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Buts de légende (4e) – Loko et Coco sont dans un bateau

Par Thomas Pitrel
Buts de légende (4e) – Loko et Coco sont dans un bateau

En direct, Charles Bietry s'interroge. « Arf, le plus beau but de la saison, je ne sais pas encore. » Et effectivement, le fameux Top Buts de Téléfoot ne le classera pas comme tel au printemps suivant, peut-être parce qu'inscrit trop tôt. Le chef-d'œuvre signé par Loko contre le PSG le 19 août 1994 n'est pourtant rien de moins que la preuve de la supériorité du jeu à la nantaise de l'époque Coco Suaudeau sur celui du Barça actuel. Pas crédible ? Serge Le Dizet : « Pourquoi faire dix passes quand on peut arriver au but en deux ? » Suffisant pour finir à la 4e place de notre classement.

Patrice Loko : Nantes-PSG (Division 1, 19 août 1994)

Si les meilleurs films et les meilleurs albums sont ceux que l’on peut se repasser à l’infini tout en y découvrant toujours de nouveaux détails, alors il n’y a aucune raison valable pour qu’il n’en soit pas de même pour les meilleurs buts. Un peu plus de dix-huit ans après cette soirée d’été sur les bords de l’Erdre, même les moins de vingt ans se souviennent de celui inscrit par Patrice Loko contre le Paris Saint-Germain lors de la cinquième journée de Division 1 94/95. Si l’on se balade à Nantes et que l’on interroge un peu les nostalgiques de cette époque bénie, on finira même par croire que la Beaujoire accueillait ce jour-là une ou deux centaines de milliers de personnes, puisque tous y étaient. Pourtant, il faut avoir regardé inlassablement l’action sur toutes les VHS, sur toutes les plateformes de vidéos en ligne, dans toutes les versions possibles et imaginables pour commencer à en effleurer les subtilités.
Contrairement à ce que raconte Pascal Praud dans le résumé tiré de la rétrospective du titre nantais, ce 19 août 1994 n’était pas une chaude journée ensoleillée. Il avait même plu pas mal dans l’après-midi. Et sur son banc, image devenue vintage sans que l’on s’en rende compte, Luis Fernandez grillait clope sur clope. Mais le plus beau, c’est peut-être ce type, au milieu de la tribune latérale faisant face aux caméras de Canal +, qui, une ou deux secondes avant la reprise de volée décisive, bondit tout seul de son strapontin et lève les bras dans le ciel. Peut-être était-ce du bluff. Peut-être aussi savait-il qu’il était en train de voir un but mythique concluant une action légendaire. Une action qu’on n’a presque plus envie de décrire puisque tout le monde s’en souvient. Tout le monde ? Non, Patrick Colleter, pourtant latéral gauche du PSG pour ce match, préfère ne plus trop y penser. « Ça part d’une touche, non ? C’était quelle année déjà ? Ah, c’est pas l’année où on est champions alors ? C’est eux qui sont champions cette année-là, vous me dîtes ? » Rafraichissons-lui donc la mémoire, puisqu’il le faut.

« C’était tout sauf le hasard »

