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Chalana à Bordeaux : faille des années 1980

Par Mathias Edwards
6 minutes
Chalana à Bordeaux : faille des années 1980

Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Pour ce 23e épisode, retour à l'été 1984. Les Girondins de Bordeaux de Claude Bez croient réaliser un énorme coup en recrutant Fernando Chalana pour 18 millions de francs. Un record pour le championnat de France. Mais le meilleur passeur de l'Euro 1984 n'aura jamais l'occasion de briller en Gironde. La faute à des blessures, certainement, et à sa femme, peut-être.

Fernando Chalana aura vécu un bel été 1984. À 25 ans, celui qui est déjà sextuple champion du Portugal avec le Benfica part fêter son deuxième titre de footballeur portugais de l’année en France, à l’occasion de l’Euro. De Strasbourg à Nantes, en passant par Marseille, le milieu offensif éclaboussera l’Hexagone de son talent. Avec en point d’orgue, cette demi-finale face aux Bleus au Vélodrome. En deux louches de caviar, il permet aux siens d’arracher la prolongation, puis de mener 2-1 à la 98e. Avec à chaque fois Jordão à la finition. Domergue et Platini empêcheront Chalana et les siens de visiter Paris, mais pas de gagner le respect de tous. Meilleur joueur de cette demi-finale, nommé dans l’équipe type du tournoi et sacré meilleur passeur, à égalité avec Tigana, Fernando Chalana est la coqueluche du moment. Et toute l’Europe ne va pas tarder à se l’arracher. Parmi les clubs intéressés, on retrouve entre autres l’AS Roma, Barcelone et les champions de France bordelais de Claude Bez. Un peloton de haut niveau, capable de faire monter le prix à un niveau record. Et c’est ainsi que les Girondins arrachent la plus belle moustache du moment pour 18 millions de francs. Un record en Division 1. Cet été-là, seul Maradona sera vendu plus cher, en passant de Barcelone à Naples. « Au club, on a été trois ou quatre à décider de le recruter. Sur le moment, on était content d’avoir décroché la timbale, rembobine Didier Couécou, alors directeur sportif débutant des Girondins. Mais ça a été un raté dès le début. Il est resté trois ans à Bordeaux, c’était trois ans de trop. Un fiasco de première. C’était un de mes premiers transferts, et je pense que c’est mon plus gros échec. » De 1984 à 1987, Fernando Chalana ne disputera que 20 matchs avec les Marine et Blanc. Pour un but inscrit.

C’était un de mes premiers transferts, et je pense que c’est mon plus gros échec.

« Un fêlé complètement inféodé à sa femme »

Pour Didier Couécou, la principale raison de l’échec de Fernando Chalana à Bordeaux, outre les blessures, est la personnalité du joueur. Et l’homme n’est pas tendre lorsqu’il s’agit d’évoquer le Portugais : « C’était un faiblard du cerveau. À l’époque, on n’a pas eu le temps de lui faire passer des tests psychologiques. » Un avis que ne partage pas Gernot Rohr, qui a bien connu le joueur. « Je l’ai tout de suite récupéré dans ma chambre, parce qu’Aimé Jacquet aimait bien me mettre avec les recrues étrangères. Comme j’ai fait des études de langues, je pouvais leur enseigner le français, se marre aujourd’hui l’ancien défenseur bordelais. C’est un type très sympa, avec un humour tout en ironie. Un garçon très agréable avec qui je suis resté copain. Il était toujours de bonne humeur, malgré ses blessures. » Un portrait pour le moins éloigné de celui que brosse Couécou, qui se souvient d’un « introverti tenace. Il se demandait comment il avait atterri à Bordeaux. Quand il parlait, il avait peut-être de l’humour, mais il ne parlait pas beaucoup. » S’il y a un point sur lequel les mémoires de Rohr et Couécou convergent, c’est Anabella. Madame Chalana. « Elle était partout ! se rappelle Rohr. Avant, pendant et après l’entraînement, elle était là ! » Journaliste pour A Bola, le quotidien sportif portugais, Anabella prétexte qu’elle doit suivre Fernando partout pour son boulot. Au point de demander à la direction de faire les déplacements avec l’équipe, en compagnie de son mari. « On ne pouvait pas accepter ça. Elle disait que c’était pour son métier, mais la vérité, c’était que Chalana était un fêlé complètement inféodé à sa femme qui ne voulait pas qu’il soit là. Elle n’aimait rien à Bordeaux. » Dur.

Quand il est revenu, il s’est blessé à nouveau en trébuchant sur une racine lors d’un footing en forêt.

God blesse Chalana

Si la personnalité du joueur fait débat, c’est plus certainement ses blessures qui ont fait tourner son séjour girondin au fiasco. « En France, la préparation était un peu plus violente qu’au Portugal. C’est peut-être ce qui l’a foutu en l’air », théorise Couécou, qui tient peut-être une piste plus crédible que l’introversion du bonhomme. Car effectivement, dès son arrivée à Bordeaux, Fernando Chalana se claque le quadriceps lors d’un match de préparation. « Quand il est revenu, il s’est blessé à nouveau en trébuchant sur une racine lors d’un footing en forêt, souffle Rohr. La blessure au quadriceps, pour un footballeur, c’est terrible. C’est un muscle qui est tout le temps sollicité – lors des frappes, des courses – donc les rechutes sont fréquentes. » À tel point que Chalana ne disputera son premier match en Division 1 qu’en février 1985, au Vélodrome. Un mois avant le fameux quart de finale retour de Coupe d’Europe des clubs champions, qui verra les Girondins arracher une qualification épique face à Dnipropetrovsk.

Un tir au but dans la légende

Du passage de Fernando Chalana, le grand public se souvient principalement de deux choses. Sa majestueuse moustache, et son tir au but réussi à Krivoï-Rog, où la rencontre face aux Soviétiques avait été délocalisée, Dnipropetrovsk étant une ville interdite aux occidentaux à cause de l’usine de missiles qu’elle abritait. En attendant de savoir si l’appendice pileux de Chalana fera l’objet d’un prochain article, nous nous attarderons ici sur son coup de folie ukrainien. Incapables de se départager (1-1, 1-1), Girondins et Soviétiques doivent se plier à la cruelle épreuve des tirs au but. Alors que ce brave Gennadiy Litovchenko a loupé le sien, Fernando Chalana s’avance en tant que dernier tireur pour décrocher la qualif’. Et sert sa meilleure blague. Lui, le pur gaucher, s’élance et frappe du droit. À la plus grande surprise d’Aimé Jacquet, son entraîneur, de Claude Bez et Didier Couécou en tribune, et de tous ses coéquipiers. Et surtout de Sergey Krakovskiy, le portier battu de Dniepr. Mais comment expliquer une telle dinguerie ? Pourquoi Fernando Chalana a-t-il joué une qualification pour les demi-finales de C1 sur un tel coup de bluff ? Trente-huit ans après, là encore, les explications divergent. Pour Couécou, c’est certain : la raison est médicale, comme souvent avec le Portugais. « Il a frappé du droit parce qu’il avait une élongation à la jambe gauche. Il ne l’avait dit à personne pour pouvoir jouer. » Rohr a une autre théorie : « Il m’avait dit que c’était pour feinter le gardien. Il a en fait feinté tout le monde. Heureusement que c’est rentré ! » Quoi qu’il en soit, cet épisode restera de loin le plus marquant de son aventure bordelaise, dont le best of sur YouTube peine à atteindre la minute. C’est probablement Anabella qui était au montage.

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Par Mathias Edwards

Tous propos recueillis par ME

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