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Benjamin Stambouli : « J’étais prêt à m’engager dans l’armée »

Par Julien Duez et Diren Fesli, à Adana (Turquie)
Benjamin Stambouli : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J&rsquo;étais prêt à m’engager dans l’armée<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Fils d'Henri Stambouli, petit-fils de Gérard Banide et neveu de Laurent, Benjamin Stambouli a conscience d’avoir reçu une éducation privilégiée pour devenir footballeur professionnel. Mais sa valeur préférée, c’est le travail, grâce auquel il est devenu champion de France avec Montpellier, joker de luxe au PSG et capitaine de Schalke 04. Aujourd’hui à Adana Demirspor et vainqueur lundi de Fenerbahçe, le néo-trentenaire continue de s’éclater et s’endort toujours en regardant Bienvenue chez les Ch’tis.

Alors, ça fait quoi d’être dans un pays où on peut porter sans problème le numéro 90 tout en jouant milieu défensif ? Ça doit changer de la rigueur de Schalke.(Rires.) Ah ça ! On a un large éventail de choix. En arrivant, j’ai demandé quels numéros étaient disponibles, on m’a dit de choisir celui que je voulais. J’en ai tenté deux-trois, mais ils étaient déjà pris à chaque fois, donc j’ai proposé le 90, et celui-là était dispo. C’est un clin d’œil à mon année de naissance, mais aussi à ma génération à Montpellier, celle qui a remporté la Gambardella en 2009. Avant de signer à Adana, je n’ai eu que deux aperçus de la Turquie, avec Schalke. Une fois en Ligue des champions, quand on joue à Galatasaray (en 2018, NDLR). On fait 0-0 là-bas, dans un concert de sifflets, c’était impressionnant. Et la deuxième fois, c’est quand Ozan Kabak a signé chez nous (l’année suivante, NDLR). Des supporters de Gala basés à Gelsenkirchen sont venus à l’entraînement pour l’encourager et lui dire qu’il n’était pas tout seul ici.

Tu as eu droit à une réception de feu à l’aéroport ?Non, j’ai rejoint le club en stage de présaison avec d’autres recrues et quand on est rentrés à Adana, on était assez éparpillés. J’étais avec trois autres joueurs dans le même avion, tandis que Mario Balotelli était sur un vol séparé. Lui a eu droit à l’accueil auquel on s’attend en Turquie. Mais ça ne m’a pas vexé, je suis assez éloigné de ce genre de truc. Je n’aime pas trop les projecteurs, je préfère me concentrer sur le foot. Après, si on me dit que des supporters m’attendent à la sortie de l’aéroport, ça fait toujours plaisir, je ne vais pas passer exprès par la porte de derrière pour leur échapper ! C’est juste que ce n’est pas le domaine dans lequel je me sens le plus à l’aise.

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué dans le football turc jusqu’à présent ?Pour l’instant, je suis toujours un peu dans l’expectative, car les stades n’ont pas encore pu être remplis à 100%. Mais ça m’a déjà fait plaisir de pouvoir rejouer avec du public, ça m’avait manqué, j’en ai eu des frissons. On sent le côté électrique et passionnel à tous les matchs. On peut jouer à l’extérieur devant peu de monde, et le moindre petit fait de jeu peut provoquer une explosion dans les tribunes. En Allemagne, je retiens surtout le côté organisé des supporters. Ici, à une heure du coup d’envoi, le stade peut être vide et il va se remplir d’un coup ! La passion pour le foot est là dans les deux cas, mais elle s’exprime juste de façon différente. C’est pareil sportivement : dans les deux cas, le club cherche à constamment s’améliorer et à gagner des matchs, mais parfois avec des méthodes différentes, donc c’est intéressant à découvrir.

Un jour, je suis allé acheter des meubles. Je pensais acheter un fauteuil en dix minutes, ça m’a pris une heure et demie ! Parce qu’il faut négocier, mais finalement, tu te retrouves à prendre un thé avec le vendeur et à parler de foot.

