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Benjamin Gavanon : « Je baigne dans les coquillages depuis petit »
L'OM à la pêche aux points ? Nancy dans le creux de la vague ? Benjamin Gavanon est désormais bien loin de toutes ces considérations. Et pour cause, le plus Lorrain des Marseillais s'occupe désormais de serrer des pinces (de crabe) dans son restaurant de fruits de mer. Et à l'heure d'un second confinement, le pied soyeux de l'ASNL se remémore ses belles heures sous le Chardon, mais aussi ceux qui l'ont accompagné sur ce chemin, Pape Diouf, Alain Perrin, Pablo Correa et Philippe Troussier en tête.
« D’habitude, il y a dégun par ici, enrage Adam. C’est à se demander s’il y en a qui bossent dans cette ville. » Il est 14h30 ce mercredi 28 octobre lorsqu’il essaye d’extirper son taxi de la zone commerciale de la Valentine. Les Marseillais pressentent l’annonce d’un nouveau confinement et, quitte à être cloisonné à son domicile, autant que celui-ci soit équipé d’un accueillant canapé Ikéa ou d’un joli tapis Maisons du monde. C’est au milieu de cette jungle motorisée, sur un parking partagé avec un caviste, un magasin de produits esthétiques et un barbecue coréen, que se trouve le restaurant de Benjamin Gavanon. Derrière la « banque à fruits de mer » de la bien nommée Cantine de l’écailler, l’ancien joueur de l’AS Nancy Lorraine reçoit autour d’un « plateau parfait : huîtres, crevettes, bulots, moules, oursins », accompagné d’un quart de baguette et de la tapenade. Régal.
Depuis quand t’es-tu installé ici ?Je suis rentré de Chine en novembre 2013 et on a ouvert ici avec mon frère Jérémy en septembre 2014. Je baigne dans les coquillages depuis petit. Mon père a tenu un magasin de coquillages pendant 30 ans sur Marseille. À 14 ans, j’ai fait mon premier Noël pour aider au magasin. Avec les cousins, les oncles, on passait des bons moments. Dans un coin de ma tête, je me suis toujours dit que si, à la fin de ma carrière, je ne pouvais pas rester dans le monde du sport, pourquoi pas revenir à ça. C’est un métier qui te permet de rencontrer du monde, il y a ce contact de tous les jours qui est enrichissant.
Pourquoi ici, dans ce quartier assez périphérique ?J’ai grandi dans le coin, et c’est un endroit que j’ai toujours aimé. On est à la limite des 11e et 12e arrondissements, dans le quartier de la Valentine. J’ai fait toute ma formation à côté, à la Commanderie. Et aujourd’hui, avec toutes ces boutiques autour, c’est devenu un vrai lieu de vie. Il y a du passage et c’est pratique pour les ventes à emporter. On prépare des plateaux pour les gens qui veulent manger chez eux et, le midi, on propose un service à table.
Tu ne proposes que des produits méditerranéens ?Chez nous, même s’il y a la mer à côté, on n’a pas grand-chose. Il y a les oursins, mais on a perdu en qualité. C’est l’Espagne qui a pris le relais. Les huîtres, ce sont des Marennes-Oléron ou Normandie. Ici, il n’y a plus que deux variétés et ça fait peu.
Comment traverses-tu cette année 2020 ?Lors du premier confinement, ça a été une fermeture totale au départ. Et au bout d’un mois, nos fournisseurs nous ont avertis qu’ils étaient capables de nous ravitailler à nouveau. Les clients nous appelaient aussi pour savoir si on était ouvert et on a senti un engouement. Avec mon frère, on a décidé de rouvrir et faire un service uniquement à emporter et de la livraison. On met les masques, et avec la banque, il y a largement ce qu’il faut pour la distanciation. On a un autre magasin à Saint-Barnabé qu’on a laissé fermé, pour concentrer la clientèle sur un seul lieu. Nos cinq employés étaient eux en chômage partiel.
Le reconfinement ne t’effraie pas ?Je pense que c’est une erreur. Mais pour moi, depuis le début, il n’y a pas une bonne décision qui a été prise. Là, on demande aux gens de s’enfermer à nouveau chez eux, puis en décembre, on va laisser tout le monde profiter des fêtes ? C’est quoi la suite, un troisième reconfinement ? On est un pays qui marche à l’envers et au-dessus, ils ne se rendent pas compte qu’ils tuent le pays. D’un point de vue économique, mais surtout moral.
