, me gérer était impossible. Imaginez : à l’entraînement, on faisait toujours des matches qui ne finissaient jamais. Cela se finissait seulement après que j’ai marqué le but de la victoire. Une fois, il faisait même nuit. Mon équipe perdait d’un but. Deux joueurs ont fini par partir. Moi, j’ai marqué, et le match a pu se terminer. Mais on était 7 contre 5 » . Des histoires de ce genre, Chinaglia en avait des centaines à raconter. Comme lors de ce déplacement à Milan pour affronter l’Inter. Chinaglia se désintéresse du jeu, pique un sprint vers son pote Vincenzo D’Amico, et l’agresse à coup de pied façon Cantona. La raison ? Aucune. Il était juste énervé. Et autant dire que Chinaglia, il ne valait mieux pas l’emmerder. « Je vous raconte une anecdote, entame-t-il. Après un Napoli-Lazio, fini 1-0 pour eux. J’étais en voiture avec mon père et je me dirigeais vers Fuorigrotta (quartier napolitain où se trouve le stade, ndlr). A ce moment-là, des supporters du Napoli m’ont encerclé. Je suis sorti de la bagnole avec mon fusil Winchester, et j’ai tiré deux coups en l’air. Tout le monde a détalé. Je suis remonté dans la caisse, et on est parti » . Efficace.
Rêve américain
La suite de son aventure à Rome a quelque chose de tragique. Chinaglia se ferme d’abord lui-même les portes de la Squadra. Lors du Mondial 74, il envoie chier le sélectionneur azzurro coupable de l’avoir remplacé lors d’un match contre Haiti. Pas une super idée pour faire remonter sa cote de popularité. Puis le choc. Tommaso Maestrelli, le coach qu’il considérait comme son deuxième père, décède des suites d’un cancer généralisé. Son pote Re Cecconi, « l’ange blond » , se fait quant à lui tirer dessus dans une bijouterie après avoir simulé un faux hold-up. Suffisant pour pousser le buteur à quitter l’Italie. Il choisit les USA, d’où est originaire sa femme Connie. Après sept saisons passées à la Lazio, le voilà qui file aux New-York Cosmos, avec pour objectif de « faire connaître le grand football aux Américains » .
Nous sommes à la fin des années 70, et les Cosmos comptent déjà dans leurs rangs quelques joueurs d’exception : Pelé, Beckenbauer et Carlos Alberto. De quoi impressionner le brigand repenti ? Tu parles. « J’avais un problème avec Pelé. Il venait toujours au centre de l’attaque et on se mélangeait les pinceaux. Alors, je lui ai dit :« Va jouer sur l’aile, comme ça tu auras plus d’espace ». Il ne l’a pas bien pris. Sauf que moi, j’étais également dirigeant du club. Alors, en tant que dirigeant, je lui ai dit : « Soit tu fais ce que je dis, soit tu t’en vas » » se rappelle-t-il. Un taré. Mais un taré qui va inscrire 242 buts en 254 matches toutes compétitions confondues sous le maillot des Cosmos, dont 193 en championnat, décrochant cinq fois le titre de meilleur buteur de la North American Soccer League. Puis il raccroche. Et les ennuis commencent.
Consortium suisse et fonds hongrois
Chinaglia se met en tête de devenir un grand dirigeant. Il revient d’abord en Italie, et devient président de la Lazio en 1983, en promettant monts et merveilles. Un échec. Chinaglia n’a pas de thune, se fait suspendre huit mois pour avoir attaqué l’arbitre Menicucci avec un parapluie lors d’un Lazio-Udinese, et doit revendre le club quelques mois plus tard. Pas démonté pour autant, Giorgione attend la fin des années 90 pour se repointer en compagnie d’un sombre consortium suisse, avec pour but de racheter le club de Catane. Les dirigeants du club sicilien flairent le coup foireux, et l’affaire capote. Mais Chinaglia ne renonce pas. En juin 2000, il revient à la charge avec des fonds hongrois et rachète le club de Marsala. Mais toutes ces manœuvres n’ont qu’un but : revenir à la tête de la Lazio, son club de toujours. En 2005, Chinaglia débarque à Rome avec ses Hongrois, avec la ferme intention de racheter la Lazio, de force, s’il le faut. Le club romain vient d’être racheté par le président Lotito. Une lutte ouverte débute alors entre les deux hommes, Chinaglia n’hésitant pas à aller s’asseoir à quelques centimètres du président laziale, dans les tribunes, juste pour lui mettre la pression.
Finalement, il se trouve que les fonds hongrois n’existent pas et Long John est chopé par la justice, qui l’accuse d’être de mèche avec la Camorra. Lui s’en défendra toujours, affirmant qu’il a été manipulé dans cette affaire par des gens qui « souhaitaient juste se servir de son aura pour arriver à leurs fins » . Chinaglia est donc retourné aux Etats-Unis, pour fuir tout ce bordel. « S’il a fait des erreurs, il les a uniquement commises par amour pour la Lazio » juge son ancien coéquipier Giancarlo Oddi, qui définit Chinaglia comme « un homme généreux, une vraie belle personne » . Ses derniers mots officiels à la presse étaient une belle promesse. « Bientôt, je règlerai tout, et je rentrerai en Italie. Dites-le, dites-le à tous » . Une promesse qui restera dans le ciel, là ou Chinaglia va désormais pouvoir trinquer et tirer des coups de flingues avec ses anciens complices. Good bye, Long John.
Par Eric Maggiori