La Süper Lig est aussi connue pour ses excès, entre le temps additionnel à rallonge ou les discussions permanentes avec les arbitres.Je ne sais pas si c’est comparable, mais mon père a beaucoup travaillé en Afrique. Quand j’ai rencontré le président pour signer, il m’a accompagné, et en arrivant, j’ai retrouvé ce truc qui m’a rappelé mes voyages là-bas quand j’étais enfant : au départ, l’ensemble n’a pas l’air fiable, mais on te dit : « Ne t’inquiète pas ! » Sauf que toi, tu t’inquiètes quand même un peu. Et au fur et à mesure, tu découvres qu’en fait, c’est du solide. Après, je n’ai pas trop été surpris, c’est un climat un peu méditerranéen, comme j’ai pu le connaître à Montpellier, c’est normal de discuter, de marchander, ça fait partie de la culture, et il faut vite l’assimiler, sinon tu deviens fou. Discuter avec un arbitre ou voir onze minutes de temps additionnel, ce n’est pas un signe de corruption, c’est normal, c’est dans la culture. Ça se passe sur le terrain, mais aussi en dehors.

Tu parles de vécu ?Ouais, un jour je suis allé acheter des meubles. Je pensais acheter un fauteuil en dix minutes, ça m’a pris une heure et demie ! Parce qu’il faut négocier, mais finalement, tu te retrouves à prendre un thé avec le vendeur et à parler de foot. Ça m’a fait vivre une expérience et ça m’a beaucoup plu.

Cet été, tous les signaux t’envoyaient vers un retour à Montpellier. Pourquoi ça ne s’est pas fait ?Après mon départ de Schalke, j’étais libre, et on a discuté avec l’entraîneur (Olivier Dall’Oglio, NDLR), Michel Mézy (conseiller du président, NDLR) et Bruno Carotti (directeur sportif, NDLR), mais ils avaient un problème : mon arrivée dépendait de la vente d’un joueur du milieu de terrain. De mon côté comme du leur, il y avait cette envie de reprendre une aventure qui s’était terminée en 2014, c’était la même chose avec Younès (Belhanda). Alors quand mon agent m’a parlé de l’offre d’Adana, je lui ai demandé de prévenir Carotti et Nicollin, par respect et pour savoir s’ils avaient trouvé une solution miracle entre-temps. Ce n’était pas le cas. On a pu penser que c’était parce que je réclamais un trop gros salaire, mais on n’avait même pas encore parlé d’argent. C’est le destin, il faut prendre en compte le contexte sanitaire qui a rendu les choses plus compliquées. Ce n’est ni de la faute de Montpellier, ni de la mienne.

En Turquie, le championnat traîne parfois ce cliché de la destination qui rime avec fin de carrière. Qu’est-ce que tu en penses ?Je peux comprendre ce point de vue basique, mais moi, je suis footballeur. Ça peut être soit synonyme de préretraite, soit de mon maintien dans la compétition, et ce, uniquement selon mes critères. À savoir : est-ce que je me la joue à la coule à l’entraînement, sans trop forcer, parce qu’il fait beau, ou bien est-ce que je me pousse à mon maximum chaque jour pour atteindre mes objectifs ? J’ai choisi la deuxième option. Le jour où je ne serai plus compétitif, c’est que ce sera le moment d’arrêter. Chaque championnat à ses spécificités et c’est quand tu commences à jouer dedans que tu découvres si, oui ou non, tu as encore le niveau.

J’ai toujours détesté qu’on dise que c’est de la faute de l’entraîneur quand un joueur ne joue pas. Ça peut arriver qu’il n’aime pas ta tête, mais à ce moment-là, je vais en faire quatre fois plus que les autres pour qu’il n’ait plus le choix.