En venant du monde du foot professionnel, être confronté à ces problématiques, ça doit faire tout drôle…Crise ou pas, les sportifs de haut niveau sont dans une bulle. Ce n’est pas la « vraie vie » . Quand tu dois avoir un rendez-vous médical, on s’en occupe pour toi et tu n’as rien à faire. Et quand tu sors de là, c’est à toi de prendre ton téléphone et te débrouiller. C’est incomparable.
Quels sont tes rapports aujourd’hui avec le monde du foot ?Ils sont quasiment inexistants. Par exemple, hier, je n’ai même pas regardé le match de l’OM (contre Manchester City). Je n’arrive plus à me poser pendant 90 minutes devant un match de Ligue 1. Je n’en vois pas l’intérêt. Sinon, j’ai gardé quelques amitiés, notamment avec les gars de Nancy, même si nos chemins se sont séparés.
Ça ne t’a pas traversé l’esprit d’ouvrir un restaurant de fruits de mer à Nancy ?Franchement, si. C’est une ville qui a énormément compté pour moi et dans laquelle je me serais vu vivre après ma carrière. Je suis arrivé là-bas comme un minot, l’ASNL m’a fait confiance et j’ai grandi là-bas, mes filles sont nées là-bas… Ça compte.
Le problème, c’est que depuis la Lorraine, la mer est minimum à 500 kilomètres…Oui, mais on aurait pu ramener un petit bout de mer dans leurs assiettes ! (Rires.)
Quand tu rentres de ton expérience en D2 chinoise, qu’est-ce qui t’a poussé à mettre un terme à ta carrière ?Quand je suis revenu à Marseille, j’ai essayé de continuer en National avec Consolat, mais mon contrat a été recalé. Je sortais d’un niveau professionnel, le club a voulu me reclasser amateur, mais la Fédé a refusé. J’ai donc signé en DH avec Endoume, où j’ai dû faire deux mois avant d’arrêter. Je me forçais, en fait. Les matchs ça allait, mais je sentais au fond de moi que je saturais de tout ce qui était entraînement. J’ai compris que j’étais arrivé au bout.
Tu n’as jamais eu de regrets vis-à-vis de l’OM, ton club formateur ?Si, forcément. En tant que Marseillais, mon rêve aurait été d’exploser ici. Mais je ne suis pas à plaindre parce que j’ai eu une carrière, et l’OM m’a formé pour. Avec le recul, je pense que je n’étais pas assez mur pour un club comme celui-là au moment où j’ai intégré le groupe pro.
Ton agent était Pape Diouf. Comment as-tu vécu sa disparition en avril dernier ? Mal. C’était un personnage incroyable. Quand je l’ai rencontré, j’avais 17 ans. Il en imposait. Avec lui, on ne signait aucun papier. On se tapait dans la main et c’était réglé. C’est dire l’importance qu’il donnait à la parole. On avait une relation incroyable avec lui. Il était très dur à joindre par téléphone, mais quand il t’appelait à deux heures du matin, il cherchait toujours à te donner le meilleur conseil possible. Comme si on était ses fils. Que ce soit Didier Drogba ou moins, il nous parlait de la même façon.
Si tu dois garder une image de ton passage à l’OM, ce serait laquelle ?Mon premier match contre Metz au Vélodrome (le 17 novembre 2000, N.D.L.R.). C’est rigolo parce qu’ensuite, j’ai fait presque toute ma carrière en Lorraine. Ça reste gravé parce qu’on gagne 4-1 ce match-là, il reste quelques minutes à jouer. Je m’échauffe avec Manu Dos Santos, et là, il me dit : « Tu sais que tu vas entrer ? On gagne 4-1, et il n’y a aucun intérêt à faire entrer un arrière gauche. » Et quand Christophe Galtier – qui était entraîneur adjoint – m’appelle, j’ai le cœur qui bat à mille à l’heure. C’est le rêve d’une jeunesse. Ensuite, je crois que j’ai un black out du poteau de corner au banc des remplaçants. J’étais ailleurs.
Tu ne feras que trois apparitions sous ce maillot, tu pars quelque mois en prêt à Nottingham Forest, où tu ne joues pas du tout…À la base, ça doit être un arrangement entre agents. Là-bas, je fréquente l’équipe première, mais je joue avec la réserve. Mais ça m’a fait du bien de sortir de chez moi. Je quittais ma ville, mes amis, mes petites habitudes et je me retrouve à vivre seul. Je suis content de l’avoir fait parce que ça m’a permis de grandir.
