- Disparition de Diego Maradona
Alain Giresse : « Maradona, j’ai toujours son maillot de Barcelone à la maison »
« Diego Maradona, c’est le joueur immense, le joueur qui donne de l’émotion, le joueur qui fait rêver. J’entends souvent dans les divers débats que des joueurs « ont trop respecté » ou « n’ont pas été assez déterminés » pour contrarier tel grand joueur. Mais les génies comme Maradona, dans un jour où il est au meilleur de sa forme, vous n’avez pas la possibilité de l’arrêter d’une façon régulière. C’est-à-dire que vous ne pouvez pas l’arrêter sans prendre le risque de lui faire mal.
Quand le FC Barcelone est venu jouer à Bordeaux en 1983, le journal Sud Ouest n’a pas titré « Barcelone à Bordeaux », il a titré : « Maradona à Bordeaux ». Cette première rencontre avec Maradona, j’en garde un souvenir précis. Comme je suis d’origine espagnole du côté de ma mère, j’ai quelques mots d’espagnol. Alors, avant le match, je lui ai dit : « Por favor, Diego, después del partido, cambiamos de camiseta ? – Si ! Si ! – Gracias Diego. » Il y a cette photo… C’est difficile de faire parler une photo, mais vous voyez, il a vraiment pris la pose. On a prolongé cet échange à la fin du match en échangeant les maillots. J’ai toujours son maillot de Barcelone à la maison – il est accroché dans une pièce à souvenirs. Nous avons gagné 2-0, et j’ai marqué le premier but. Un but improbable parce que Patrick Battiston jouait ce jour-là à gauche, et qu’il fait un centre remarquable du gauche que je reprends de la tête.
Qu’est-ce que ça fait de jouer sur le même terrain que Diego ? Là, vous vous rendez compte : il fait les choses avec une telle facilité… Il a cette accélération, cette vivacité avec son centre de gravité très bas, mais surtout un pied gauche. Sur les vidéos de ses échauffements, vous avez vu comment le ballon lui arrive sur le pied ? Mais on dirait que le pied est un aimant et que le ballon est en métal ! Le ballon ne tremble pas. Et lui non plus ne tremble pas. Je l’ai même vu faire la même chose avec une balle de tennis. Une balle de tennis ! (Il insiste.) C’est incroyable ! Vous lui envoyez une orange, lui, il jongle avec. Quand il court avec le ballon, il n’est pas freiné. C’est une technique… (Il marque une pause) qui ne s’apprend pas. Cela s’améliore, mais la base, c’est un don du ciel. Et ça lui donne une telle virtuosité…
Quand il venait jouer avec le Barça à Saint-Sébastien contre la Real Sociedad, depuis Bordeaux, on prenait les voitures pour aller le voir jouer avec quelques joueurs des Girondins. C’était dans l’ancien stade de Saint-Sébastien. Il y avait un engagement à l’époque que l’on ne pourrait pas retrouver aujourd’hui, parce que sinon, les matchs ne se finiraient pas… Maradona, il prenait des coups, mais je peux vous dire qu’il ne s’échappait pas ! Il était d’un courage incroyable. Je l’ai croisé de nouveau au jubilé de Michel Platini – l’équipe de France 1986 contre le reste du monde. Il est venu tout à fait décontracté, à sa façon, en ne prenant pas l’avion spécial qui nous amenait tous à Nancy. Il est arrivé plus tard, il n’avait pas de chaussures pour jouer. (Rires.) Il avait dit à Michel : « J’irai faire un petit jonglage avant le match, je ne jouerai pas… » Voilà, Diego, un garçon fantasque, qui ne prenait pas toujours conscience des réalités… Finalement, c’est Jean-Pierre Papin qui lui a prêté des chaussures – moi, mes chaussures étaient trop petites pour lui, je fais du 38 et il doit faire du 39 et demi.
J’ai une anecdote concernant son but de la main au Mondial 1986. En étant sélectionneur de la Tunisie (en 2018-2019), j’ai croisé Monsieur Bennaceur. Bien sûr, on me l’a présenté comme l’arbitre du match Argentine-Angleterre. On a échangé très gentiment, et puis, je lui ai demandé : « Alors, est-ce que vous lui en voulez ? » Il m’a répondu : « Non, c’était Maradona. » »
Par Florian Lefèvre