Tu es arrivé avec le statut du mec qui a porté le brassard de capitaine de Schalke à de multiples reprises, ça te confère un statut particulier ?Non, et c’est quelque chose que j’ai appris avec l’expérience. À Adana, je n’ai pas perdu deux mois à me dire que j’étais capitaine à Schalke et que ça allait être facile, chose que j’ai faite après avoir quitté le PSG. Tu penses que tu es un bon joueur et que tu vas logiquement jouer, mais du coup, le petit extra qui fait la différence à l’entraînement, tu ne l’as pas. Alors quand je me suis retrouvé sur le banc, j’ai pensé : « Ouhla, il va falloir changer quelque chose, là. » Et quand tu as la dalle et que tu le montres, les efforts finissent toujours par payer. J’ai toujours détesté qu’on dise que c’est de la faute de l’entraîneur quand un joueur ne joue pas. Ça peut arriver qu’il n’aime pas ta tête, mais à ce moment-là, je vais en faire quatre fois plus que les autres pour qu’il n’ait plus le choix.

Est-ce que dans le contexte actuel, un joueur professionnel peut encore se permettre d’avoir un passage à vide sans en payer les conséquences ? Ou, pour reprendre un poncif bien connu, est-ce que tout va vraiment trop vite dans le football ?On peut se le permettre, je le crois, mais tout dépend du milieu dans lequel on évolue. Est-ce que le directeur sportif t’aime, est-ce que c’est lui qui t’a fait venir, est-ce qu’il s’entend bien avec l’entraîneur ? Est-ce que le fait d’avoir tel ou tel agent va te protéger ou, au contraire, te desservir ? Et pour moi, dans certains contextes, on s’éloigne un peu trop de la vérité du rectangle vert, pour reprendre une expression de René Girard. Je trouve ça un peu désolant, mais c’est comme ça que fonctionne le monde d’aujourd’hui, et le football n’échappe pas à la règle.

C’est la valeur travail qui prime dans ton métier ?Mon père, mon grand-père et mon oncle sont tous entraîneurs. Par leur éducation, j’ai toujours su ce qu’il fallait faire pour durer dans ce milieu. Ce sont des valeurs qui m’ont aussi été inculquées à Montpellier, au centre de formation comme en pro. René Girard, encore lui, ne nous laissait pas une grande marge de manœuvre sur le côté : il se méfiait qu’on réponde à plein d’interviews sous prétexte qu’on était un espoir. Encore une fois, sa vérité, c’était le rectangle vert. Avec Younès, on se dit que, plus on grandit, plus on se rend compte qu’il avait raison. Aujourd’hui, le football a changé : un joueur peut être moyen, mais garder du crédit par rapport à l’image qu’il renvoie. Je ne me mets pas dans cette catégorie. Plus on est naturel, plus on se connaît et on est en accord avec soi-même.

Tu te sens privilégié d’avoir grandi dans un environnement familial qui a baigné dans le haut niveau du football ?J’ai de la chance, il faut dire ce qui est, parce que certains n’ont carrément pas de famille. Mais c’est un tout. On peut venir d’une famille comme la mienne et avoir une éducation différente de celle que j’ai connue. Moi, on m’a appris à beaucoup écouter, et j’ai grandi avec le respect des aînés. Quand on me donnait un conseil, c’était pour me tirer vers le haut, et j’ai su les écouter quand il le fallait. Ce n’était pas seulement des conseils sur le terrain, mais aussi sur le comportement à avoir en dehors. Après, malgré cet environnement familial très proche et la bulle de protection qui nous entourait mon frère et moi, il ne faut pas croire qu’on était des petits princes. Quand on te dit d’aller déraciner les six arbres en face, tu prends les outils et tu vas creuser. Si demain, on veut installer une fontaine dans le jardin, on ne va pas payer 15 000 euros à une entreprise pour le faire. Toi, tu prends la pelle, toi, la truelle, toi, les seaux, et on va l’installer nous-mêmes, la fontaine.

