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« Ferme ta gueule, passe la balle »
Qui dit nouvelle saison, dit nouveau casse-tête pour les clubs amateurs français. Mais à Joué-lès-Tours, le Spartak de la Liodière ne se formalise pas. Bien que non-inscrite à aucune fédération de football en France, cette association voit ses adhérents se réunir chaque semaine pour taper dans la balle. Dans la bonne humeur, uniquement. Une histoire qui dure depuis presque quinze ans.
Dans le n°18 de la 139e année du Journal Officiel de la République Française daté du 5 mai 2007, coincées entre des déclarations de création d’associations de parents d’élèves ou de jardiniers fans d’arbustes, cinq petites lignes. « Spartak de la Liodière. Culture et développement du sport en général et du foot en particulier. Siège social : ferme de la Liodière, route de Monts, 37300 Joué-lès-Tours » . Oui, vous avez bien lu ferme. Maxime Marais, l’un des joueurs du Spartak, justifie : « Elle appartient à Jacky Carpy, le patron d’une quinzaine de salons de coiffure et membre du Spartak. Il nous a accueilli dans sa ferme, qui a été réhabilitée et abrite un salon de coiffure. Et il y a aussi une grange, où l’on peut se réunir. » Tout près, un ersatz de pelouse : pas un synthétique dernière génération, seulement un pré pentu et boueux, quelques rubalises destinées à fixer les limites, et des buts artisanaux, ou plutôt des cages de handball rafistolées et reconverties. Un cadre forcément rudimentaire donc, mais pas besoin de beaucoup plus pour un Spartak qui tient plus de l’association que du club, et ce, pour une raison très simple, livrée par Maxime Marais : « Nous ne jouons qu’entre nous, pour le plaisir de toucher le ballon. »
Des manouches aux croqueurs de ballon
À l’origine de l’aventure, une révélation entre potes, survenue il y a plus de dix ans, aux alentours de 2007. « Les fondateurs bossaient ensemble dans une boîte de communication et ils ont voulu jouer au foot, rembobine Maxime Marais. Ils se sont retrouvés sur le terrain de la ferme, qu’ils ont appelé le Camp Nouche, parce qu’il était envahi par des manouches. » A mesure que le projet se structure, le Spartak investit bientôt un stade municipal situé à 500 mètres du pré initial, sur la zone de la Liodière, en accord avec la mairie de Joué-les-Tours. « On l’a appelé Wembley, parce que les conditions étaient meilleures. » Loin d’être un billard pourtant, le nouveau terrain du Spartak reste suffisant pour réunir ses adhérents. « Nous sommes juste une bande de copains qui se retrouve tous les mercredi soir, continue Maxime Marais. Chaque semaine, au lieu d’aller faire un five, nous nous réunissons pour faire des sept contre sept ou des onze contre onze. » Le tout, avec une seule règle d’or : ne pas trop tacler et faire circuler le ballon. « La devise du Spartak, c’est « Ferme ta gueule, passe la balle« . On n’aime pas trop les croqueurs qui vont faire tout le terrain tout seul : l’idée, c’est de créer un truc collectif. »
Crédit : 37 Degrés Mag
Aujourd’hui, le Spartak réunit environ une grosse quarantaine de membres : les plus âgés ne jouent plus forcément autant qu’avant – certains ne participent par exemple qu’au repas annuel du club – mais la jeune génération a remis de l’entrain. La Liodière ne se fixe en tout cas qu’une seule ligne directrice : la diversité des profils. Socialement avant tout, puisque le Spartak accueille tout le monde, « des ingénieurs, des banquiers, des artistes, des maraichers, des intermittents du spectacle » , dont l’âge oscille entre 21 et 57 ans. Mécaniquement, le niveau des participants peut aussi varier, de personnes qui n’ont jamais joué au football à un ancien joueur de D3 espagnol, Pedro Moreno, qui évolue également en régional au sein de la réserve de Tours. « Il n’y a pas de cooptation, il suffit de connaître le club, explique Maxime Marais. C’est du bouche à oreille : par exemple, lorsque Pedro Moreno a débarqué à Tours, il ne savait pas où jouer au foot. Il a mis un message sur le groupe Facebook des Espagnols à Tours, et on lui a dit de rejoindre la Team Spartak. »
Une ode au football d’antan
La Team Spartak donc, tire son nom d’un football qui sent bon les années 70, « l’époque Rocheteau et compagnie, la période préférée des fondateurs » . Et puis, peut-être aussi, d’un goût pour l’Europe de l’Est, là où sont nées des idées politiques qui irriguent encore La Liodière, à tel point qu’elle arbore sur son blason une étoile rouge. « Pour le côté rétro avant tout » , se lance Maxime Marais. Quant au logo, encore lui, il apporte une autre indication de ce qui fait le sel de l’association : un verre de vin, pour symboliser ce qui est peut-être la mi-temps préférée du Spartak : la troisième. « Il n’y a pas de troisième mi-temps type, ça peut varier. Parfois, certains peuvent perdre leur permis, s’amuse Maxime Marais. Mais lors de notre journée annuelle, organisée dans la ferme où tout a commencé, on commence par des huîtres, de la terrine, des produits du terroir, et la commission restauration prépare un bon plat. On passe tous un bon dimanche, qui peut commencer à dix heures et finir à dix heures. » En prime, une partie de foot sans courir, ou de foot-boules, « un très beau sport qui consiste à jouer à la pétanque avec des ballons de foot » . Sur un terrain en pente, bien sûr.
Les réunions plénières sont aussi l’occasion d’attribuer un trophée honorifique fait main au joueur qui aura gagné le plus de matchs sur la saison. « Cette année, un membre a fabriqué un truc avec toutes les chaussures qui traînaient au club-house. Il les a laqués en dorée pour faire un trophée. » Peut-être un signe que l’association a grandi et s’est éloignée, du moins en partie, de l’anarchie initiale. « Nous avons quand même un dirigeant et différentes commissions, textile ou communication, qui réalisent chaque année un état des lieux. » Peut-être pas un hasard non plus si le Spartak s’est éloigné de sa ferme agricole. « Suite au COVID, on s’est exporté en périphérie de Tours. On joue sur le terrain initial plus qu’une fois par an, lors de la plénière. » Par ailleurs, les Spartakistes ont fait une entorse à leur envie de ne jouer qu’entre eux : depuis quelques années, ils se sont ouverts à la concurrence et sont invités à un tournoi de vétérans de Fouras, à quelques encablures du Fort Boyard, où Jacky Carpy possède une maison et connaît pas mal de monde. Pas de quoi revenir sur les valeurs du Spartak. Car oui, même lors du tournoi, les Spartakistes en profitent pour visiter le marché aux huîtres et se livrer à un bon repas, après les rencontres. « C’est un sacré folklore » , conclut Maxime Marais. Et qu’on se le dise, il n’est pas près de s’arrêter.
Crédits : 37 Degrés Mag
Par Aurélien Bayard et Paul Citron, avec Valentin Lutz
Merci à 37 Degrés Mag pour les photos