Ça t’a servi pour la suite ?Oui, bien sûr. Quand je reviens à Marseille, c’est là qu’Alain Perrin m’attrape dans son bureau et qu’il me dit : « Tu es un bon joueur, mais pas assez bon pour ce que je souhaite. En revanche, avec ce que je vois aux entraînements, je n’ai rien à te reprocher et si j’entends parler de quelque chose ailleurs, je t’aiderai. » J’ai apprécié son honnêteté. Et quand on revient de stage, il m’attrape à 11 heures, après que j’étais passé avec l’ostéo. Il me dit que Nancy a des problèmes, qu’ils sont en restructuration et qu’ils sont d’accord pour que je fasse un essai. Je lui réponds : « Ok, mais c’est où Nancy ? » (Rires.) Il m’explique, me donne le numéro de téléphone de Paul Fischer, l’adjoint de l’ASNL, et je prends un avion directement. Le soir même, je suis à Nancy et je ne suis jamais redescendu.
Pourquoi ça a collé avec ce club de Nancy ?Le club était en difficulté, mais moi, j’y vois l’opportunité de lancer ma carrière. Et puis finalement, ça a été une embellie, puisqu’il y avait beaucoup de revanchards qui voulaient percer. On devient une bande de potes incroyables et, à l’arrivée, on a écrit une des plus belles périodes de l’ASNL. La première saison (en 2003-2004), alors que le club était aux portes du National la saison précédente avec un effectif décimé, on peut presque prétendre à la montée et on s’écroule sur la fin. Puis, le président affiche clairement les ambitions : la Ligue 1 ou rien. Ça met la pression. On fait un départ moyen et il y a un match charnière que tout le monde a en tête à Nancy, une victoire à 9 contre 11, contre Troyes qui était un rival, où on s’en sort miraculeusement avec un penalty à la dernière minute (inscrit par Benjamin Gavanon himself, N.D.L.R.). C’est une bascule en matière de confiance qui chamboule tout.
Tu parles d’un groupe qui s’est trouvé. Comment tu l’expliques ?C’était une bande de potes, un mélange entre les anciens et les nouveaux, une osmose… Je crois qu’on ne pouvait pas faire mieux. Pablo Correa et le président Rousseau ont leur part dans cette réussite, mais il y a un facteur chance aussi. Il y a peut-être un élément essentiel : l’année où j’arrive, on est plusieurs à se retrouver dans le même hôtel, en attendant de trouver un logement. Sans faire le Marseillais, je crois qu’on était une bonne dizaine. Il y avait Patrick Moreau, Gennaro Bracigliano, Pascal Berenguer, Sébastien Puygrenier, Emmanuel Duchemin, Moncef Zerka… Tous les midis, on se retrouvait à manger autour de longues tables. Inconsciemment, ça a créé des liens forts d’entrée. Même ceux qui n’étaient pas à l’hôtel y passaient de temps en temps.
Et au bout, il y a un titre de champion de Ligue 2 en 2005 et une Coupe de la Ligue en 2006.Oui, c’est cet état d’esprit qui nous y a amenés. Lors de la finale de la Coupe de la Ligue, Nice est meilleur que nous, mais on ne s’est jamais fait prendre par l’enjeu. On n’avait pas conscience de l’importance de l’événement. On était détachés de tout ça et complètement affamés.
Derrière, ce sont les portes de l’Europe qui s’ouvrent…Mais oui ! On a quand même sorti Schalke 04 sur une double confrontation, alors qu’en face, il y a Neuer (sur le banc, N.D.L.R.), Özil, Kurányi, les frères Altıntop… Le seul match où on s’est tétanisés, c’est à domicile contre le Shakhtar Donetsk, en seizièmes de finale. On n’arrivait à rien alors qu’on avait fait 1-1 en Ukraine.
Pourquoi Nancy n’a pas pu s’installer plus longtemps à ce niveau ?Il y a une fin de notre cycle quand on termine quatrièmes de Ligue 1 (en 2008). On est tout du long sur le podium, avec un parcours de fou. Le dernier match, on reçoit Rennes. Et alors qu’on était invaincus chez nous, on perd. Dans l’absolu, il n’y a rien de scandaleux parce que ça restait magnifique, ce qu’on a fait. Mais ce soir-là, il y a une cassure entre nous. On avait un rituel en fin d’année, après le dernier match, on passait la soirée ensemble, on allait boire un coup à l’Arquebuse (une boîte située place Stanislas, N.D.L.R.), on faisait la fête. Et après celui-ci, on n’organise rien. Cette soirée, on était tous chacun de notre côté dans un restaurant différent avec nos proches. Pour moi, le groupe meurt là.