Je me mettais une pression tout seul, parce que j’étais le fils de Stambouli.

Ton oncle, Laurent Banide, t’a dit un jour qu’on ne t’en voudrait pas dans la famille si tu choisissais un autre métier que celui de footballeur.Oui, parce que quand j’étais plus jeune, à quinze-seize ans, et que l’un des trois venait me voir jouer, je déjouais complètement, je faisais n’importe quoi. Je me mettais une pression tout seul, parce que j’étais le fils de Stambouli. J’avais beau jouer dans mon petit village, quand on se déplaçait dans celui d’à côté, j’entendais ce qui se disait. Ça ne m’a pas blessé, mais ça me mettait sous pression. Je me disais : « Ils savent qui tu es, tu as intérêt à être bon. » Alors que non, il faut être bon pour soi-même. Une fois que je l’ai accepté et que j’en ai fait une force.

Laurent et Gérard Banide, aka Tonton et Papy.

C’est vrai qu’à table, vous faites des schémas tactiques ?Surtout mon grand-père. Il prend du sel, du poivre et un verre pour nous montrer où se trouve le point d’appui ou comment prendre un espace. C’est enrichissant. Il m’a toujours surpris et il me surprendra toujours parce que malgré le fait qu’il fait partie de l’ancienne génération des entraîneurs, il n’est jamais dépassé, contrairement à ce que je pouvais penser quand j’avais une vingtaine d’années. Un jour, on regarde un match, et il me dit : « Ce joueur fait trop de touches de balle, et l’arrière gauche ne couvre pas assez, ils vont le payer. » Quelques minutes après, ça s’est réalisé. Il ne se trompe jamais ! À chaque fois je suis surpris de la pertinence de ce qu’il dit. Quand on est à table, ça parle forcément de foot au moins une fois pendant le repas et quand ça dure trop longtemps, tu peux entendre ma mère dire : « Ça va, on arrête, déjà que je vous suis partout et qu’on a déménagé quarante-cinq fois… » (Rires.)

Tu as toutes les cartes en main pour devenir entraîneur à ton tour maintenant.Ça me plairait. J’ai souvent été un relais avec le reste du vestiaire, c’est un peu ancré en moi, on verra si ça se fera, la réflexion sur les projets d’après-carrière commence. Pourquoi ne pas s’engager dans l’associatif, en faveur des personnes défavorisées par exemple. Ou bien, pour les animaux. Avec ma fiancée, on a pris un chien il y a trois mois, donc ça me touche maintenant. Je sais que le gouvernement turc fait beaucoup pour vacciner les chiens errants, mais la situation reste défavorisée par rapport à l’Europe. Quand tu te balades autour d’un centre commercial, qu’il fait 45 degrés et que tu vois un chien allongé sur le dos, ça fait mal au cœur. Par le passé, je n’ai pas eu l’occasion de m’engager à fond dans un truc, mais je crois que c’est quelque chose qui vient avec l’âge, quand on se rend compte du confort de vie dans lequel on baigne.

C’est à 31 ans que tu le remarques ?Non, quand même pas, c’est quelque chose auquel j’ai été sensibilisé depuis tout petit. Quand j’avais huit ans, mon père a pris les rênes de la sélection de Guinée. On partait le voir à Conakry pendant les vacances d’été et ça m’a mis un coup. Au-delà de la destination originale, on découvre la chance qu’on a de vivre en Europe et en même temps, que des gens qui n’ont rien sont dix fois plus généreux que nous. Je me souviens du jour où on est partis sur l’île de Roume en pirogue. Le moteur a cassé, et le mec l’a réparé tout seul, en pompant de l’essence avec un tuyau directement avec sa bouche, la vraie débrouille. Sur place, on a joué au foot avec des gamins, et à un moment, ils sont partis chercher de l’eau, du coca et ils nous les ont offerts, alors qu’ils devaient avoir deux centimes en poche.

