- Culture Foot
- Littérature
Le Livre de la Semaine
Simon Kuper & Stefan Szymanski – « Les attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus » – traduction de Bastien Drut (Ed. De Boeck)
Ce livre possède une immense vertu pédagogique – pas d’effroi, sa lecture fort agréable s’avère très éloignée des canons universitaires – qui rend sa consultation assez indispensable avant la reprise de la L1 ou de la Champions League. Il rappelle, preuve à l’appui, que le foot reste, malgré les milliards d’euros qui s’y déversent et les puissantes logiques financières qui le traversent, une illustration extrême et permanente des contradictions du capitalisme, ou comment toute la belle rhétorique libérale sur la rationalité individuelle des acteurs ne résiste pas deux pages à l’examen précis de la gestion d’un effectif en Liga ou Série A.
Car derrière l’influence, et plutôt son absence de poids, de la science des statistiques sur le foot pro, c’est bien le fonctionnement atypique de l’économie de ce sport qui se trouve mise en lumière (au passage signalons que nous devons la traduction de la seconde édition à Bastien Drut, auteur du remarquable « Economie du football professionnel » dans la collectionRepère de La découverte). Bref, au-delà de ce paradoxe chiffré que les joueurs qui coûtent le plus ne représentent pas, en moyenne, ceux qui le mérite véritablement par leur prestations sur le terrain, il s’agit de décortiquer l’impossible mise en équation des croyances auto-réalisatrices (sur les corners rentrants ou non, les compétences des « noirs » sur le banc, sur le statut de « star » , etc…) de cette culture populaire et les nécessités impitoyables d’un business sans pareil.
Les deux auteurs racontent simplement, avec érudition et nombreux exemples, aussi bien historiques que tirés de l’actualité (ce qui procure à cette somme une belle vocation de cours de rattrape accéléré en matière d’encyclopédisme du ballon rond), à quelle point la maîtrises des données , et la présentation de leur évidence brute, ne suffit jamais pour convaincre et bouger des institutions aussi hiératiques que des clubs pros ou même simplement les convictions « éternels » d’un entraineur. Et que même dans le cas contraire (par exemple Arsène Wenger), le résultat ou l’amélioration escomptée dans la performance et la productivité seront toujours compromis par les petits arrangements inévitables avec les contraintes du « contexte » et de « l’environnement » .
De fait, en marge d’explications plus classiques sur les préjugés racistes ou encore les raisons de l’écrasante domination des grandes villes dans les championnats européens, le propos développé par Simon Kuper et Stefan Szymanski semble étrangement confirmer ce que l’épistémologue libertaire Paul Karl Feyerabend avait toujours défendu (notamment dans son essai « Contre la méthode : esquisse d’une théorie anarchiste de la science » ), à savoir qu’ il faut parfois persister dans l’erreur, en dépit ce que vous pouvez observer réellement, pour au final s’approcher de la vérité. Après avoir fini ce livre, complété d’une utile relecture estivale de l’ « Exégèse des lieux communs » de Léon Bloy et de « L’art d’avoir toujours raison » d’Arthur Schopenhauer, vous n’écouterez plus jamais les commentaires de Canal ou beIN, et les interminables gloses des palettes, de la même façon.
Nicolas Kssis-Martov