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C’est pas moi, c’est le foot
La Coupe du monde approche, et il devient de plus en plus difficile pour les joueurs français de se réfugier derrière leur habituel silence. Du coup, ils s’essaient à un jeu - bien tardif - de dupes, avec le soutien d’une FFF qui continue de se tenir droite dans ses bottes. De son coté, la ministre des Sports, et donc l’État, sont plutôt soulagés que personne ne vienne leur réclamer des comptes... Pas de VAR pour la mauvaise foi politique.
C’est Raphaël Varane qui s’y est coltiné, en conférence de presse à Copenhague : « C’est un sujet sensible, grave, on entend, on sait ce qu’il se dit. Évidemment, en tant que joueur, on hérite d’une situation avec une décision prise il y a douze ans. On suit ce qu’il se passe. » Pas de prise de position, ni de dénonciation, encore moins de mots sur les drames et les problèmes. Et finalement l’ultime échappatoire du « on fait avec ». Cette réponse intervenait après l’interpellation d’Amnesty International qui avait annoncé son soutien à des Danois plus courageux ou du moins bavards. L’ONG s’étonne du silence persistant des Bleus : « Didier Deschamps, votre sélectionneur, que nous avions également contacté, avait pourtant annoncé ce même jour en conférence de presse que vous étiez libres de votre parole, et qu’il ne s’opposerait pas à des interpellations de joueurs envers le Qatar ou la fédération française.(…) Serait-ce par devoir de politesse envers votre futur hôte ? Pas la moindre intervention individuelle dans les médias ou demande collective évoquant la question des droits humains dans ce pays. Silence assourdissant de votre équipe face aux milliers de travailleurs migrants décédés sur les chantiers qataris, et aux milliers d’autres soumis au travail forcé. »
Après le mutisme des États et les dérobades de la FIFA, on comprend que l’organisation se tourne désormais vers la sélection nationale. Le tacle médiatique a presque fonctionné, puisque la FFF a enfin cessé de faire la sourde oreille, sûrement aussi sous la pression du contexte ou des sondages qui témoignent d’un certain doute dans l’opinion (et qui sait les répercussions sur l’audimat). La fédération a toutefois rappelé d’abord que « l’organisation de cette Coupe du monde a permis des avancées sociales au Qatar que même certaines ONG reconnaissent, y compris Amnesty International. Même si la réalité du terrain n’est pas parfaite, ces progrès sont indéniables et positifs. » Et elle a également promis de venir directement en aide aux travailleurs migrants. Des déclarations d’intention qui, pour l’instant, n’engagent que ceux qui y croient, comme l’ONG l’a précisé. « Elle (la FFF) a affirmé travailler avec les autres fédérations nationales pour la mise en place d’un fonds d’indemnisation pour les travailleurs migrants exploités au Qatar. Cette demande, nous la martelons depuis des mois. Nous veillerons à sa mise en œuvre effective. » Le concret et non quelques beaux gestes. De la sorte, le port d’un brassard multicolore (dont un arc-en-ciel camouflé au milieu) contre toutes les discriminations par le capitaine des Bleus (et d’autres capitaines d’équipes qualifiées), dans le cadre de la campagne One Love, ressemble un peu trop à une opération de com versus bonne conscience. Pour mémoire, les ONG demandent 440 millions de dollars pour les ouvriers et leur famille, pas des bouts de tissu un soir de match.
Amélie Oudéa-Castéra : « Les joueurs de l’équipe de France ne sont pas des hommes politiques »
Pendant ce temps, la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, a aussi apporté sa pierre à ce grand débat national. « Les joueurs de l’équipe de France ne sont pas des hommes politiques, ce ne sont pas des fonctionnaires du Quai d’Orsay, ils sont là pour jouer. Élever leur niveau de conscience, ça me semble souhaitable, mais sans leur en demander trop. » Ils sont malgré tout des citoyens qui ont légitimement le droit, comme tout le monde, de s’exprimer sur des sujets qui les concernent par ailleurs directement. Rien d’obligatoire, mais en démocratie, est-ce normal de laisser entendre que la diplomatie et les relations internationales de son pays doivent rester le domaine réservé d’une certaine élite, cloîtrée entre les murs des ambassades et les dorures des ministères ? Il faut néanmoins aussi noter une révélation en creux, implicite. En effet, la responsabilité première du dossier de la Coupe du monde au Qatar releva en effet du chef de l’État et du gouvernement. Et depuis Nicolas Sarkozy, la France s’est avérée un soutien, et une bénéficiaire (ses entreprises notamment), de ce Mondial. Notre classe dirigeante n’a pas particulièrement brillé par son sens de l’éthique à cette occasion. En retour, peut-elle arrêter de demander aux Bleus d’être des modèles d’exemplarité républicaine ?
Par Nicolas Kssis-Martov