Toujours en Afrique, mais plus au nord, on se souvient qu’il y quelques années, tu avais dû démentir les rumeurs qui te voyaient choisir de porter le maillot de la sélection algérienne.Ce n’est un secret pour personne, mon père est effectivement né à Oran, donc on peut logiquement faire un lien. Ça remonte à peu de temps avant la Coupe du monde 2014. Les premiers qui m’ont approché, ce n’était pas la fédération, mais des journalistes ! Mais quand tu réponds à l’un, ton numéro de téléphone commence à tourner, et mon père et moi avons été assaillis de questions. Il a donc fallu y mettre un terme.

J’ai tellement d’amis algériens que je sais ce que représente le maillot des Fennecs. Par respect pour ça, je ne vais pas prendre la place de quelqu’un pour qui ça compte vraiment, sous prétexte qu’il y a une Coupe du monde qui arrive.

Au-delà du lieu de naissance de ton père, c’est quoi ton lien avec l’Algérie ?À la base, le nom Stambouli vient de l’Empire ottoman. Avec son expansion, une partie de ma famille paternelle s’est établie à Oran et ma grand-mère qui, elle, venait de Bourges, y a rencontré mon grand-père. Après l’indépendance, ils sont rentrés en France. C’étaient donc des pieds noirs, mais avec des racines turques. Personnellement, je ne suis jamais allé en Algérie, je n’ai pas cette culture, mais j’ai tellement d’amis algériens que je sais ce que représente le maillot des Fennecs. C’est bien plus que du foot. J’en connais qui peuvent pleurer quand ils chantent l’hymne national. Donc par respect pour ça, je ne vais pas porter le maillot de l’Algérie et prendre la place de quelqu’un pour qui ça compte vraiment, sous prétexte qu’il y a une Coupe du monde qui arrive. Ce n’est pas moi, ça.

Mais avec le recul, tu n’es pas déçu de ne pas avoir connu un tournoi international avec les A ?Je ne peux pas dire que je ressente un manque, mais j’aurais certainement aimé en faire un. Quand on voyait les copains qui partaient en sélection – et même s’ils étaient parfois jaloux qu’on ait deux jours de libres et pas eux – on sent que c’est quelque chose de fort, une fierté, en plus du sentiment de faire partie de l’élite. Quand je vois que certains joueurs de l’équipe de France se font chahuter, je réponds qu’ils font partie des 30-40 meilleurs joueurs du pays, c’est la crème de la crème.

C’est un problème français, ça ?Non, c’est universel. C’est le monde dans lequel on vit qui fait que. Aujourd’hui, on lit une phrase d’un gars hors contexte sur Instagram et on le démonte ensuite sur Twitter parce qu’il penserait ceci ou cela. Je reviens à ce qu’on disait plus tôt, mais la différence entre maintenant et avant, c’est que tout va beaucoup plus vite. Aujourd’hui, tu veux aller à New-York, tu réserves en deux clics, tu prends ton avion à Istanbul et tu es à New-York. Avant, il fallait s’y prendre huit mois à l’avance. Et encore avant, pour jouer au foot, j’appelais les copains sur le fixe, rendez-vous à 14h au terrain synthétique. S’ils n’étaient pas là, il fallait attendre d’être à l’école le lendemain pour savoir pourquoi.

Quelque part, tu fais toi aussi partie d’une certaine élite, puisque la proportion de joueurs qui remportent un trophée en carrière est globalement très faible.C’est vrai, mais tout dépend à quel échelon on se place. Quand je regarde mon parcours, je suis très fier de moi-même et de tout ce que j’ai accompli jusqu’ici. Il faut d’abord sortir du centre de formation, passer pro, mais même après ça, toutes les carrières sont possibles : tu peux jouer deux ans pro, puis descendre en D2, voire en National et retourner chercher du travail parce que tu n’as pas passé le cap. Moi, j’ai le sentiment de m’être battu et d’avoir exploité mes qualités au maximum pour avoir la meilleure version possible de Benji.

