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C’était Rio…

Par Maxime Brigand
C’était Rio…

Durant douze années, il fut l'un des plus fidèles fantassins de la garde rapprochée de Ferguson. Comme apothéose, l'été dernier, il avait décidé de retrouver ses racines, sa ville : Londres. Rio Ferdinand a décidé de quitter le football à 36 ans par le haut et restera, à jamais, celui devant qui Sir Alex s'est incliné.

L’annonce a fait l’effet d’un souffle sur l’histoire d’un début de siècle. Comme apprendre la perte d’un être cher que l’on aurait toujours connu, une figure tutélaire à laquelle on aimait repenser lorsque l’on évoquait une douce époque entre amis. Libéré de son contrat par les Queens Park Rangers, Rio Ferdinand a donc rangé les crampons. Pour de bon. Devant quelques milliers d’amoureux, l’éternel Rio a éclaboussé la lucarne illuminée du salon par ses sentiments qui, pour une fois, avaient pris le dessus sur le chemin parcouru durant vingt ans de ballon rond. « Quand j’étais un gamin de 12 ans, tapant le ballon dans mon quartier, je n’avais jamais rêvé d’être un joueur de West Ham, capitaine de Leeds, de remporter la Ligue des champions avec Manchester United, ou de retrouver mon premier manager, Harry Redknapp, à QPR. » Les phrases s’entrechoquent, le grand Ferdinand tire sa révérence. On prend la télécommande et on rembobine.

« Alex, file et achète-le ! »

1997. Un appel sur le téléphone de Sir Alex Ferguson, dans les bureaux de Carrington, la base de vie du club de Manchester United. « Alex, j’ai un gamin en prêt de West Ham. File et achète-le ! » À l’autre bout du fil, Mel Machin, le manager de l’AFC Bournemouth, est stupéfait du talent qu’il a récupéré depuis quelques semaines en provenance de Londres. Un jeune esthète monté sur deux échasses qui évolue en défense. « Comment s’appelle-t-il ? – Rio Ferdinand. » Dans son autobiographie, Sir Alex Ferguson raconte l’épisode : « Je connaissais ce nom qui circulait beaucoup dans les sélections de jeunes en Angleterre. Mel était très proche d’Harry Redknapp, qui était à l’époque le coach de West Ham où Ferdinand avait été formé, donc j’étais sûr que son appréciation était fondée. On a été sur place l’observer de plus près et une fois de retour, Martin Edwards, l’un de nos scouts, a appelé le propriétaire de West Ham, Terry Brown. Sa réponse a été claire : « Donnez-nous un million de livres plus David Beckham. » En d’autres termes, il n’était pas à vendre. »

L’épisode est révélateur, et l’Angleterre sait déjà à ce moment précis qu’une bombe à retardement évolue sur les pelouses du Royaume. Le gamin se construit, apprend à maîtriser sa technique et un physique encombrant. Le 5 mai 1996, c’est déjà lui qu’on avait vu brasser l’air de fin de saison d’Upton Park à l’occasion de la réception de Sheffield Wednesday par West Ham (1-1). Rio Ferdinand avait alors effectué ses débuts aux côtés d’un autre rejeton du club, un certain Frank Lampard, fils de Frank Richard Lampard – également ancien joueur des Hammers – qui avait alors réussi l’exploit à l’époque de rapatrier Ferdinand à l’académie de West Ham. Un diamant à polir récupéré des Loups de Charlton, Chelsea, Milwall ou encore des Queens Park Rangers, déjà. Un travail d’orfèvre qui sera même nommé deux ans plus tard, à même époque, joueur de l’année du club à seulement 19 ans. Rio Ferdinand était né.

