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Bodmer, l’esthète rend les armes
Après vingt saisons, dont dix-sept dans l'élite, où il aura laissé deviner son talent hors norme sans se contraindre à vraiment l'exploiter, Mathieu Bodmer a annoncé la fin d'une carrière faite de beaucoup de style et de quelques titres.
« Mathieu Bodmer avait quelque chose. C’était un joueur extraordinaire de technicité qu’il fallait amener, lui, dans la compétition. C’était juste la beauté du geste qui l’intéressait. Il n’était pas compétiteur. » Il y a quelques semaines, alors que le confinement figeait le temps et aimantait les sentiments nostalgiques, Claude Puel n’a pu s’empêcher, camouflé derrière son inébranlable sobriété, d’exprimer une pointe de tendresse envers Mathieu Bodmer. Le citant aux côtés de Marcelo Gallardo, Eden Hazard ou Miralem Pjanić, il en parlait comme d’un regret face auquel on ne peut rien, une œuvre inaccomplie qui aurait dû avoir sa place parmi les chefs-d’œuvre, mais que l’on se résout à aimer telle qu’elle est. Parce qu’elle est tout ce qu’on n’est pas et qu’on est tout ce qu’elle n’est pas. Le combattant acharné et l’artiste inachevé, le compétiteur né et l’amateur – au sens noble – qui ne veut pas mourir et devenir le parfait professionnel. Il en parlait déjà au passé, comme s’il savait que son ancien joueur allait tirer sa révérence. Ou comme s’il avait su dès le premier jour que toute l’abnégation du monde ne parviendrait jamais à modifier véritablement l’ADN de l’esthète, sans pour autant renoncer – pendant neuf saisons et au sein de trois clubs différents, Lille, Lyon et Nice – à tenter d’exercer son devoir impossible. C’était sa beauté du geste à lui.
Ancelotti : « Bodmer peut être Pirlo et Seedorf… »
Le talent ne suffit pas à marquer l’histoire, mais il permet de fixer quelques souvenirs, d’émerveiller quelques paires d’yeux et de nourrir quelques esprits. Celui de Mathieu Bodmer n’est jamais passé inaperçu, du nord au sud, d’ouest en est – il a presque fait le tour de France sans jamais la quitter –, des terrains d’Évreux à la pelouse du Parc des Princes, qu’il rêvait de fouler vêtu de bleu et de rouge. Au point de mettre sa carrière en jeu pour contraindre Jean-Michel Aulas à faciliter son transfert vers la capitale. Assez beau pour un PSG en transition, pas assez grand pour un PSG tout en ambition, il avait toutefois su y conquérir les louanges d’un des plus grands entraîneurs de l’histoire. C’est ainsi qu’en 2012, Carlo Ancelotti, assez sensible lui aussi aux amours frustrantes – il avait une tendresse similaire pour Jérémy Ménez – n’avait pas hésité à comparer le milieu de terrain français aux tout meilleurs : « J’essaie d’être objectif. Bodmer est un joueur fantastique, car il a beaucoup de qualités techniques. Il peut être Pirlo, Seedorf et, pour une équipe, avoir un joueur qui peut jouer à toutes les positions sur le terrain, c’est bien. Je connais Bodmer depuis quelque temps, car il a joué à Lyon, et je l’ai toujours apprécié. »
Un peu de graisse et beaucoup de grâce
Tout est dans la nuance. Mathieu Bodmer pouvait. Le seul fait de ressentir qu’il pouvait suffisait sans doute à le combler. Il a fait, parfois. Suffisamment pour qu’on salue sa belle carrière, son élégance de numéro dix et sa polyvalence contrariée qui l’aura mené en défense centrale comme Laurent Blanc. Suffisamment pour avoir été l’un des joueurs marquants de l’ascension du LOSC au milieu des années 2000, pour avoir goûté à un doublé coupe/championnat avec l’OL et caressé du crampon l’équipe de France (une sélection avec les A’).
Suffisamment pour avoir laissé, à défaut d’une réelle empreinte, de jolis souvenirs presque partout où il a promené son talent. Et, à une époque où courir toujours plus est devenu la plus oppressante des injonctions, dans le football et au-delà, il est d’autant plus essentiel de chérir ces joueurs qui se promènent avec cette grâce que les esprits chagrins appelleront nonchalance. Mathieu Bodmer ne marche désormais même plus. Il s’est arrêté. Mais il en naîtra d’autres de son espèce, espérons-le. Car aux côtés des véritables grands joueurs, il en faudra toujours des beaux, pour que le football continue de se nourrir tour à tour des machines et des hommes. Et nous laisse apprécier le bonheur de disserter encore et encore sur ces esthètes dont l’histoire se contera toujours avec des « Si… »
Par Chris Diamantaire