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Canal+ met-il le foot français complètement dans la merde ?
La bombe de la soirée de mardi : le président du groupe Canal+, Maxime Saada, a sorti la sulfateuse hier dans une interview donnée au Figaro. Il renonce à la diffusion de la Ligue 1, appelle à un nouvel appel d’offres, critique l’organisation de la Ligue et dénonce l’inflation artificielle du prix des droits. Mais que se passe-t-il ? Le foot français peut-il vraiment tout perdre ?
On pensait que la journée de mardi s’était déroulée normalement, sans encombre. La réunion entre le syndicat des joueurs, l’UNFP, et les représentants des dirigeants avait débouché sur un accord de négociation à la baisse des salaires, Neymar devait faire son grand retour contre Marseille lors du Trophée des champions et les spécialistes débattaient de l’intérêt de jouer la Coupe de France en pleine période de crise sanitaire.
Ça y est, c’est fini ?
Et d’un coup : la bombe, le choc, le fracas, l’explosion. Dans une interview, parue sur le site du Figaro en fin d’après-midi, le président du groupe Canal+, Maxime Saada, annonce que la chaîne renonce au lot 3, comprenant les matchs du samedi 21h et du dimanche 17h, appelle à un nouvel appel d’offres et dénonce le prix surévalué et irréaliste de la Ligue 1 française. C’est la catastrophe. Alors que tout le monde pensait, espérait, le grand retour de Canal+, après le retrait de Mediapro et l’accord de conciliation avec la Ligue, signé en décembre dernier, le scénario idyllique n’arrivera pas. C’est un cauchemar qui se profile. Normalement, tout avait été prévu : Mediapro devait poursuivre la diffusion des matchs au moins jusqu’au 31 janvier, le temps que la LFP se mette d’accord avec Canal. On parlait alors d’un prix de 590 millions plus 100 millions d’euros de bonus, et hop, on revenait à une diffusion pleine et exclusive sur la chaîne cryptée. Tout devait se décanter pour le 7 février, avec le Classico OM-PSG.
Bien que les dirigeants souhaitaient une revente des droits à 800 millions d’euros, afin de limiter la casse avec Mediapro et compenser les pertes de la crise économique, un retour de Canal, même à 690 millions, apparaissait comme un sauvetage, un moyen de rebondir, un espoir en période trouble. Sauf que maintenant, plus rien n’est escompté. Avec le renoncement de Canal, le football n’est même plus certain d’être diffusé et l’on pourrait se diriger vers un écran noir. Sur ce point, Maxime Saada précise bien, malgré tout, que la chaîne se propose de mettre en place une plateforme de pay-per-viewjusqu’à la fin de l’appel d’offres (qui pourrait durer 6 mois maximum), afin d’offrir la possibilité aux fans et aux supporters de payer pour voir des matchs à la carte. Mais à quel prix ? Avec quels moyens ? Quelle structure ? Quelles modalités ? Et si cela se fait, combien vont récolter des clubs comme Dijon, Angers, Nîmes ou Brest, bien moins populaires que Marseille, Paris ou Lyon ? Les gros clubs vont-ils accepter de maintenir un principe d’égalité dans les dotations des droits TV ?
La crainte du demi-milliard
Pire, avec un nouvel appel d’offres exigé, au milieu d’une conjoncture catastrophique, conjuguée à la défaillance de nombreux marchés et au désintérêt de tous les autres diffuseurs, y compris les GAFA qui n’ont jamais décroché leur téléphone, Canal est dans une position de force, de quasi-monopole pour tout rafler à moins de 500 millions d’euros. Il en aurait le droit et les moyens. Sauf qu’à ce prix, c’est la faillite assurée pour un certain nombre de clubs, ceux qui avaient basé tous leurs projets sportifs sur les droits Mediapro à 1,153 milliard d’euros, qui avaient prolongé des contrats et acheté des joueurs à des prix élevés, pronostiquant un retour sur investissement avec les droits TV. Dans un récent rapport, la DNCG estimait, avant l’annonce de Saada, qu’un tiers des clubs professionnels français étaient « dans une situation comptable inquiétante » et que, si rien n’était fait, « des dépôts de bilan pourraient apparaître dans les mois à venir ». D’ailleurs, lors de la réunion de mardi entre les dirigeants et l’UNFP, la piste de la faillite et de la suspension de la saison a été soulevée, demandant une baisse garantie des salaires pour éviter les crises et les ruptures. Mais dorénavant, avec cette nouvelle variable Canal+, ce ne sont plus des baisses provisoires et progressives qu’il faut décider, c’est une véritable refondation du football, une révolution philosophique, sportive et structurelle qu’il faut penser. Sans cela, on risque rapidement de se retrouver avec un championnat en ruines. Ni plus ni moins.
Par Pierre Rondeau