Partouze, bordel et art de l’esquive

West Ham sera aussi l’école de la vie, celle où on apprend à devenir un homme dans un milieu forcément privilégié. Lui, l’enfant de Peckham où ses copains d’enfance alternent entre la cabane et le chômage, vit. Tout simplement. Il vit à en perdre la raison. Il vit à filmer ses orgies chypriotes à l’été 2000 aux côtés de Lampard et de Kieron Dyer. Il vit à écumer les boîtes du centre de Londres où son mètre quatre-vingt-neuf deviendra rapidement une allure connue. Le jeune joueur plane en plein rêve, où la nuit devient au moins aussi intensive que l’entraînement du matin. « À West Ham, on fumait, on buvait, on pariait, on sortait sans arrêt. Dans le bus de l’équipe professionnelle, Julian Dicks et John Moncur s’asseyaient toujours à l’arrière avec leur stock de bières et ils nous ont initiés, Frank et moi, aux coutumes du « vrai footballeur ». Je passais au moins quatre nuits par semaine dehors, et je m’enfilais des bouteilles de Jack Daniel’s. J’étais complètement accroc. » Voilà ce que raconta Rio Ferdinand dans les colonnes du Sunday Times en 2006.

Certains coéquipiers de l’académie ne suivront plus ensuite. Rio, lui, « la Rolls-Royce des défenseurs » dixit Redknapp, s’envolera. À Leeds dans un premier temps, où il deviendra en 2000 le défenseur le plus cher du monde avec un transfert estimé à 18 millions de livres. Les premiers exploits, les premières critiques et la Coupe du monde 2002 avant de rejoindre son graal : Manchester United, et un père spirituel en la personne de Sir Alex Ferguson, celui « sans qui, (s)a vie n’aurait pas été la même » . Là aussi par un transfert fracassant, là aussi par un chèque record de 30 millions de livres, soit le footballeur anglais le plus cher de l’histoire du football. Un homme qui brassait déjà des millions grâce à des partenariats bien ficelés qui feront ensuite fructifier sa richesse personnelle.

L’homme se forge alors un nom, le football apprend toujours la leçon. Peut-être la plus retentissante des dix dernières années. Celle d’un 23 septembre 2003, au complexe de Carrington, qualifiée par Ferguson de « plaie jamais refermée » . Ce jour-là, Rio Ferdinand esquive un contrôle antidopage où son nom avait été tiré au sort. Les règles sont claires : huit mois de suspension, 50 000 livres d’amende et des adieux prématurés à l’Euro 2004 portugais. On ne reverra pas Rio du 20 janvier au 2 septembre 2004. Il reviendra lors d’un match contre Liverpool aux côtés de Mika Silvestre. Il sera décisif et Ferguson se laissera aller au seul écart d’égo de sa carrière : « Je souhaite m’excuser du traitement qui a été fait à Rio. Cette victoire est celle d’un homme sur la justice. »

La dernière parade

Rio, c’était donc ça. Un mélange de douce folie et une carrière de footballeur immense qui l’amena à soulever la Ligue des champions 2008 et six Premier League pour les yeux d’un seul homme. « Fergie » , celui qui lui donnera les clés pendant de nombreuses années, et qui lui offrira un doublon parfait en la personne de Vidić avec qui il forma durant trois années (2008-11) la meilleure paire centrale du monde. Douze ans où Old Trafford fut son jardin, son pré au sein duquel il marqua le but décisif du dernier titre de l’ère Ferguson en 2013, au milieu duquel il applaudira l’arbitre turc Cuneyt Cakir un soir de défaite contre le Real Madrid (1-2). C’est aussi là qu’il recevra son dernier hommage, il y a quelques semaines, bien que n’étant pas sur le terrain, pour saluer la mémoire de sa femme, Rebecca, décédée brutalement d’un cancer.

Sa dernière parade, Ferdinand l’aura faite sous le maillot des Queens Park Rangers où son frère, Anton, et son cousin, Les, ont déjà évolué. Une saison en demi-teinte sur le plan sportif, mais en forme de règlement de comptes. Pour montrer, d’abord, qu’il n’était pas mort, que son dos en carton pouvait encore le faire avancer. Pour ensuite prendre la revanche d’un frère dont la carrière est marquée par les dérives racistes à son encontre, notamment sorties de la bouche de John Terry. Après dix-neuf ans royaux, où la sélection restera comme une gueule de bois marquée par 81 apparitions sous le maillot des Three Lions et une absence de trophée, Rio a donc rangé son costume. Et peut ressortir le Jack.

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