Aucun regret en regardant dans le rétro ?Franchement, non. À part à certaines étapes où j’aurais pu avoir plus de maturité, j’en ai déjà parlé avec l’exemple de Schalke. Mais quelque part, c’est en vivant cette expérience-là que tu captes les erreurs à ne pas commettre par la suite. C’est pour ça que j’ai un profond respect pour un joueur comme Mbappé. Il est jeune comme pas possible, et j’ai l’impression qu’il a déjà tout compris. Il n’a pas eu besoin de quatre, cinq ou six ans.

Quelque part, au PSG, je me suis un peu trop adapté à ce côté football léché. Avec du recul, j’aurais aimé proposer plus de choses et jouer plus libéré.

Qu’est-ce que ça a changé de découvrir le PSG après avoir connu Montpellier ?Laurent Blanc m’a dit ouvertement qu’il m’avait pris pour être la doublure de Thiago Motta et m’a demandé d’être prêt en permanence. Au cas où il avait besoin de le faire souffler, il avait besoin que ce soit moi qui assure. Et si je travaillais dur, les portes seraient toujours ouvertes. Là-bas, j’ai découvert un vestiaire très costaud, avec lequel j’ai beaucoup appris et je retiens le côté très respectueux de ce qu’on me demandait de faire. Avec ma bonne éducation de bon mec, je faisais mon travail en respectant les consignes. J’étais au milieu de terrain, devant ils marquaient des buts, donc je n’allais pas me projeter comme un fou, comme je pouvais le faire à Montpellier. Parce que le mec devant, il n’a pas besoin de toi pour marquer un but. Quelque part, je me suis un peu trop adapté à ce côté football léché. Avec du recul, j’aurais aimé proposer plus de choses et jouer plus libéré. Mais ça, c’est le destin, il ne faut pas trop regarder en arrière. Là, j’ai encore la chance d’être sur un terrain, j’ai l’opportunité de faire des choses, alors je les fais.

Est-ce qu’à dix-sept ans, tu aurais vraiment pu tout plaquer pour t’engager dans les forces spéciales ? C’est quoi cette histoire ?(Rires.) Je suis dans ma dernière année d’aspirant à Montpellier et je me mets la pression en pensant à l’avenir, au cas où ça ne passe pas. Avec mon copain de chambre, on aimait les trucs de l’armée, les sensations fortes, on faisait plein de tractions en regardant des reportages sur le GIGN ou les groupes d’élite russes. Je kiffais ça. Un jour, je quitte le mas familial, à Uzès, pour me rendre à la base de la Légion étrangère à Nîmes. Je prends les papiers d’inscription au centre de recrutement. D’un côté, je me voyais intégrer un groupe d’intervention, avec du physique, des armes, on fait du MMA, on pète des vitres et on s’entraîne à passer par les toits. Mais en rentrant, j’hésite à les renvoyer et je les laisse traîner.

Et là, mon oncle me dit : « Joue au foot avec l’esprit de l’armée et tu verras si tu ne réussis pas. » Ça a fait tilt.

C’est là que ton oncle les découvre.Il demande à qui c’est, je réponds que c’est à moi, au cas où je ne deviendrais pas stagiaire. Et là, il me dit : « Joue au foot avec l’esprit de l’armée et tu verras si tu ne réussis pas. » Ça a fait tilt. À ce moment-là, je ne suis plus le fils de, je deviens Benji qui décide tout seul de sa vie, et c’était libérateur. Je me bute à la muscu, je suis surclassé avec la CFA entraînée par Ghislain Printant, je commence à faire des gros matchs contre des darons, je suis vraiment énervé et je joue vraiment bien. À table, mon grand-père déclare que je ferai mon premier match en pro avant la fin de l’année. Alors qu’il y a deux mois, j’étais prêt à m’engager dans l’armée ! Mon père lui dit : « Gérard, vous savez que je vous crois tout le temps, mais là, quand même, les pros… c’est compliqué. » Mais mon grand-père n’en démord pas. Un mois plus tard, Mézy et Carotti me convoquent pour me signifier que je vais finir la saison avec le groupe pro, qui est alors en D2 et ne peut ni monter ni descendre. J’étais comme un fou. Je m’entraîne et au bout de cinq minutes, je me fais les croisés.

