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Sourd, aveugle et fan du Brésil
Grâce à ses accompagnateurs, Carlos ne manque jamais une miette des matches du Brésil et suit les exploits de Neymar avec une ferveur intacte. Sourd, devenu aveugle, Carlos est un supporter comme aucun autre. Un fan au-delà des handicaps.
Ils sont trois, concentrés, installés autour d’une maquette représentant un terrain de football, comme devant une partie de Subbuteo. Mais deux d’entre eux ne regardent pas cette représentation de pré vert, Hélio et Régiane. Eux sont concentrés sur les images télévisées. Le troisième larron s’appelle Carlos. Il a la tête légèrement penchée, les mains tendus sur la maquette. Soudain, à l’écran, Alexis Sanchez est servi dans la surface et égalise pour le Chili. Carlos a compris exactement ce qu’il vient de se passer pour le Brésil, entre touche mollassonne de Marcelo, remise foireuse et sang-froid adverse. Il peut râler de prendre un but aussi bête. Sans rien voir, ni entendre, Carlos a tout compris. Ses accompagnateurs lui font les signes nécessaires à la compréhension de la vérité du terrain. Aveugle et sourd, Carlos regarde ainsi tous les matches du Brésil pendant cette Coupe du monde 2014, comme n’importe quel autre de ses compatriotes.
World cup 94, tapes dans le dos et Ronaldo
« De savoir qu’il suit les matchs de foot à la télévision alors qu’il est sourd et aveugle, ça paraît incroyable. »Alan Durand l’a rencontré à l’occasion du tournage d’un documentaire sur la Coupe du monde au Brésil. Il raconte l’expérience paranormale du huitième de finale du Mondial 2014. Pendant 90 minutes, et finalement plus de 120, Carlos et ses deux accompagnateurs utilisent une sorte de dérivée de la technique des alphabets pour sourds et aveugles, en l’adaptant au contexte du football. Il faut donc être deux. Hélio s’occupe de faire joueurs et ballon, sur la maquette, pour expliquer la progression sur le terrain. Régiane complète par des messages à coup de pressions dans le dos. Grâce à cela, « ils transmettent des informations, un peu comme un commentateur télé ou radio. Sauf que là, c’est pour une seule personne », résume Alan. Ainsi, sans rien voir ni entendre, Carlos sait avec précision ce qui se déroule dans l’instant. « Ceci dit, il faut savoir qu’il n’est pas né aveugle mais l’est devenu à l’adolescence. Petit, il avait eu le temps de tomber amoureux du football. »
Ce sont donc aussi ses souvenirs qui lui permettent de revivre les matches. « Dans le film que je tournais, j’étais un peu obsédé par le fait que les fans se retrouvent à vénérer des joueurs qu’ils ne verront peut-être jamais autrement qu’à la télé. Et lui, Carlos, il produisait autre chose : un imaginaire qui lui est propre. » Plus précisément, Carlos revit sans cesse une adaptation de la Coupe du monde 1994 aux États-Unis. Seuls les joueurs changent, ce qui nécessite de petits ajustements pratiques. « Pour « signer » Ronaldo – le vrai –, ils miment sa coupe de cheveux ridicule de 2002. » Carlos vit alors les matches comme un supporter. Il grommelle quand ça tourne mal. Il explose de joie lors des buts. Les émotions ne changent pas d’un iota. L’ayant vécu de l’intérieur en 2014, Alan Durand rappelle que « dans le fond, il y a beaucoup de mecs dans le monde aussi passionnés que lui. Des dingues de foot, au Brésil, il y en a un paquet. »Avec cette différence si particulière qu’il a besoin de Régiane et Hélio pour surmonter les aléas de la vie. Même si, un soir de victoire ou de défaite, Carlos est comme les autres : un homme triste ou heureux selon le résultat, qui attend avec une hâte certaine le prochain match. Et les prochains buts signés dans son dos.
Par Côme Tessier