Comment t’est venue l’idée de travailler sur les maillots ?
On s’est lancé, avec Philippe Marchand et Nicolas Marcais, le défi de dessiner à l’identique 1000 maillots de monde entier de l’Angola jusqu’à la Zambie pour en raconter les histoires, de la plus petite à la plus grande. On a retenu les plus déjantés, les plus chers, les plus originaux, les plus beaux, les plus vintage, les plus moches aussi hein… Tous ceux qui étaient porteurs d’histoires et d’anecdotes. C’est aussi une manière de raconter l’histoire populaire du football.
Tu parles des histoires des maillots… quelles histoires ?
Beaucoup de maillots qui sont aujourd’hui des institutions ont des histoires que l’on connaît peu. Le Brésil joue aujourd’hui en jaune avec un liseré vert alors qu’historiquement, le Brésil a toujours joué en blanc. Ça remonte à 1950 et la « finale » de la Coupe du monde, qui était en fait un match de groupe parce qu’il n’y avait pas encore de matchs à élimination directe. Il suffisait d’un match nul au Brésil pour être sacré. Contre toute attente, au Maracanã, devant plus de 200 000 personnes, l’Uruguay a gagné 2-1. Le blanc est devenu symbole de deuil national pour le Brésil et par superstition, la Seleção n’a plus jamais joué en blanc. Lors de la Coupe du monde qui a suivi en Suisse, ils ont choisi l’une des trois couleurs de leur drapeau pour leur maillot, c’est-à-dire le jaune. Ils ont gagné et ont choisi de garder cette couleur. Un autre exemple, Pelé a eu le numéro 10 en 1958 par hasard. Chaque Fédération avait l’obligation d’attribuer un numéro à ses vingt-deux joueurs pendant toute la durée de la compétition. Le Brésil a envoyé la liste des joueurs et a oublié de donner un numéro à chacun. La FIFA était emmerdée, un délégué a filé des numéros au pif. Pelé avait 17 ans et a reçu le numéro 10 avec la suite que l’on connaît… Pourquoi l’Italie joue-t-elle en bleu alors que le bleu n’est pas présent sur son drapeau ? Il faut remonter à 1911 et un match amical contre la France. L’équipe italienne a voulu rendre hommage à la maison royale de Savoie, qui régnait sur l’Italie et dont la couleur était le bleu, a joué en bleu, a gagné et a lâché son maillot blanc pour garder le bleu. Et tout le sport italien joue aujourd’hui en bleu…
Et les histoires sur les maillots à proprement parler ?
Qu’est devenu le dernier maillot à l’OM de Papin ? Le dernier maillot de Platini à la Juve ? Comment Battiston a retrouvé son maillot de France-Allemagne 1982, qu’il avait laissé au médecin de garde qui l’avait soigné en guise de remerciement, 28 ans après… Les maillots cachent aussi de très belles anecdotes et de très belles histoires à raconter.
Les grandes équipes sont celles qui ont une certaine stabilité dans le maillot.
Les maillots, ça te rend nostalgique ?
Oui, c’est évidemment le marqueur d’une époque et donc des souvenirs visuels qui reviennent. Personnellement, j’ai été marqué par le maillot CCCP de Blokhine, le maillot de l’Allemagne de l’Est. Le maillot qui me manque le plus, c’est le maillot du Barça immaculé. Les maillots sont intéressants parce qu’ils représentent un domaine de recherche inépuisable en termes de représentation avec plein de significations, plein de pratiques différentes et des visuels forts d’identification. Ils sont le marqueur d’une époque et l’humeur d’un temps. Le maillot Manufrance de Saint-Étienne, c’est une madeleine de Proust pour toute une génération, ça te rappelle ton époque bénie, tes 20 ans… Quel autre objet dure aussi longtemps dans le temps avec une telle régularité ? Quand on voit des maillots de clubs portés aux quatre coins du monde, on comprend que le football est un phénomène culturel éminemment puissant qui concerne tout le monde. Le cinéma demande de la maturité, le football, tu peux le jouer et le regarder de ton plus jeune âge à tes derniers jours.
Peut-on être une grande équipe avec un maillot dégueulasse ?
Je ne crois pas. Les grandes équipes sont celles qui ont une certaine stabilité dans le maillot. Comme le Brésil, l’Argentine… L’AC Milan et la Juve ont des maillots très lourds qui changent peu, avec les bandeaux qui rappellent des colonnes où on sent toute la force de l’institution. En revanche, j’adore quand un maillot colle avec l’état d’esprit et le jeu d’une équipe qui sort de l’ordinaire. Je me souviens du Werder Brême de Micoud, leur maillot spectaculaire et flashy incarnait parfaitement cette équipe capable de tout.
Le maillot est devenu un produit avec derrière un enjeu financier colossal
Quels sont les maillots les plus politiques ?
Le maillot du Celtic Glasgow, qui dépasse largement le cadre du football, avec une double appartenance à un pays et une religion minoritaire, est très fort. Et le maillot du Corinthians de Sócrates avec « Democracia » écrit dans le dos, symbole d’opposition à la dictature en place paraît inévitable.
Les maillots ont beaucoup changé ? Oui. Avant, le maillot était un simple accessoire, c’était juste un bout de chemise en laine qui servait la pratique du sport. Il a fallu attendre les années 70 pour qu’une vraie réflexion soit menée sur les maillots. Le foot est entré dans l’ère moderne avec la Coupe du monde 1974, et les équipementiers ont compris à ce moment-là l’importance marketing du maillot comme référent à part entière d’une équipe et d’un club, porteur de valeurs, d’histoires, d’un sentiment d’appartenance. Et le maillot est donc devenu un objet commercial. Jusqu’à l’effet pervers ultime que l’on peut voir aujourd’hui lorsqu’un joueur est recruté parce que la valeur de son maillot dépasse sa valeur sportive, comme Beckham au PSG. Les maillots fluo, c’est pareil, c’est souvent des projets d’équipementiers qui découlent d’études de marché auprès du public jeune…. Aujourd’hui, le maillot est devenu un produit avec derrière un enjeu financier colossal. Le club de foot est devenu une société de spectacle, qui vend un spectacle à travers les prestations de ses joueurs, et le maillot de foot est un programme de match. Mais là encore, on voit que l’histoire des maillots est en fait l’histoire du football.
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