Oh le coup dur !Ouais, mais dans la foulée, j’ai reçu un coup de fil de Rolland Courbis qui m’a fait beaucoup de bien. Il m’a dit qu’il avait vu mes matchs en CFA et qu’on allait se recroiser un jour. À partir de là, je suis passé en mode fusée, plus rien ne pouvait m’arrêter. À côté de ma rééducation, j’ai décroché mon bac S, même si j’étais nul en maths. En revanche, j’étais fort en SVT et en physique, ça allait. Mais ce que je préférais, c’était les matières littéraires.

Ce qui fait de toi une sorte d’OVNI. Ça colle bien avec ton film préféré qui est lui-même un OVNI cinématographique : Bienvenue chez les Ch’tis. Tu l’as sérieusement vu plus de 35 fois ? (Rires.) Je ne sais pas si c’est le film que j’ai le plus vu de ma vie, mais en tout cas, c’est celui que j’ai le plus commencé. En fait, pour m’endormir, j’ai besoin de mater un truc et si je suis sur Netflix, je peux passer des heures à chercher la perle rare parce que je n’aime pas les films que je ne connais pas, je ne regarde que ce qu’on m’a recommandé. Et quand ça dure trop longtemps, ma fiancée me dit : « Allez, mets un film que tu connais ! » Donc je mets Bienvenue chez les Ch’tis et je m’endors bien. Ça ne gueule pas trop, c’est parfait.

Tu t’es reconnu dans le personnage de Kad Merad au moment de signer dans la Ruhr ?Ça m’a plus rappelé mes années à Sedan (où Benjamin a joué chez les jeunes entre 2001 et 2003, alors que son père entraînait l’équipe première, NDLR). Là-bas, j’ai découvert une vraie différence culturelle en comparaison avec le Midi. Dans les Ardennes, les gens sont très froids en apparence. Ils mettent du temps à s’ouvrir, mais quand c’est le cas, ils sont très vrais. Dans le Midi, c’est plus folklorique. (Rires.)

À Schalke, tu passais des heures à débattre avec Nabil Bentaleb. Quels sont tes sujets de prédilection aujourd’hui ?J’aime l’échange, la confrontation d’idées. Pas forcément pour gagner ou prouver que j’ai raison, mais plus pour comprendre les mécanismes du cerveau de mon interlocuteur, comment il en arrive à penser telle ou telle chose, peu importe la thématique. Ça va peut-être vous surprendre, mais je regarde beaucoup l’émission Balance ton post. Je sais qu’elle est parfois décriée, qu’on peut la voir comme un truc de beaufs, mais ça me fait rire. On ne peut pas juger des citoyens qui débattent ensemble de leurs idées. Il y a tellement de langue de bois et de démago… Là, quand ça s’énerve, tu sens que les gens sont piqués en leur for intérieur.

Toi, tu pourrais devenir un chroniqueur énervé ?Je ne pense pas, parce que quand tu sors de tes gonds, déjà ça ne résout rien, et en plus, ça donne souvent raison à l’autre. Je serais plus du genre à le laisser terminer dans le calme, puis, ensuite, lui prouver par A+B qu’il a tort et pourquoi. Mais c’est difficile parce que moi-même, devant ma télé, je pars vite en live !

Dans cet article :
Montpellier recrute (enfin) un défenseur
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Par Julien Duez et Diren Fesli, à Adana (Turquie)

Photos : JD, DR et Iconsport.

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