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Calendrier surchargé : à quand la grève des joueurs ?
L’UEFA vient d’annoncer, dès 2024, une compétition estivale de présaison, opposant 4 grands clubs européens, dont le dernier vainqueur de la Ligue des champions. Cet énième tournoi vient s'ajouter à pléthore de matchs que doivent accumuler les joueurs. Jusqu’à l’implosion. Il serait peut-être temps de changer et d’envisager un blocage des principaux acteurs. Vers une grève générale ?
Les champions sont au bord du burn-out, les joueurs se plaignent et endurent, saison après saison, des quantités hallucinantes de matchs. Le syndicat international des joueurs, la FIFPRO, a d’ailleurs déjà alerté, se préoccupant de la santé et du bien-être des footballeurs, capables d’enchaîner jusqu’à 80 rencontres par saison. Certains ont déjà lancé le signal d’alarme. Le milieu croate Luka Modrić s’est récemment plaint des cadences infernales. Avant lui, son coéquipier au Real Madrid Toni Kroos avait accusé la FIFA et l’UEFA de profiter des footballeurs à des fins financières et pécuniaires : « Si on leur demandait leur avis, les joueurs ne participeraient pas à la Ligue des nations, ni à une Supercoupe d’Espagne délocalisée en Arabie saoudite ou une Coupe du monde des clubs à 20 équipes ou plus. […] Ces tournois sont organisés pour pomper le plus d’argent possible. »
En coulisses, de plus en plus de joueurs se plaignent et affichent des états de forme catastrophiques. Passé le printemps, ils se retrouvent éreintés et voient leur corps se fragiliser. Depuis 2020, d’après le site spécialisé PremierInjuries, les blessures musculaires dans les cinq grands championnats européens explosent. Pourtant, malgré ces alertes, il semblerait que les instances ne soient pas prêtes à ralentir. Au contraire, on se dirigerait plutôt vers une augmentation continue des rencontres. Depuis quelques années, on a en effet annoncé et officialisé un Euro à 24, une Coupe du monde à 48, une Ligue des champions à 36 clubs, une Ligue des nations, un tournoi estival de présaison. À cela, on peut ajouter une future Coupe du monde des clubs ou des matchs de gala opposant les champions d’Amérique du Sud aux champions d’Europe. Il y a une gabegie infernale qui ne semble pas s’arrêter. Et jusqu’à quel point ?
Overdose de matchs
Pour le moment, les joueurs ne disent rien. Quelques voix s’élèvent, mais semblent peu écoutées. À l’inverse, on a plutôt l’impression que l’UEFA ou la FIFA continuent leur petit bonhomme de chemin et préparent des annonces de plus en plus sensationnelles. On est passé, par exemple, à deux doigts d’une Coupe du monde tous les deux ans, qui aurait, de fait, imposé un Euro et une Copa América aussi tous les deux ans. Va-t-on boire le calice jusqu’à la lie et continuer à accepter cela ? À la rigueur, nous, supporters et fans de foot, avons un moyen de couper court à tout forme d’expansion. Il suffit d’arrêter de regarder pour que tout s’arrête. Le problème, c’est que le marché étant mondial, boycotter une Ligue des nations ou un tournoi estival UEFA de présaison ne suffira certainement pas à endiguer ce phénomène : il y aura toujours suffisamment de fans, dans le reste du monde, pour se prendre de passion pour ces rencontres et donc de sponsors pour les rentabiliser.
Le salut devrait alors passer par les joueurs directement, les acteurs principaux du système footballistique. Sans eux, pas de match, pas de rencontre, pas d’évènement, et donc pas de billetterie, pas de droits TV, pas de recette commerciale. S’ils décident d’arrêter, de refuser de jouer, de s’opposer à la multiplication des compétitions, il est évident qu’ils seront entendus. Pour autant, on a beau entendre des déclarations à droite à gauche, se plaindre et s’insurger, dans les faits, on a surtout l’impression que rien ne se passe. La FIFPRO, qui est censée représenter l’intégralité des joueurs professionnels à travers le globe, a déjà appelé à la mise en place d’un passeport sportif, garantissant un plafond de matchs maximum, pouvant aller jusqu’à 50 voire 60, pas plus. Mais rien ne s’est passé et on n’a pas l’impression que la FIFA ou l’UEFA les aient écoutés. En fait, il faut revenir à l’histoire du militantisme sportif, et la faible représentation syndicale dans le sport, pour comprendre le phénomène.
Où sont les gilets jaunes du football ?
Le socio-économiste Igor Martinache, de l’université de Lille, s’est intéressé à l’absence de représentation et de porte-voix social dans le foot. Par exemple, au sein des instances de la LFP, lors de la crise du Covid, différents groupes avaient été mis en place pour réfléchir au futur calendrier, à l’organisation des compétitions, aux négociations salariales, etc. L’UNFP, le syndicat des joueurs, affichant un taux d’adhésion de 94% en Ligue 1, n’était présente que dans un seul groupe d’étude, celui concernant les salaires. Dans tous les autres, ils n’avaient pu s’exprimer. Martinache rappelle la courte histoire des luttes sociales dans le football. Il cite la grande grève de 1963, menée par Raymond Kopa, qui avait exigé la mise en place d’un statut spécifique du footballeur et la fin du contrat à vie, la fin de l’ère de « l’esclavagisme » . À l’époque, Kopa avait été littéralement descendu par la presse et l’opinion publique, le jugeant égoïste et individualiste, considérant que le football n’était pas un métier à part entière, mais avant tout un loisir, un jeu. On n’avait pas à se plaindre quand on tapait dans un ballon.
C’est l’une des raisons de l’absence de prises de parole et de revendications régulières. Les footballeurs peuvent avoir le sentiment, conscient ou inconscient, qu’ils pratiquent un métier spécifique, un jeu, un loisir, et qu’à ce titre, ils n’auraient pas le droit à la critique. À cela s’ajoute un effet hiérarchique dans la discipline. Pour Martinache, contrairement à une lutte marxiste, avec la conscience de classe des ouvriers et du prolétariat, les footballeurs ne se valent pas. En tout cas sportivement. Il y aurait un effet hiérarchique, entre les moins performants qui s’interdiraient de parler parce qu’ils se jugent « non légitimes » , puisque derniers, et les plus performants qui ne parlent pas parce qu’ils ont déjà tout ou n’ont pas le sentiment de devoir se plaindre. Ainsi, pas de conscience de classe commune et pas un même sentiment d’appartenance. Un joueur de Ligue 2 ne pourrait pas se lever pour faire entendre sa voix, accompagné de Messi, de Mbappé ou de Modrić parce qu’il n’a pas le sentiment d’appartenir au même monde.
Et quant à ceux placés au sommet de la pyramide, ils ne se donnent pas le droit de parler parce qu’ils ne se concentreraient que sur la performance et n’auraient pas le sentiment d’avoir la légitimité de se plaindre. Enfin, dernier point, on pourrait ajouter que ceux qui critiquent les cadences infernales sont les mêmes qui profitent allégrement des résultats économiques et donc des rémunérations importantes. Choisir de jouer moins de matchs, ça serait aussi accepter d’être moins bien payés. Conséquence, de tous les côtés, pas de fronde, pas de lutte sociale, pas de grand soir footballistique. On peut espérer alors que le changement passe, si vraiment on en a marre d’avoir autant de matchs, par un boycott total. Si les footballeurs n’agissent pas maintenant, le salut pourra venir des supporters. Mais il faudra vraiment le faire et l’assumer…
Par Pierre Rondeau