Boycott du Qatar : l’heure de la deuxième vague

La Coupe du monde au Qatar n’est désormais plus qu’une question de semaines. Malgré une once de révolte initiée par la Norvège, mais rapidement contrecarrée par la FFF, plus rien ne peut stopper la FIFA et le Qatar dans leur collaboration, pas même les ONG les plus réticentes à cet évènement planétaire. En revanche, celles-ci peuvent encore informer la plèbe du fait que l’évènement soit encore allègrement contesté. À ce sujet, Amnesty International a publié jeudi dernier un sondage dans lequel 48 % des Français considèrent comme « improbable » le fait de regarder au moins un match de la Coupe du monde de football 2022 prévue au Qatar. Une indignation populaire représentée par quelques figures du football comme Éric Cantona, prêt à zapper la compétition sans éteindre sa télé pour autant. « Dans la vie, il y a des choses bien plus importantes que le foot, expliquait le King par écrit la semaine dernière. À la place, je me referai tous les épisodes de Columbo, ça fait longtemps que je ne les ai pas vus. »

Aberration écologique, cimetières et paradoxe du PSG

Sans forcément passer par le faciès du regretté Peter Falk, d’autres consommateurs de football en temps normal comptent passer par le boycott. Fondateur des Irrésistibles Français, Fabien Bonnel fait partie de cette catégorie. « C’est ma décision personnelle, explique l’homme de 38 ans. Ce n’est donc pas représentatif de l’association, même si nous sommes plusieurs à boycotter ce Mondial. Nous avons laissé à chacun des membres la possibilité d’y aller ou non via une assemblée générale. Certains des membres y vont et feront toute la compétition. » Comme un symbole, la question divise même au sein du principal groupe de supporters des Bleus. « Avec le climat sur place, je me doutais bien que ce serait compliqué d’aller dans les stades dans des conditions classiques, poursuit Fabien. Dès lors, la problématique des stades climatisés a pesé dans le fait que je cautionne de moins en moins cette organisation. Le basculement définitif, c’était la publication du nombre de morts chez les ouvriers et les conditions extrêmes de travail des salariés étrangers. Tout cela a fait bouger les choses chez les supporters à l’échelle internationale pour condamner cette Coupe du monde au Qatar. »

De toute évidence, ces révélations ne suffiront pas pour vider les stades construits dans le désert, les Argentins en sont la meilleure preuve. Mais cela n’empêche pas de s’en indigner. « En fait, il y a tous les défauts des précédents Mondiaux en bien pire, estime Franck*, 36 ans et chargé d’affaires. Ils ont même réussi à en créer de nouveaux avec une attitude en mode « on a du fric et on vous emmerde. » Tous les grands évènements sportifs ont eu leur part sombre, mais c’est justement ce qu’on appelle une face cachée. Là, tout se fait au grand jour sans que cela ne semble poser de problème à personne ! Je ferai un boycott total, je ne veux aucun objet qui puisse me rappeler ce Mondial qui salit mon sport de cœur. » Avec au moins 6500 morts sur ses chantiers du Mondial depuis 2010 selon le rapport d’Amnesty International, le Qatar marche à visage découvert. « Je suis choqué par les conditions de réalisation des stades, résume à son tour Maurice*, responsable commercial. D’habitude, je suis tout excité à l’idée d’aller acheter l’album Panini pour collectionner les cartes. Cette fois-ci, je ne l’achèterai pas pour la première fois. Je ne regarderai pas les matchs, donc je ferai aussi une croix sur les bars pendant un mois, et je n’achèterai pas le maillot de l’équipe de France. »

Chez Fabien, pourtant habitué des déplacements pour soutenir les Bleus, le raisonnement est similaire. « Je ne pouvais pas innocemment faire la fête sur des cimetières, là où des personnes ont laissé la vie pour poser les pierres sur lesquelles j’allais sauter pour supporter mon équipe, image-t-il. En tant que supporter qui participe activement à ces compétitions en temps normal, ne pas aller voir cet évènement est déjà une action. Cela dit, je me suis aussi dit : « Si je n’y vais pas, est-ce que regarder l’évènement à la TV n’est pas aussi une acceptation de l’évènement ? » Aujourd’hui, les droits TV sont sans doute plus forts que la présence d’un supporter dans un stade, car cela draine encore plus d’argent grâce à l’audience et la visibilité des sponsors. La TV, c’est tout ce qui fait la machinerie du football business. J’ai donc décidé de ne pas regarder la Coupe du monde, car les droits humains et les droits environnementaux sont plus forts que ma passion pour le football. »