Tu comprenais les critiques contre le jeu « chiant » de Pablo Correa ?C’était plus sa communication qui était basée sur ça. Parce que dans la réalité, il y avait quand même du jeu à mon époque. Pour lui, il préférait gagner 1-0 que 5-4. Ce sont ses convictions et dans ses interviews, c’est ce qu’il mettait en avant. Et c’est comme qu’on formate ensuite une image.
Pourquoi avoir quitté ce club dans lequel tu te sentais comme chez toi ?Moi, j’étais bien à Nancy. J’étais d’accord pour moins jouer, revoir mon contrat à la baisse, m’investir dans le club en tant qu’ancien et servir de lien avec les jeunes qui arrivaient. Finalement, ils n’étaient pas chauds. L’ASNL, même si c’est un club familial, ce qui m’a toujours choqué là-bas, c’est qu’il n’y a pas d’anciens qui restent dans l’encadrement. Pour moi, ça me paraît essentiel de perpétuer l’histoire. On ne peut pas tous y rester, mais des mecs comme Biancalani ou Lécluse auraient dû incarner ce club. En 2009, je suis prêté à Sochaux. Et c’est là que je me suis rendu compte de l’importance de ça. Je n’y suis resté qu’un an, mais ils étaient prêts à me garder parce qu’ils aimaient mon attitude dans le groupe.
Après ça, il y a un an à Amiens et tu files en Chine. Ce n’était pas forcément dans les mœurs, à l’époque !Si on m’avait proposé la MLS, j’aurais choisi cette option ! Mais clairement, je me faisais chier à Amiens. Avec l’entraîneur (Ludovic Batelli, N.D.L.R.), ça ne passe pas, les résultats ne sont pas là… En février, je récupère le contact de Philippe Troussier qui cherchait un milieu pour son équipe en Chine (Shenzhen Ruby). Au début, je suis dubitatif, mais je me rends compte que c’est une porte de sortie. Et puis je suis rassuré par le fait que tout le staff soit français. Et puis Philippe Troussier, j’ai adoré. C’est un super mec. Vous pouvez parler avec lui pendant des heures, c’est un régal. Sur le terrain, ça peut lui arriver de vriller, mais ça fait partie du personnage.
Quand tu es ici à Marseille, est-ce que les gens savent qui tu es ? Est-ce qu’ils connaissent ta carrière de footballeur ?Les connaisseurs, oui. Mais ici, c’est plus mon frère Jérémy qui est identifié. Il a été la doublure de Barthez, il est entré en finale de la Coupe de l’UEFA… Moi, je n’ai jamais eu la possibilité de marquer l’OM, donc c’est compréhensible. Après, ce qui est bien, c’est qu’on n’était pas aux mêmes postes. Ça évitait les comparaisons. Pour moi, mon frère avait plus de qualités que moi pour réussir au haut niveau. Mais il n’y a jamais eu de jalousie entre nous.
Le fait que tu travailles aujourd’hui avec lui, c’est aussi pour compenser le fait de ne jamais avoir joué avec lui ?C’est vrai que ça a été un de mes grands regrets, oui.
C’est votre père qui vous a transmis cette passion ?Il jouait au niveau amateur avec les copains, oui. Mais on est surtout une génération qui a vu l’OM engranger les titres, donc le foot était partout. Que ça soit à l’école ou dans la rue, on ne s’arrêtait jamais. On rejoignait les cousins, on trouvait une porte de garage, un gardien, deux équipes et c’était parti. La qualité technique qu’on s’est forgée dans la rue, on ne pouvait pas l’apprendre ailleurs.
C’est quelque chose qui manque aux nouvelles générations ?La technique s’est un peu perdue au détriment de la vitesse et de la puissance. Le jeu a beaucoup évolué aussi. Ce sont de vrais athlètes maintenant, et le physique a pris énormément de place. De temps en temps, je fais des foots à 5 ou à 7. On se retrouve contre des jeunes de 20 ans, qui prennent le ballon et veulent dribbler toute l’équipe. Quand ça réussit, c’est fabuleux, mais ils ne sont pas dans le vrai. Nous, on a vieilli certes, mais avec un contrôle et une passe, des mouvements, c’est bien plus efficace.
Propos recueillis par Mathieu Rollinger, à Marseille