Au départ, il y a un corner obtenu par Ginola sur son aile gauche, puis tiré par Valdo. Et 20 secondes plus tard, très précisément, le ballon est dans les filets de Bernard Lama. Entre les deux, David Marraud a dégagé des poings pour Christian Karembeu. « Christian fait un dégagement un peu à la desperado, se marre Serge Le Dizet aujourd’hui.Reynald Pedros est venu à droite et il obtient une touche. Je suis latéral droit sur ce match, donc c’est moi qui devrais la faire, sauf qu’on n’a pas pu remonter aussi vite que le ballon, donc c’est Benoît Cauet qui s’en charge. » La suite, c’est le buteur qui va la raconter. « Là, je contrôle de la poitrine et j’ai très bien vu que Reynald est derrière moi, alors je lui fais la passe en retourné, égrène Patrice Loko.Lui, pareil, il sait que je vais lui demander, mais il faut quand même qu’il me mette la balle exactement au bon endroit et au bon moment. C’est ce qu’il fait. On pourrait se dire que je vais contrôler, mais le ballon est juste là où il faut, alors avant qu’il ne touche le sol, je le reprends de volée et il va se figer dans la lucarne de Bernard Lama. » La lucarne est la seule petite exagération, à part ça tout y est. Un bijou. Un bijou dont Loko n’a pas immédiatement été capable d’apprécier la valeur. « Sur le moment, je ne m’en suis pas trop rendu compte, j’étais surtout content d’ouvrir le score. C’est quand on est rentré au vestiaire à la fin du match, tout le monde était content de ma prestation et du but que j’avais marqué. En le revoyant en image, je me suis effectivement rendu compte qu’il était très joli. » Une réaction dont l’explication est assez simple : au sein de l’équipe, personne n’est surpris d’un tel enchaînement. « Pour beaucoup de gens, ça ressemblait peut-être à un coup de bol. Mais pour ceux qui s’entraînaient avec Jean-Claude Suaudeau au quotidien, c’était tout sauf le hasard » , assure Le Dizet. C’est un autre détail qu’on ne remarque qu’après avoir visionné l’action un bon million de fois. Ce ballon qui ne veut plus retomber, ces passes aveugles, Pedros qui semble lui aussi rester en l’air en attendant le bon tempo pour la remettre. Si vous regardez bien, vous distinguerez les ficelles tirées par Coco Suaudeau depuis son petit nuage. Avec sa dégaine de Gepetto, le maestro avait clairement réussi à transformer le pantin en vrai petit garçon. « C’était un artiste devant une toile » , confirme Le Dizet.

Jeu à la Mozart

Un artiste qui mélangeait ses couleurs à la Jonelière, le centre d’entraînement des Canaris, et plus particulièrement dans un petit laboratoire installé en contrebas et que l’on appelle « la fosse » . « C’est un tout petit terrain de 20 mètres environ, de la longueur d’une surface de réparation, où on jouait beaucoup à une touche de balle, et beaucoup en l’air, explique Loko.On faisait des jeux où il ne fallait jamais que le ballon touche terre. Un peu comme un tennis ballon mais sans rebond, de la tête, du pied. On faisait ça régulièrement, donc on s’en servait souvent en match, dans ce genre de positions. Ce jour-là, ça a plutôt bien marché. » Au-delà de « bien marcher » , ce but est surtout un résumé express de ce qu’était le jeu à la nantaise cette saison-ci. Un jeu à une touche de balle, certes, mais pas seulement. Les mots-clés : vitesse, création d’espace, anticipation. Alors que l’on compare souvent le style nantais du moment à celui actuel du Barça, cette action prouve le contraire. Il n’était en effet pas question de possession de balle à 80% ni de passe à dix interminable au milieu de terrain, dans ces mid-90’s glorieuses. Une fois le ballon récupéré, le défi consistait à le remonter le plus vite possible, en profitant des quelques secondes lors desquelles l’adversaire n’était pas encore replacé pour exploiter la rapidité de Karembeu, N’Doram, Pedros et consorts. Et surtout, il fallait être capable de jouer avec un bandeau sur les yeux, à la Mozart. « Suaudeau nous disait toujours :« On ne vient pas à l’entraînement pour taper dans un ballon, on vient pour mieux connaître ses partenaires », cite Serge Le Dizet, actuel coach-adjoint du SCO d’Angers. Tout était basé là-dessus. On savait que Loko, quand il partait à droite, c’est parce qu’il voulait le ballon à gauche. C’était travaillé à l’entraînement. L’idée était d’avoir toujours un temps d’avance dans la réflexion pour avoir un temps d’avance dans la réalisation. » Ce vendredi 19 août 1994, vers 20h20, Nantes était arrivé dans un autre espace-temps.

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