Soit, mais dans ce cas, ne fallait-il pas également boycotter les matchs du PSG depuis l’arrivée de QSI ? « Je ne regarde plus leurs matchs, affirme Maurice, 38 ans. J’aimais bien le Paris Saint-Germain de Weah, Ginola, Valdo. Mais là, ce n’est plus le PSG. Pour faire une synthèse, j’ai un désamour grandissant pour ce football. Je regarde l’OM par passion, mais les valeurs transmises me plaisent de moins en moins. Le Qatar, c’est le paroxysme. Argent, bling-bling, démesure, ça suffit ! » Pour Franck, la réponse est plus sarcastique. « Quand je regarde les matchs du PSG, c’est uniquement pour le plaisir de les voir perdre. Je ne les regarde qu’à partir des phases finales de la Ligue des champions, ça me procure de belles tranches de marrade chaque année, merci à eux ! »

« Si la France gagne, je n’achèterai plus jamais leur maillot »

Favorable à l’idée de l’organisation d’une Coupe du monde au Qatar, la France est finalement prise à son propre piège, et les comportements les plus hypocrites apparaissent au grand jour au cours des dernières saisons. « Quand Idrissa Gueye a refusé de porter le maillot aux couleurs LGBT (le 14 mai dernier, NDLR), les dirigeants et ministres en mal de popularité se sont indignés, jouant les grands chevaliers blancs en s’imposant comme des parangons de la vertu et défenseurs des droits de l’homme, se souvient Franck. Mais quand deux semaines plus tard, les organisateurs du Mondial ont dit que les drapeaux LGBT seraient interdits dans les stades, silence radio total ! De chevalier, ils sont devenus des Jacquouille la Fripouille. C’était « Oui messire, bien sûr, messire ! », alors que c’était justement l’occasion de faire un coup. La FFF aurait pu faire les maillots aux couleurs LGBT, là j’aurais été fier et j’aurais regardé les matchs de la France avec le sourire aux lèvres. »

Reste maintenant à savoir si les promesses seront suivies d’actes, et surtout si un parcours homérique de la France jusqu’en finale du Mondial incitera Fabien, Maurice et Franck à du rétropédalage. « Je reste dans l’esprit de ne pas regarder un seul match de cette compétition, confie le premier cité. Je souhaite le meilleur à l’équipe de France, qu’elle soit championne du monde une troisième fois et qu’elle me mette en vraie difficulté s’ils vont en finale. À ce moment-là, je verrai où se situe ma morale. » La tentation du combo bières-cacahuètes-raclette devant un match historique pour les Bleus avec Olivier Giroud et Karim Benzema alignés en attaque, impossible d’y résister ? « Ce sera dur, mais je ne regarderai pas la France en finale, appuie Maurice. De toute manière, je n’aime pas cette équipe. » Plus l’échéance va approcher, plus la pression des amis se fera sentir et la ténacité de chaque opposant au Mondial qatari sera sans aucun doute mise à rude épreuve.

« Pour le moment, je dis fièrement autour de moi que je ne regarderai pas, avoue Franck. Mais comme à chaque gueule de bois, je me dis « plus jamais ça ! », puis arrive le samedi soir suivant… En tout cas, je suis certain d’une chose : si la France gagne, je n’achèterai plus jamais leur maillot. Je ne pourrais pas porter cette troisième étoile qui sera probablement brodée par les veuves des « ouvriers ». » Qu’importe les championnats nationaux ou la prestigieuse Ligue des champions, le Mondial aura lieu pour la première fois de l’histoire en plein hiver européen. « Vendredi soir, j’étais au Stade de France pour voir jouer les Bleus contre l’Autriche, conclut Fabien. Les discussions autour du Mondial au Qatar sont arrivées sur la table, certains m’ont demandé pourquoi je prenais cette position… Personnellement, je ne pousse pas les gens à ne pas y aller ou à ne pas regarder, mais je les incite juste à réfléchir sur leurs sentiments par rapport à tout ça. Regarder, c’est probablement cautionner. Jusqu’où décide-t-on de ne pas condamner ces agissements ? »