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Bournemouth FC, le grand frère oublié
Alors que l’AFC Bournemouth s’est attiré le feu des projecteurs ces dernières saisons, et a connu la joie de monter pour la première fois de son histoire en Premier League cette saison, le Bournemouth FC, plus vieux club de la ville, survit anonymement à quelques encablures du Vitality Stadium. Rendez-vous chez les Poppies.
On accède au stade par une petite route pratiquement cachée par l’épaisseur des arbres qui l’entoure. Là, au fond d’un cul-de-sac, se trouvent le Victoria Park, son unique tribune d’environ 3000 places et sa pelouse qui semble avoir souffert des fortes averses qui ne cessent de tomber sur Bournemouth. Voilà la maison du Bournemouth FC, à ne surtout pas confondre avec l’AFC Bournemouth, qui a conquis les cœurs des habitants grâce aux parcours héroïques d’Eddie Howe et de ses ouailles ces dernières saisons. Sur le logo du Bournemouth FC, trois choses sautent aux yeux d’emblée. Un surnom d’abord, « The Poppies » , illustré par deux coquelicots. Et une date : 1875. Le Bournemouth FC, fondé le 11 septembre 1875 par huit hommes, présidés par Alderman J Nethercoate, futur maire de la ville, est donc le plus vieux club de la cité côtière, et l’un des premiers à être affiliés à la FA. Lorsque l’on passe la porte du club-house légèrement vieillot, mais tenu en ordre, un homme d’un âge assez avancé se tient derrière le bar, les yeux rivés sur le jeune tatoué qui tond la pelouse du stade sous le crachin. Cet homme, c’est Bob Corbin, le président du club.
Les magouilles de Redknapp
Après nous avoir expliqué que le surnom « The Poppies » n’avait rien à voir avec le Poppy Day, célébré le 11 novembre au Royaume-Uni – en fait, le club a adopté la couleur « rouge coquelicot » après sa fusion avec les Bournemouth Wanderers, lors de la saison 1895-1896 -, notre hôte nous livre son sentiment sur la rivalité supposée entre les Poppies et l’AFC Bournemouth : « Ils ont toujours été plus gros que nous. On les a battus une seule fois, 2-1. » À l’époque, l’entraîneur des « autres » , comme dit Corbin, n’est autre qu’Harry Redknapp qui effectue chez les Cherries ses premiers pas d’entraîneur. « On avait un de leur anciens joueurs, qui les avait quittés quelques années plus tôt, il avait environ 37 ans. Tommy Heffernan, un Irlandais. Et il avait si bien joué ce soir-là, contre l’AFC Bournemouth, qu’Harry a dit « Oh je vais le reprendre ! » » Il s’en était débarrassé deux ans avant, et il voulait le reprendre, car il venait de se rendre compte que c’était encore un bon joueur ! Je lui ai dit : « Non, il faut l’acheter si tu le veux ! » »
Pour se venger gentiment, Harry a alors une petite idée derrière la tête : « Mais dans les journaux, le lendemain, on voit le résultat inverse ! Il avait dit aux journalistes qu’ils avaient gagné 2-1 ! Donc j’appelle Harry et je lui dit : « Tu te fous de ma gueule ou quoi ? » Il me dit : « Je ne peux pas leur dire que vous nous avez battus, j’aurais l’air de quoi ?! » » Autrefois proches de leur voisin, les Poppies, pensionnaires de la Wessex League Division One – au dixième échelon du football anglais – ont définitivement perdu de vue ceux qui n’ont fait que gravir les étages, à une vitesse folle : « Ils sont trop gros aujourd’hui. Il y a quelques années encore, quand ils étaient trois ou quatre niveaux en dessous, il y avait 3 500 spectateurs, on pouvait organiser des choses, maintenant, ça a bien changé. Nous, on n’a pas de joueurs qui parviennent à devenir professionnels. Même pas dans le championnat. Il y en a juste eu un, c’est Charlie Austin, qui jouait à Poole Town, il y a environ cinq ans. »
Bournemouth Fight Club
Et alors que la conversation touche à sa fin, le téléphone sonne. D’une voix qui témoigne d’un agacement certain, Corbin répond, presque automatiquement : « Vous voulez parlez à l’AFC Bournemouth, c’est ça ? Ce n’est pas ici. » Après avoir raccroché, le vieil homme explique ce changement de ton soudain : « Ça arrive tout le temps, tous les jours ! Les types demandent à l’opérateur le Bournemouth Football Club, et ils sont redirigés ici. Ça fait des années, c’est vraiment pénible ! » Avant de s’emporter définitivement : « Quand ils ont commencé à avoir une grosse équipe, ils ont disputé un match contre Manchester United, je crois que j’ai reçu une centaine d’appels ce jour-là ! J’ai failli me battre avec un des types, qui ne voulait pas comprendre, ce bâtard. Le gars ne me croyait pas, je lui ai dit : « Ramène-toi ici, je t’éclate les dents ! » Il aurait pu être plus grand que moi, je m’en foutais, il m’a fait péter les plombs, ce putain d’ignorant ! » Cette fois vraiment échaudé, le maître des lieux conclut en beauté : « C’est toujours une question d’argent, cela vous coûte une fortune. Avant cela, j’étais un parieur compulsif, sur les courses de chevaux, je me suis aussi ruiné là-dedans ! Cela fait 30 ans que je suis ici, j’aurais aimé ne jamais voir ce putain d’endroit, sérieusement ! » Au contraire, on ne regrette pas d’avoir fait le détour.
Paul Piquard, à Bournemouth