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Boycott du Mondial au Qatar 2022 : entre divisions et diversions
En annonçant son intention de ne pas couvrir la Coupe du monde au Qatar, Le Quotidien de la Réunion a relancé le débat sur la façon de se positionner concrètement sur ce sujet. Et puisque le terme de boycott est abondamment utilisé pour qualifier des attitudes fort diverses, donc suscitant tous les amalgames, autant préciser un peu le sens et la portée du terme dans le contexte particulier du football.
Le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani est finalement sorti du bois. Il ne s’inquiète pas véritablement pour son Mondial, car il sait pertinemment que tout le monde s’alignera sur la pelouse et dans les tribunes officielles. Mais l’un des enjeux pour l’Émirat se pose surtout en matière d’image, principalement en Occident, notamment afin d’attirer désormais, autant que Dubaï, le touriste ou l’influenceur. Or le trouble qui a gagné les opinions publiques, du moins sur le Vieux Continent, ou qui questionne la position des médias comme dernièrement Le Quotidien de la Réunion, menace un si beau plan de communication. Dans les colonnes du Point, un titre qui pourtant ne manque jamais l’occasion de faire sa Une sur le péril de l’islam et de l’islamisme, il a pu expliquer qu’« aujourd’hui encore, certains n’acceptent toujours pas qu’un pays arabe musulman accueille une Coupe du monde ». Un argument massue pour déconsidérer ceux qui se montreraient trop critiques et qu’on risque souvent d’entendre dans les deux prochains mois.
Une affaire d’États
Le boycott n’a pourtant jamais été une perspective crédible et ressemble presque parfois à une diversion pour éviter d’aborder frontalement les problèmes de fond sur les plateaux télé. Tout d’abord parce qu’il s’agit, pour ce qui concerne les grands événements sportifs internationaux qui sont un des espaces d’expression de la diplomatie, d’une affaire d’État et des États. Les deux exemples historiques les plus connus et éclairants demeurent ceux des JO de Moscou en 1980 puis du boomerang soviétique en 1984 à Los Angeles (sans oublier en 1976 celui de certains pays africains à Montréal en 1976). Or, pour le moment, personne ne va manquer à l’appel parmi les pays qualifiés. Ainsi en France, la seule évocation du boycott se heurte au plafond de verre des « intérêts supérieurs » de notre balance commerciale. Noël Le Graët, président de la FFF, ne s’en est même pas caché, par exemple auprès de l’AFP en expliquant que « les rapports entre notre gouvernement et le gouvernement qatari sont très chaleureux ». Cela dit même la Norvège, finalement non qualifiée, dont la sélection porta un T-shirt en faveur des droits de l’homme lors de son match à Gibraltar et dont la présidente de la fédération a pris courageusement la parole lors du congrès de la FIFA à Doha, avait rejeté la possibilité d’un boycott lors d’un congrès extraordinaire, 368 délégués contre, 121 pour.
Lise Klaveness au Congrès de la FIFA.
Voilà pour ce qui relève de l’éthique et de la responsabilité de nos institutions. Du côté des Bleus, le son de cloche est encore plus clair. Didier Deschamps a préféré déclarer forfait : « Ce n’est ni les joueurs, ni moi, ni vous, qui ont décidé que la compétition se jouerait là-bas. Il y a des décideurs qui ont décidé. Nous, on nous dit qu’elle est là, elle est là. Après, je suis peut-être factuel, pragmatique, mais c’est la réalité. Je ne veux pas cacher la réalité des problèmes liés à la condition de ce Mondial. En tant que citoyen, je veux envoyer un message de paix. » Entendre ensuite des politiques tel que Fabien Roussel pour le PCF, désireux sûrement de se rabibocher avec la « gauche des allocations » qui lit Le Monde diplo, expliquer que demander aux joueurs de ne pas y aller s’apparente à un forfait moral. Nos élus et représentants, y compris ceux qui furent aux affaires sous François Hollande, ont eu tout le loisir et l’opportunité d’agir ou d’interpeller les gouvernements successifs depuis l’hémicycle. C’étaient leur fonction et leur rôle au sein de notre démocratie. Au moins ONG, syndicats ou associations n’ont pas manqué de s’exprimer par le passé.
Le poids d’une démarche individuelle et citoyenne
Il reste finalement une forme de boycott légitime, celui de la société, des citoyennes et des citoyens. Elle peut s’incarner dans la voix ou la parole de personnalités, de Vincent Lindon à Éric Cantona, sans oublier Virginie Despentes. Il se reflète dans des études d’opinion, à prendre avec des pincettes, dont la dernière d’Amnesty International réalisée par YouGov, qui annonce que 48% des Français ne suivront pas à la télévision la prochaine Coupe du monde de football. De fait, la seule action qui pourrait contrarier dorénavant les organisateurs serait effectivement d’éteindre les écrans au moment des rencontres, car une telle démarche conduirait à dévaloriser la valeur des droits télé si chèrement vendus et qui représentent une part non négligeable du budget de la FIFA. Et cette dernière compte les dollars, pas les morts sur les chantiers…
Par Nicolas Kssis-Martov